Malgré les nombreux signaux attestant la montée du salafisme jihadiste dans le pays, les autorités continuent d’observer une sorte de laxisme sinon complice du moins dangereusement indulgent.

Par Imed Bahri


Appels incessants au meurtre des juifs, des laïcs et des mécréants, prêches incendiaires dans un grand nombre de mosquées, agressions contre des journalistes, des artistes et des militants politiques, recrutement de jeunes combattants pour la Syrie au vu et au su de tout le monde, y compris, bien sûr, de la police, démonstrations de force, comme dimanche à Kairouan, avec un déploiement de gros moyens, sabres, chevaux au galop, chants guerriers, treillis militaires sur tenues afghanes et, bombe sur le gâteau, le nom d’Oussama Ben Laden scandé par une foule ivre de violence et de vengeance…

Une indulgence complice

Laxiste ou complice, ou les deux à la fois, le gouvernement regarde et ne bouge pas le petit doigt, même pas pour libérer les mosquées conquis par des éléments jihadistes ou pour mettre hors d’état de nuire les recruteurs du réseau Al-Qaïda, qui envoient de jeunes lycéens, étudiants ou chômeurs se faire exploser sur quelque front de jihad islamique.

Interrogé, lors d’un point de presse, vendredi, au palais du gouvernement, à la Kasbah, sur les imams appelant les jeunes tunisiens à aller se battre en Syrie, Ahmed Bergaoui, un responsable du ministère des Affaires religieuses a reconnu, que certaines mosquées tunisiennes sont aux mains d’islamistes radicaux appelant les jeunes à «aller au jihad» en Syrie contre le régime de Bachar El-Assad. «C’est un problème et nous sommes en train de chercher des solutions», a-t-il admis, exprimant ainsi l’impuissance du gouvernement dominé par Ennahdha à sévir contre les salafistes qui se mettent hors-la-loi, ou son indulgence complice vis-à-vis d’un mouvement que beaucoup d’observateurs soupçonnent le parti islamiste tunisien de vouloir l’instrumentaliser pour asseoir son projet de dictature islamiste dans le pays.

M. Bergaoui a également affirmé, en parlant du pèlerinage à la Mecque, effectué par 30.000 Tunisiens chaque année, que «l’Arabie saoudite est devenue très rigide et ne veut plus accorder de visas aux jeunes de moins de 35 ans, après avoir constaté que de nombreux jeunes restent sur son territoire, soit pour travailler soit pour rejoindre le jihad». Et d’ajouter, imperturbable, comme si le sujet n’était pas suffisamment grave ou ne concernait pas le gouvernement en place: «Ces jeunes doivent répondre de leurs actes devant l’Arabie saoudite, soucieuse de combattre le terrorisme».

Selon des estimations officielles, quelque 400 mosquées sont tombées sous la coupe de radicaux religieux depuis la révolution en Tunisie qui compte environ 5.000 lieux de culte. Cela fait presque 1 mosquée sur 10. Et c’est déjà beaucoup quand on connaît la capacité de nuisance de ces pyromanes.

«Ils sont dangereux», estime Marzouki

La veille, le ministre de l’Intérieur Ali Lârayedh avait aussi évoqué cette question, sans fournir de chiffres sur le nombre de jeunes concernés. «Nous déplorons que des jeunes s’engagent dans de mauvaises aventures. Certains ont été tués, d’autres emprisonnés, d’autres continuent de combattre en Syrie. Nous suivons ces choses de près», a-t-il déclaré en marge d’une réunion avec le chef du gouvernement libyen Abdel Rahim Al-Kib.

L’ambassadeur syrien près l’Onu, Bachar Jaâfari, a évoqué, le 10 mai, la présence de «terroristes étrangers» en Syrie. Il a assuré que son gouvernement possédait les confessions enregistrées de «26 terroristes dont certains affiliés à Al-Qaïda», précisant qu’il s’agissait pour la plupart de Tunisiens et de Libyens, plus un Palestinien et un Jordanien.

Dans son entretien à l’hebdomadaire ‘‘Le Point’’, le président de la république provisoire Moncef Marzouki, a comparé les salafistes à… l’extrême droite européenne. «Ils sont dangereux et l’on n’est pas parvenu à les démocratiser», a-t-il déclaré. Considérant les salafistes comme «les ennemis numéro un d’Ennahdha» (affirmation qui a besoin d’être étayée par des preuves tangibles), M. Marzouki a estimé que ces derniers «causent des problèmes à court terme» et  «peuvent constituer une milice», mais «ils ne peuvent pas mettre en danger notre république et notre démocratie». Et de conclure: «J’ai reçu les chefs salafistes et je les ai avertis que s’ils utilisent la violence, la république se défendra.»

Pour l’instant, la république laisse faire, malgré les nombreux signaux envoyés par la frange jihadiste de ce mouvement: les affrontements avec les jihadistes armés à Rouhia, le 18 mai 2011, puis à Bir Ali Ben Khalifa, le 1er février 2012, la découverte de caches d’armes dans plusieurs régions du pays, la reconstitution de réseau Al-Qaïda, le recrutement, l’entrainement et l’envoi de jihadistes tunisiens en Libye et en Syrie, sans parler des agressions contre des journalistes, des artistes, des militants politiques et de la société civile, ou encore des attaques de magasins et dépôts de spiritueux...

Quand les responsables du gouvernement jugeront-ils enfin que l’aggravation du phénomène jihadiste dans le pays nécessite une réaction urgente et vigoureuse de la part des autorités sécuritaires pour mettre le pays à l’abri des violences terroristes?

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