UGTT Place Mohamed Ali Banniere

A défaut d'une politique d'austérité soutenue par une communication intelligente, on voit mal comment le gouvernement pourra répondre à toutes les demandes sociales.

Par Abderrahman Jerraya*

Après avoir réussi sa transition institutionnelle avec la mise en place d'institutions légitimées par des élections législatives et présidentielle libres et transparentes, la Tunisie était entrée de plain pied dans l'ère de la stabilité et politique. Et pour l'écrasante majorité des Tunisiens, l'espoir était permis de voir leur pays tourner la page de 4 années du laisser-faire, du laisser-aller avec toutes les conséquences aussi néfastes que destructrices que l'on sait.

On pensait peut-être naïvement qu'avec un gouvernement bénéficiant d'une confortable majorité à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), tout irait pour le mieux. Mais voilà qu'à peine installé, il s'est vu confronté à des mouvements de mécontentement et de revendications sociales menés sous l'égide de l'UGTT pour certains et sauvages pour d'autres.

Manifestants, contrebandiers et travailleurs en colère

D'abord, ceux émanant des populations vivant à la lisière de la frontière tuniso-libyenne. Jusqu'ici, et ce au vu et au su de tout le monde, ces populations s'adonnaient à la contrebande, seule activité leur permettant de survivre dans un environnement hostile. Mais ce commerce illicite, auquel sont venus s'adjoindre de gros bonnets, est devenu si florissant depuis la révolution qu'il a porté préjudice grave aux recettes de l'Etat. Aussi était-il nécessaire d'y mettre un terme, sous peine de voir les finances publiques s'assécher de jour en jour. Leur réaction était si violente (attaque du siège de la garde nationale de Dhehiba) que les forces de l'ordre ont dû intervenir. Bilan: un jeune tué par balles et plusieurs blessés parmi les manifestants et les forces de sécurité. Quant aux barons du commerce parallèle, ils continuaient de se la couler douce. Bien plus, certains d'entre eux allaient jusqu'à braver les services de douane et passer la frontière avec camions et marchandises au nez et à la barbe des douaniers. En témoigne le coup de force spectaculaire qu'ils ont perpétré un certain dimanche du 22 février 2015.

Ensuite, un autre foyer d'agitation et de contestation récurrente était celui des gisements miniers relevant de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). Celle-ci avait dû multiplier par 3 les effectifs de ses salariés par rapport à 2010 sans pour autant parvenir à calmer tous les esprits, ni enregistrer en contrepartie une augmentation conséquente de la production de phosphates. Bien au contraire, cette dernière a baissé dans de fortes proportions (70% environ) dans le même laps de temps!

Mais les mouvements de revendication ne sont pas limités aux seules régions du sud, loin s'en faut. Ils se sont étendus à d'autres gouvernorats comme celui de la Manouba où des salariés du textile ont arrêté de travailler au motif semble-il, d'une défiscalisation de leur fiche de paie. Ou à d'autres secteurs tel que celui de l'éducation nationale ou celui de la poste où les revendications portent à la fois sur une majoration de salaires et une amélioration des conditions de travail.

Ce ne sont là que quelques exemples qui, d'ailleurs, sont appelés sans doute à se multiplier et s'amplifier eu égard à la dégradation continue du pouvoir d'achat des travailleurs et à la marginalisation croissante des demandeurs d'emploi. Que faire?

La fuite en avant du gouvernement

Sachant que la marge de manœuvre du gouvernement est étroite, les caisses de l'Etat étant quasiment vides, le poids de la dette déjà trop lourd pour qu'il soit tenté par de nouveaux emprunts. Le dernier en date d'un montant d'un milliard de dollars était accordé, selon les experts, dans conditions très désavantageuses pour le pays. Encore cela pourrait être acceptable si ce crédit devait servir à des investissements productifs, de nature à booster le marché de l'emploi. C'est loin d'être le cas. Une partie, sûrement pas négligeable, va être employée à boucler le budget de l'Etat pour faire face aux dépenses courantes.

Ce n'est pas hélas la 1ère entorse à la bonne gouvernance. D'autres emprunts ont été déviés de leur destination initiale pour être utilisés comme bouche-trous. Et l'actuel gouvernement ne semble pas déroger à cette pratique qui s'apparente à une fuite en avant. Pour preuve, son accord pour l'ouverture de négociations avec l'UGTT avec en perspective une hausse des salaires des agents de la fonction publique. Mais cela ne semblait pas suffire à rassurer le syndicat de l'enseignement secondaire qui appelait ses troupes à boycotter les examens du 2e trimestre, engageant ainsi le bras-de-fer avec le ministère de tutelle.

Un effort équitablement partagé

Le président de la république, quant à lui, appelle les Tunisiens à considérer l'année 2015 comme celle de l'effort et du travail. Tout laisse penser que ce message de sagesse et de clairvoyance est tombé dans une oreille de sourd.

Bourguiba, en son temps, juste après l'indépendance, s'était adressé aux Tunisiens pour leur dire à peu près ceci : «Le plus dur reste à venir. La lutte pour l'indépendance est rien en comparaison au combat pour le développement. C'est pourquoi je vous demande davantage de sacrifices, davantage de privations et en même temps plus d'ardeur au travail, plus de discipline et d'effort» et les Tunisiens d'alors, vivant dans leur écrasante majorité dans la ruralité et la précarité, s'étaient serrés les coudes, mis au travail et avaient commencé à relever le défi du développement.

Bien sûr, d'autres temps, d'autres messages. De nos jours, vu que les disparités sociales et régionales sont trop grandes dans notre pays, il convient de caler le discours à ces réalités en suivant l'exemple d'autres nations, celles qui sont en passe d'attraper les pays à technologie avancée.

Pour cela, il faut compter d'abord sur nous-mêmes, sur nos propres ressources, en mettant à contribution tout le monde, l'effort devant être accepté et équitablement partagé. Et pour donner l'exemple, le gouvernement doit décréter un abattement de salaires des plus hauts placés et une imposition sur les fortunes des couches les plus aisées. Comme il doit tenir à carreau les trafiquants, en particulier les grosses pointures. D'un autre côté, il doit veiller à la transparence des circuits de distribution et être en mesure de contrôler la marge bénéficiaire des commerçants peu scrupuleux avec l'objectif de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. En bref, il doit faire preuve d'autorité envers ceux qui transgressent la loi. Ce faisant, il gagnerait en respectabilité et donnerait des signaux clairs et sans équivoque sur l'orientation à imprimer à son action.

A défaut d'une politique d'austérité soutenue par une stratégie de communication intelligente prenant à témoins à la fois l'opinion et les acteurs sociaux, on voit mal comment le gouvernement avec les moyens financiers limités dont il dispose, parvient à répondre à toutes les demandes sociales, si légitimes soient-elles.

Alors parions sur l'auto-développement solidaire avant qu'il ne soit imposé à notre pays, des conditions aussi draconiennes que douloureuses par les bailleurs de fonds internationaux.

*Universitaire.

Illustration: Manifestation ouvrière devant le siège de l'UGTT à Tunis.

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