Tunisie - Attentat du Bardo

Si l'Occident estime que la Tunisie demeure une lueur d'espoir dans un monde arabe autrement plus sombre, il pourrait aider ce pays à faire face aux assauts extrémistes.

Par Mustapha Tlili*

Mustapha TliliDans l'attentat terroriste du musée du Bardo, qui a coûté la vie à 24 personnes (y compris les deux auteurs de l'attentat, Ndlr), le 18 mars 2015, c'est la Tunisie démocratique qui était prise pour cible. Et ce pays risque d'être attaqué encore, car il s'agit d'une démocratie laïque dans un monde arabe qui n'est pas démocratique et, à l'exception peut-être de quelques arrangements de partage de pouvoir au Liban, qui n'a jamais connu la démocratie.

L'attaque contre le musée du Bardo a été revendiquée par l'Etat islamique, bien que les autorités tunisiennes aient identifié, dans cet attentat, une cellule jihadiste dont les membres ont différentes affiliations, y compris une allégeance au mouvement extrémiste tunisien banni d'Ansar Charia.

Depuis quelque temps déjà, le monde arabe souffre et plie sous cette forte pression de l'extrémisme islamiste qui est, dans une très large mesure, financé par les pétromonarchies du Golfe et qui est, malheureusement, exacerbé par la «guerre anti-terroriste» américaine. A présent, l'Occident devra se prononcer, une fois pour toutes, si oui ou non la jeune démocratie tunisienne mérite d'être sauvée.

La Tunisie, «lueur d'espoir»?

De l'Irak à la Libye, de la Syrie au Yémen, la démocratie est en piteux état. Même l'Egypte, qui a emboité le pas à la Tunisie en 2011, a vite fait de renouer avec les réflexes autoritaires. Aujourd'hui, les populations proche-orientales qui ont pu survivre au chaos aspirent à plus de stabilité dans leur région, à une nouvelle chance de se ressaisir et de réaliser les destinés de leurs peuples.

Une action audacieuse, particulièrement de la part des Etats Unis, pourrait changer le cours des choses de manière très significative. Si l'Occident estime que la Tunisie demeure réellement une lueur d'espoir dans un monde arabe autrement plus sombre, il pourrait aider le pays à faire face aux assauts extrémistes. Par contre, s'il va continuer de se contenter, tout simplement, d'applaudir par les discours les grandes réalisations de la révolution tunisienne, le risque est grand de voir le nouveau gouvernement tunisien échouer dans sa mission de sauvetage du pays. Et les conséquences d'un tel choix occidental seraient très graves.

L'administration Obama et le Congrès des Etats Unis ont, aujourd'hui, à leur portée une chance à saisir afin d'apporter des rectifications aux jugements futurs que les historiens porteront sur les interventions américaines malavisées dans la région moyen-orientale, en volant au secours à l'unique success story de notre ère. Et les réalisations politiques de la Tunisie postrévolutionnaire sont d'autant plus significatives et importantes qu'elles n'ont pas été le produit d'une intervention militaire américaine.

Plaque commémorative à la mémoire des victimes de l'attentat du Bardo.

Plaque commémorative à la mémoire des victimes de l'attentat du Bardo.

La démocratie laïque tunisienne doit beaucoup à des facteurs culturels qui lui sont propres: la nature pacifique du peuple tunisien, sa culture de classe moyenne, son respect de l'égalité femme-homme, l'intérêt qu'il porte à l'éducation, son islam modéré et sa tolérance sociale. Hélas, au grand dam de beaucoup, au début du Printemps arabe, ces conditions préalables à l'instauration de la démocratie n'existaient pas dans le reste du monde arabe.

La Tunisie a besoin des messages bien plus forts

En janvier 2014, 3 ans après le déclanchement de la révolution tunisienne, l'Assemblée constituante a adopté la nouvelle constitution du pays. Les islamistes ont gardé la majorité des sièges dans cette instance législative jusqu'aux élections de l'automne dernier. Cependant, durant toute cette période de domination islamiste provisoire, l'opposition laïque a résisté avec succès aux diverses tentatives d'Ennahdha d'imposer sa vision théocratique et la charia comme source d'inspiration législative. Les élections présidentielles de novembre dernier ont été saluées à travers le monde entier pour leur transparence, honnêteté et civilité. En janvier 2015, le président Béji Caïd Essebsi s'est engagé publiquement à respecter et défendre cette nouvelle constitution laïque.

