Democratie en Tunisie Banniere

L'auteur, parlementaire canadien, explique les intérêts qu'a son pays à soutenir la jeune démocratie tunisienne, la première démocratie du monde arabe.

Par Rob Norris*

Observateur des élections législatives et présidentielle de 2014 pour l'Institut démocratique national (NDI) canadien, l'auteur voudrait aider la Tunisie à être véritablement la première démocratie arabe.

De retour au Canada après son séjour tunisien, Rob Norris a gardé de son expérience d'observateur de nos élections, cet instantané indélébile: un graffiti peint en rouge sur un mur provisoire en bois de l'avenue Habib Bourguiba, à Tunis, qui dit «Tunisie, la première démocratie du monde arabe». Telle est l'expression, selon le député canadien, de la plus grande «fierté publique» que les Tunisiens tirent de leur Révolution du 14 janvier 2011.

Cette semaine, dans le quotidien canadien anglophone ''StarPhoenix'', M. Norris a publié un long article intitulé «Engaging with Tunisia serves Canada's interests» (L'aide à la Tunisie sert les intérêts du Canada), où il s'interroge sur les chances pour que ce slogan de «première démocratie dans le monde arabe» ne soit pas uniquement un vœu pieux sociétal et qu'il devienne véritablement institutionnel et durable. Il explique aussi la manière dont les intérêts de la Tunisie démocratique rejoignent logiquement ceux du Canada et toutes les autres démocraties occidentales.
Nous publions, ici, une traduction de larges extraits de cette réflexion de Rob Norris...

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«Les récents évènements qu'a connus la Tunisie – pays qui a le feu aux poudres du Printemps arabe de 2011 – donnent tout-à-fait raison à la renaissance de l'optimisme civique. Avec sa nouvelle constitution et ses dernières élections, le pays est potentiellement bien équipé pour être un leader démocratique, stable et crucial dans une région où les choses sont loin d'être faciles.

''Le plus grand espoir'' du Printemps arabe

Il y a de l'espoir dans l'air en Tunisie et il y a vraiment de quoi: le plus récent des nombreux succès que le pays a enregistrés – une présidentielle réussie qui a suivi un scrutin parlementaire tout aussi irréprochable – a eu lieu le 21 décembre. Le département canadien des Affaires étrangères a qualifié ces élections de «pacifiques et bien organisées» et l'ancien ministre Ken Dryden, lui aussi observateur des élections au nom du NDI, a confirmé qu'il s'agissait bien d'un vote «équitable et démocratique».

Dans un prolongement logique de ce progrès de la démocratie en Tunisie, Béji Caïd Essebsi a prêté serment, le 31 décembre, en tant que premier président tunisien librement élu. Dans son discours inaugural, l'homme, âgé de 88 ans, a fait la promesse solennelle d'être le président de «tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes, sans exclusive aucune», le garant de l'unité nationale et le défenseur de la réconciliation.

Très vite, plusieurs acteurs internationaux et autres Etats concernés se sont mis à évaluer toutes ces professions de foi de Caïd Essebsi et de ses députés (de Nidaa Tounes à l'Assemblée des représentants du peuple, Ndlr) et leurs capacités à traduire leur rhétorique officielle en politiques et programmes réels qui répondent véritablement aux problèmes publics urgents et prennent à bras-le-corps des réalités sociétales aussi inquiétantes que les questions de la sécurité aux frontières, le renouveau économique et le chômage endémique des jeunes.

Observateurs du NDI Canada

Observateurs du NDI devant l'ambassade du Canada à Tunis.

Certes, la crise en Libye voisine reste une menace constante très sérieuse pour la stabilité en Tunisie, mais ce danger ne serait pas la seule cause d'inquiétude... La Tunisie se trouve confrontée à des urgences aussi pressantes que la relance de la croissance de l'économie et la stimulation de son développement. Selon la Heritage Foundation(1), pour sauver l'entreprise démocratique tunisienne, «des réformes fondamentales» doivent être engagées sans aucun autre délai. (...)

