La Tunisie fait face à bien des défis: des difficultés économiques, la nécessité d’investir dans les régions intérieures ou encore des revendications sociales. Vouloir consacrer de l’argent public au financement des partis politiques tunisiens serait-il donc incongru?
Par Sélim Jeddi


En France, le financement des partis a coûté 75 millions d’euros en 2010. Si l’on rapporte ce chiffre au niveau de richesse de la Tunisie1, il faudrait compter à peu près 1 million de dinars par an pour financer nos partis. Cela peut sembler bien trop cher, mais si nous comparons ce prix à celui que la dictature nous a coûté en détournement de fonds publics, il demeure dérisoire.

Donner l’argent du peuple à des politiciens
Certains n’hésitent pas à déclarer qu’il n’est pas question de donner «flous echaâb» (l’argent du peuple) à des politiciens. Pourtant, la démocratie directe, sans représentation politique, n’est pas possible dans un pays de la taille de la Tunisie. Les hommes politiques de l’ex-parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), nous ont rendus méfiants envers tous les politiciens mais une démocratie ne se construit pas sans une classe politique respectée et indépendante de tous les intérêts privés ou étrangers.
Il paraît donc nécessaire d’encadrer le mode de financement des partis politiques tunisiens autour de quatre grandes règles:
• Plafonner le niveau de dépense de chaque parti au cours des campagnes électorales afin que le niveau de fonds collectés n’ait pas une trop grande importance dans le résultat de la campagne. Dans ce cadre, les comptes de campagnes devront être publiés à la fin des campagnes afin qu’il soit possible à chaque citoyen de constater l’origine et l’emploi des fonds.
• Plafonner le niveau des contributions privées (à un niveau n’excédant pas quelques centaines de dinars par personne afin d’éviter que les citoyens les plus aisés n’aient trop d’influence sur les partis politiques).
• Interdire tout financement provenant de l’étranger pour ne pas voir des idéologies étrangères à la culture politique tunisienne s’implanter dans notre pays.
• Contraindre tous les candidats à un poste électif à effectuer des déclarations publiques de patrimoine avant et à la fin de leur mandat. L’objectif essentiel étant de contrôler un éventuel enrichissement personnel. Il s’agira aussi d’éviter que le soupçon ne continue à planer sur toute la classe politique tunisienne.
Nous nous acheminerions alors vers un système où les partis se financent par les cotisations de leurs adhérents, par les dons privés (qui seront donc plafonnés pour chaque donateur) et par les fonds publics qui viendraient fournir un financement minimal aux partis ne parvenant pas à collecter suffisamment de fonds privés.

Trop de partis à financer
Certains objectent toutefois que le nombre important de partis politiques créés au lendemain du 14 janvier rendra ce financement trop coûteux. Cet obstacle est pourtant aisément surmontable. Il suffirait de financer les partis par la voie d’un remboursement d’une part des frais engagés à condition de franchir le cap des 5% de votes.
Cet ensemble de mesures aura un effet positif sur le paysage politique tunisien. Il obligera les partis aux programmes semblables à se regrouper. Une démocratie mature s’articule en effet autour d’un nombre limité de grands partis représentant les différentes sensibilités. Un trop fort émiettement empêche tout débat sérieux et favorise les alliances de circonstances grâce auxquelles les petits partis finissent par s’ériger en arbitres entre les partis ayant un large soutien populaire.
Une fois que la Tunisie disposera d’une nouvelle constitution précisant la nature des différentes élections, il sera plus aisé de définir avec précision ces mécanismes de financement. Toutefois, le système que nous proposons ici pourrait déjà être employé pour financer les élections des représentants à la Constituante à un moment où peu de partis disposent des fonds nécessaires à une campagne nationale et alors qu’il semble crucial de se protéger contre toute ingérence extérieure.

* Etudiant en dernière année à SciencesPo. et à HEC Paris.

1 - En comparant le PIB de la France en 2010 à celui de la Tunisie en 2010.

D’après: ‘‘Elmouwaten.com’’.