Les terroristes islamistes qui ont frappé au musée du Bardo, le 18 mars, ne pouvaient accepter ou même imaginer pareil avenir prometteur. Le succès de la Tunisie, en tant que véritable démocratie, est incompatible avec leur interprétation perverse, absolutiste, voire nihiliste de l'islam. Ils n'abandonneront jamais leur allégeance à une lecture archaïque d'un certain islam incompatible avec les principes du siècle des lumières – ce que mon professeur, le philosophe Paul Ricœur, appelle l'«herméneutique du soupçon», c'est-à-dire le pouvoir interprétatif de l'esprit critique appliqué à nos croyances et nos textes.

Comment est-ce que les Etats Unis peuvent-ils venir au secours de la Tunisie en cet instant où elle en a le besoin le plus pressant? La conversation téléphonique que le président Obama a eue récemment avec M. Caïd Essebsi a été beaucoup appréciée, mais l'expression de cette sympathie reste très certainement en-deçà de ce que la situation en Tunisie requiert véritablement. Afin d'envoyer un message plus fort, le président des Etats Unis devrait programmer, par exemple, une visite en Tunisie, un discours devant le parlement tunisien et faire savoir aux Tunisiens que leur pays est, désormais, l'allié des Etats Unis sur la base de valeurs démocratiques et d'intérêts communs.

Le Congrès américain devrait inviter, lui aussi pour sa part, M. Caïd Essebsi à s'adresser à une session conjointe du législatif américain, lors de sa première visite officielle aux Etats-Unis.

Le législatif américain devrait également offrir à la Tunisie une assistance économique, militaire et financière bien plus significative que les 61 millions de dollars de crédits actuellement accordés, surtout que le secteur touristique tunisien, qui représente 15% de l'activité économique du pays, sera certainement impacté durement par l'attaque du musée du Bardo.

La sécurité de tous

La Tunisie n'a pu refaire surface que récemment après trois longues années de mauvaise gestion financière durant le mandat du gouvernement d'Ennahdha. Une conférence de pays donateurs, réunissant les plus grands pays occidentaux, devrait être un cadre approprié pour une réponse effective aux besoins économiques de la Tunisie. La Tunisie a besoin de bien plus que de gestes symboliques pour l'aider à faire front aux terroristes salafistes déterminés à paralyser l'économie tunisienne et à faire fuir les touristes et les investisseurs occidentaux.

L'appareil sécuritaire tunisien est lui aussi vulnérable et il a, par conséquent, besoin d'être soutenu en équipements militaires modernes et en outils de collecte de renseignements. Le gouvernement tunisien doit faire front aux nombreux problèmes que pose cette frontière longue de plus de 450 kilomètres avec la Libye, un pays qui n'a plus cessé de sombrer dans le chaos et qui est devenu un marché illicite aux armes à grande échelle où les jihadistes de tous bords peuvent s'approvisionner aisément. Les autorités tunisiennes doivent aussi combler certaines lacunes sérieuses en matière de collecte de renseignements sur les réseaux terroristes internes et externes. Sur ce chapitre, la contribution des Etats Unis serait plus qu'indispensable: le Congrès américain devrait autoriser l'établissement d'un échange efficace d'informations entre les renseignements américains et les services tunisiens de la sécurité.

Cette coopération sécuritaire doit également engager les pays de l'Alliance atlantique. Il est clair que les jihadistes d'obédience daêchite, qui prennent ainsi la Tunisie pour cible, représentent une menace directe à la sécurité européenne – avec une région méditerranéenne qui devient chaque jour encore plus un terrain fertile et un abri sûr pour une nouvelle race de terroristes qui peuvent frapper, disparaître facilement pour se confondre dans les populations locales. L'on estime à 2500 le nombre de volontaires tunisiens qui combattent encore dans les rangs de l'Etat islamique. Et ces jihadistes tunisiens d'Irak, de Syrie et de Libye peuvent, eux aussi, rentrer un jour ou l'autre au pays et semer encore plus de désordre, d'instabilité et d'insécurité...

Pourquoi, donc, attendre une autre tragédie comme celle du musée du Bardo pour faire face à cette menace? Le défi de ce qui s'est passé à Tunis, le 18 mars 2015, a la même signification, pour l'Occident, que ce qui s'est passé, en janvier dernier à Paris: il s'agit indéniablement du même combat.

Traduit de l'anglais par Marwan Chahla

Source: ''NewYork Times''

*Mustapha Tlili, écrivain et fondateur-administrateur émérite du Centre pour les dialogues de l'Université de New York, est un membre distingué de l'Institut Est-Ouest, basé à New York.

**Les intertitres sont de la rédaction.

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