En décembre dernier, un éditorial du ''New York Times''(2) a mis en garde contre les insuffisantes appréciations (faites par les pays occidentaux, Ndlr), expliquant que la Tunisie, «qui offre jusqu'ici le plus grand espoir de réussite d'entre tous les autres pays du Printemps arabe (...), mérite le soutien politique et économique le plus étendu possible des Etats-Unis et de l'Europe».

(...) Le Canada, pour mériter sa réputation internationale de «dépanneur utile», devrait lui aussi se porter volontaire et figurer sur la liste de ces assistants de la Tunisie.

Enrayer l'épidémie jihadiste en amont

Il est indéniable que, jusqu'ici, Ottawa a assumé une bonne part de sa responsabilité dans cette entreprise de soutien à la transition démocratique en Tunisie. Cependant, il lui reste beaucoup à faire, sur ce plan.

Il est vrai que la Tunisie peut parfois sembler trop lointaine pour nos concitoyens de la province de la Saskatchewan, mais Ottawa a plus d'une raison de venir en aide à la Tunisie, notre partenaire de la Francophonie.

Ce pays, tout autant que plusieurs de ses voisins de la région, a des liens directs évidents avec les intérêts nationaux canadiens, notamment la paix et la sécurité, la prospérité et les emplois, et la promotion d'un monde meilleur et plus juste.

Tout d'abord, aider l'entreprise démocratique en Tunisie, de manières stratégiques, reviendrait en définitive à consolider la paix et la sécurité du Canada et celles du monde dans sa totalité.

A un moment où les forces canadiennes sont engagées dans les frappes aériennes des alliés contre les jihadistes de l'Etat islamique (Daêch), les nouvelles qui nous viennent du front rapportent que les troupes de Daêch comptent plus de combattants tunisiens que d'aucun autre pays. La logique voudrait donc qu'en aidant la Tunisie à être un pays stable, démocratique, en plein essor économique, doté d'un système légal libre et indépendant et d'institutions d'enseignement postsecondaire revigorées, nous parviendrons à enrayer en amont cette épidémie de l'extrémisme et du jihadisme.

Les Canadiens devraient également savoir que nos finances, notre commerce et notre prospérité – outre nos emplois présents et ceux à venir – sont tous étroitement liés à des facteurs et des développements des régions nord-africaine et moyen-orientale. De la chute de notre dollar à la diminution de nos finances publiques, le Canada ressent, par exemple, les effets négatifs de la guerre des prix du pétrole déclenchée par l'Arabie saoudite.

Sur un plan plus positif, le ministère canadien de l'Agriculture et l'Agroalimentaire estime que l'Afrique du nord et le Moyen Orient sont «une région qui possède un formidable potentiel» pour nos exportations de grains, céréales et graines de semence. (...) Une Tunisie démocratique représenterait donc un partenaire commercial hautement appréciable.

De plus, la consolidation de la démocratie en Tunisie accordera, de toute évidence, une plus grande justice aux citoyens de ce pays et, très certainement, à nous-mêmes aussi.

Le rapport de Human Rights Watch pour 2014 signale qu'en Tunisie – pays considéré depuis très longtemps parmi les Etats arabes les plus progressistes en matière de droits de la femme – il y aurait tout lieu, aujourd'hui, de s'inquiéter sur cette réputation de la Tunisie et sur l'avenir de l'égalité des genres dans ce pays. Pire encore, ce rapport s'interroge également sur les menaces sérieuses qui pèsent sur la liberté d'expression et l'indépendance des journalistes, des blogueurs, des artistes et des intellectuels tunisiens.

En somme, il s'agit d'un ensemble de questions sérieuses et de questionnements qui dépassent de très loin le monde arabe.

Texte traduit de l'anglais par  Marwan Chahla

* Représentant de Saskatoon-Greystone à l'Assemblée législative canadienne de Sasktchewan.

Notes:
(1) La Heritage Foundation est un think tank et lobby américain conservateur, basé à Washington.
(2) Le ''New York Times'' a publié un éditorial intitulé ''Tunisia Wins Again'' (La Tunisie gagne une nouvelle fois), le 26 décembre 2014, en page A26.

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