Samih Cherif écrit – Les politiques tunisiens vont-ils s’entendre sur l’essentiel pour l’avenir de notre pays et mettre de côté leurs rivalités, égos, intérêts et faux problèmes?


Lors d’une rencontre à laquelle j’ai été convié, j’ai eu la surprise de voir arriver Mustapha Ben Jaâfar, leader du Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl). Flanqué de quelques proches militants et de son sourire habituel.

 

L’homme qui va vers les gens
M. Ben Jaâfar est entré dans la salle en serrant des mains et en distribuant des bonsoirs. Arrivé près de moi, je le saluai et il me répondit, devinez..., avec son sourire chaleureux et sympathique. J’étais assez content qu’il soit là à vrai dire, l’ayant plusieurs fois critiqué sur mon blog pour certaines de ses positions, c’était là pour moi une occasion de l’observer de plus près et de mieux cerner le personnage.
Très discret, modeste et surtout souriant, M. Ben Jaâfar a fait le tour des invités et a échangé avec plusieurs personnes. Voilà enfin un homme politique tunisien qui va vers les gens et qui papote tranquillement sans attraper la grosse tête. Je continuais de l’observer jusqu’au moment où l’on me présenta un jeune homme comme étant très actif au sein de Ettakatol.
Quelle belle occasion, que dis-je, une aubaine pour moi, j’allais enfin pouvoir parler politique avec un jeune politicien engagé de mon âge!

La course aux étiquettes
Notre connaissance commune m’a donc présenté comme n’étant d’aucun parti, je confirmai en précisant que je n’avais pas encore fait mon choix et là, notre jeune homme me regarde et me réponds:
- C’est peut-être parce que tu es d’Ennahdha?
Ne voyant pas le rapport avec la choucroute, je répondis que c’était certainement vrai au vu de la barbe que je porte et, histoire de passer à autre chose, je lui ai demandé pourquoi on n’entendait pas assez parler de leurs actions et programmes politiques contrairement à d’autres partis et pourquoi les jeunes n’étaient pas explicitement ciblés par leur communication. Il m’a répondu inquisiteur:
- Quels partis, comme l’Upl? Tu es de l’Upl?
- Non je ne suis de nulle part et il n’est même pas sûr que je vote, lui dis-je en  souriant.
Il partit instantanément dédaigneux et sans le sourire.
Il faut dire qu’à défaut d’avoir pu parler politique, ce bref «échange» avec un takattoliste m’a au moins amusé, pardon, fait sourire. Je suis à peu près sûr que si j’avais eu un sandwich escalope à la main, j’aurais été tout de suite soupçonné d’appartenir au Pdp, et que si j’avais porté des lunettes en fonds de bouteille de Vieux Magon, j’aurais certainement été de ceux du Cpr, et une chemise bleue, elle, m’aurait directement jeté dans les bras d’Ettajdid sans voie ni recours.

Si tu n’es pas ceci, tu es forcément cela
Le but de cet article n’étant pas de m’attarder sur le manque de bienséance de ce jeune takattoliste, son cas n’étant pas le seul auquel j’ai eu affaire ces derniers temps, mais plutôt de dénoncer cette maladie héréditaire qui ronge un bon nombre de nos partis politiques et concitoyens. Tous ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux et gare à ceux qui veulent échanger et débattre sans avoir montré patte blanche et entière allégeance au préalable. Si tu n’es pas athée tu es islamiste; si tu n'es pas nahdhaoui, tu es infidèle et mécréant; si tu n’es pas ouvrier et sous-payé, tu es forcément un capitaliste suceur de sang; si tu n’es pas exclusivement arabophone, tu es sûrement un agent occidental à la solde du colonialisme culturel; et si par malheur tu n’es pas féministe, tu es forcément un sale macho dégueulasse et égoïste qui n’attend que de voter pour avoir droit à  quatre femmes halal.
Dans ces conditions, pouvons-nous nous attendre au succès du conseil constitutionnel? Pouvons-nous espérer que nos politiques puissent s’entendre sur quoi que ce soit d’essentiel pour notre pays et notre avenir en mettant de côté leurs rivalités, leurs égos, leurs intérêts et les faux problèmes? J’en ai toujours douté et plus encore aujourd’hui.

Source : Blog de l’auteur.