Redeyef, Ben Guerdane, Sidi Bouzid, Kasserine, Jendouba, Gafsa, Metlaoui... On pourrait continuer à énumérer les noms des villes de l’intérieur, pour nous rappeler qu’elles existent et que nous leur devons beaucoup. Par Rafik Souidi


L’un des défis majeurs à relever par la révolution tunisienne, c’est la réponse aux revendications légitimes des régions de l’intérieur qui ont déclenché la rébellion et qui ont été injustement marginalisées au profit de celles du littoral depuis l’indépendance, ceci expliquant peut-être cela.

La marginalisation politique
Tout d’abord, ces régions ont été victimes d’une marginalisation politique ou, très tôt, un régionalisme absurde et malsain, exacerbé par le conflit Bourguiba-BenYoussef, s’est installé aux commandes de l’Etat.
Ainsi le sud et l’ouest ont été sciemment pénalisés pour leur soutien à ceux parmi les fellagas qui avaient refusé de rendre les armes après les accords d’autonomie interne de 1954 et tout un pan du pays a été mis ensuite au pain sec.
Il faut savoir que les fellagas étaient en majorité originaires du sud, étant les seuls Tunisiens disposant d’armes à feu pendant la colonisation, celles-là même abandonnées sur place par l’armée du général allemand Rommel. C’est à partir des refuges naturels de djebel Bou-Ramli, djebel Ben Khedache et djebel Chambi, respectivement à proximité de Gafsa, Médenine et de Kasserine, qu’ils avaient multiplié les opérations de guérilla  bénéficiant du soutien sans faille des tribus rebelles locales.
Aussi, cette discrimination politique est-elle une trahison historique et une injustice notoire quand on sait le rôle essentiel de ces fellagas et de ces régions dans le combat pour l’indépendance.

La marginalisation économique
Cette marginalisation politique a tout naturellement engendré une marginalisation économique. Celle-ci a été accentuée par la priorité accordée au tourisme balnéaire depuis les années 70, qui a mobilisé énormément de capitaux et qui a profité quasi exclusivement au littoral. Elle a également provoqué un exode massif des compétences locales vers la capitale.
Pourtant, l’intérieur du pays, avec ses ressources en pétrole et phosphate, disposait d’atouts économiques intrinsèques importants, mais il n’en a que trop peu bénéficié. Il conviendrait de les valoriser davantage à l’avenir en mettant en œuvre des stratégies de filières pour capter localement le maximum de valeur ajoutée et créer les opportunités et les emplois qui y font défaut.
Il en va de même pour le potentiel agricole des régions du centre-ouest et du nord-ouest insuffisamment exploité alors qu’il n’a rien à envier à celui du Cap-Bon.

Le rééquilibrage salutaire
Aussi, dans un souci d’équité, de justice et de cohésion nationale, l’Etat devra mobiliser ses ressources pour combler le retard en infrastructures et en services dont souffrent ces régions et réaliser un programme ambitieux de décentralisation pour être au plus proche des citoyens.
Cet effort salutaire de rééquilibrage sera mesurable en termes de postes d’enseignant, de lits d'hôpitaux, de médecins généralistes, d’ordinateurs, de kilomètres d’autoroutes, de piscines municipales et de centre sportifs par habitant et ces ratios devront se rapprocher des moyennes nationales.
C’est par une lecture honnête et objective de notre histoire, une remise à plat des stratégies économiques, en particulier un redimensionnement plus raisonnable du secteur touristique dans l’économie nationale, une valorisation plus en aval des ressources du pays, un effort de rééquilibrage en matière d’infrastructures et une décentralisation effective de l’Etat que l’on pourrait combler cette fracture régionale, répondre aux attentes des populations qui y habitent et panser leurs blessures.