D’après le traité des cinq roues de Myamoto Musashi, sabreur japonais invaincu du XVIe siècle, la «chose-non-chose» est ce qui existe sans exister ou plus simplement, ce qui paraît volontairement comme étant ce qu’il n'est pas. Par Samih Cherif


Ce concept largement épuisé en stratégie militaire est capital en tactique de défense, le caméléon en est la parfaite illustration. Ce concept permet de pousser l’adversaire à bâtir une logique dont la structure est basée sur des données erronées mais parfaitement crédibles.

Les déboires du vieux loup
Il semblerait que l’intention actuelle du dirigeant libyen soit celle là même. Ce vieux loup aurait trouvé une solution à ses déboires.
Afin de mieux faire comprendre la théorie que je présente, je commence par relater quelques faits:
1- La répression féroce contre les civils a été exécutée avec l’aide de mercenaires étrangers.
2- Des villes entières ont été libérées au nord-est et nord-ouest.
3- Des casernes et dépôts d’armes ont été pris d'assaut et des citoyens se sont emparés d’armes pour de se défendre.
4- L’armée et la police, comme dans les scénarios précédents, se sont joints au peuple.
5- L’armée octroie aux jeunes hommes civils une formation militaire soutenue et les déploient dans des zones stratégiques autour des principales villes;
6- Les Américains se sont déployés en Méditerranée et sont en état d'alerte, l’ombre d’une intervention militaire plane;
7- Kadhafi n’en a plus pour très longtemps, il perd la main.
Tout ceci nous paraît donc comme une image limpide selon laquelle le scénario tuniso-égyptien est en train de se répéter. Cependant les choses ne sont pas si simples, car derrière ses airs de fou psychopathe, Kadhafi est un homme doué d’une intelligence et d’une expérience que ses collègues dictateurs n’ont pas.
Comment pourrait-on croire qu’un homme que les psy rivalisent à définir aujourd'hui comme fou furieux, paranoïaque, schizophrène et dépressif a pu gouverner un pays aussi riche et aussi stratégiquement important que la Libye pendant 42 années entières?
Plus Kadhafi fait le bouffon plus on le croit bouffon et plus on le sous-estime sans oser s’attendre à ce qu'il fasse autre chose que des bouffonneries. En ce sens Kadhafi paraît ce qu'il n'est pas, à son avantage.

Un dictateur en difficulté
Passons désormais à l’analyse paranoïaque des faits énumérés ci-dessus:
1- Le réflexe premier d'une population attaquée sur son sol par des entités étrangères est de s’unir contre les agresseurs, en oubliant au passage tout ce qui aurait pu ou pourrait la séparer. Le constat actuel est que les Libyens sont parfaitement unis.
2- Les villes libérées sont celles à forte densité et se situent aux frontières est et ouest. Les villes du centre, à fort rendement pétrolier, sont restées sous la gestion de Kadhafi et son armée. En détenant le pouvoir pétrolier, il détient à la fois le pays et fait chanter ses clients au passage.
3- Quoi de mieux pour un dictateur en difficulté à la tête d’un pays de 5 millions d’habitants et dont le nombre de soldats est mathématiquement proportionnel à la population, que de se retrouver avec une jeunesse bouillonnante et armée jusqu’aux dents. Il vaut mieux avoir 2 millions de soldats que 119.000.
4- L’armée semble avoir rejoint le peuple et ce faisant elle s’est naturellement déployée sans entraves sur toute la côte nord. Seul talon d’Achille en cas d’invasion étrangère. Les canaux terrestres est et ouest étant bouchés par une situation humanitaire préméditée et de plus en plus critique. La Libye est bouclée.
Un nombre impressionnant de batteries anti-aériennes ont été déployé pour contrer les avions de chasse. Logique, sachant que des avions pro-régime ont déjà semé la terreur, sauf que ces batteries sont tout aussi valables pour contrer tous autres chasseurs éventuels.
5- Des images de militaires formant des jeunes habitants des villes libérées sont passées en boucle sur plusieurs chaînes. On y voit que l’armée joue parfaitement son rôle naturel de soutien aux civils. Cependant, tout aussi naturellement, elle les prépare à la guerre, les armes étant déjà là, il ne reste plus qu'à apprendre à s’en servir, contre Kadhafi ou n’importe qui d’autre.
6- Le meilleur moyen de porter un coup au mental de son adversaire est de lui rappeler ses cauchemars et ses anciennes défaites. Il ne fait aucun doute aujourd’hui que la situation libyenne est identique à celle de l’Irak mais sans les Américains. Il ne manque plus qu’eux pour un remake car tous les éléments d’une guérilla urbaine sont là. Nous avons des civils motivés, unis, armés et révoltés contre le régime en place mais en aucun cas susceptibles d’accepter une intervention externe, bien au contraire.
7- Kadhafi perds la main, sans aucun doute, mais ce faisant, il en profite pour restreindre toute marge d’action à ses ennemis occidentaux tout en sécurisant son territoire pour pouvoir reprendre la main et ce, avec l’aide manipulée et involontaire de ceux là mêmes qui souhaitent le voir partir.
Le facteur temps est pour lui à la fois une aubaine et une malédiction, car dans le premier cas, avec l’arrêt du pompage du gaz et du pétrole vers l’Occident, il joue avec un nerf sensible d’un occident déjà fortement ébranlé économiquement et qui n’entends pas se laisser faire. Dans le second, il s’expose à l’étau populaire jusque là contenu par l’armée et qui se resserre de plus en plus autour de lui.
Logiquement, ce même facteur temps présente les mêmes avantages et désavantages pour l’Occident, dans le sens inverse, on peut donc s’attendre à d’importants mouvements dans les jours qui viennent d’une part ou de l’autre, car aucune des parties ne peut perdurer dans cette situation.
Sun Tzu, un général chinois du VIème siècle avant J.-C. disait:
- Toute guerre est basée sur la tromperie.
- Quand on est en mesure d’attaquer, on doit sembler dans l’incapacité de la faire.
- Quand nous utilisons nos forces, nous devons paraître inactifs.
- Quand nous sommes proches, nous devons faire croire à l’ennemi qu’on est loin.
- Quand on est loin, nous devons lui faire croire qu’on est près.

Source: ‘‘Mental Madness’’

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.