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Comment les néolibéraux américains et français ont préféré soutenir les islamistes pour stopper la marche de la Tunisie vers le progrès et la liberté.

Par Mohamed Hafayedh*

Jusqu'au 23 octobre 2011, la Tunisie était restée une anarchie mais citoyenne et civilisée, puisque les Tunisiens ont dégagé le pouvoir en place, tout en préservant leurs institutions; et malgré les problèmes économiques et de sécurité, ils étaient capables de défendre leurs quartiers et leurs villages, organiser la solidarité entre eux et même se montrer généreux pour accueillir leurs voisins libyens.

La Tunisie était sur la voie de réaliser le rêve de beaucoup d'intellectuels pour instaurer la démocratie représentative qui s'est transformée en une oligarchie par la faute d'une troïka, une coalition gouvernementale dominée par les Frères musulmans nahdhaouis.

L'Occident et «l'islam de marché»

Malheureusement, les néolibéraux américains et français ont réagi en préférant soutenir les islamistes, seuls capables de constituer une force de frappe contre-révolutionnaire pour stopper toute marche de la Tunisie vers le progrès et la liberté.

En plus du soutien électoral aux islamistes, les Américains ont dépêché leurs intellectuels et experts auprès d'eux, tel le petit professeur universitaire américain Noah Feldman surpris dans l'enceinte de l'Assemblée constituante, conseillant l'adoption de la charia dans le constitution.

Le néolibéralisme a pour religion la liberté du marché dit «le marché divin», qui s'accommode de tout système religieux, tel que l'islamisme ou «islam politique», marqué par l'immanence où le plan de Dieu se réalise tout seul; d'où le «providentialisme» de «la main invisible», cher à la pensée libérale.

Depuis 2005, des chercheurs occidentaux se sont intéressés à «l'islam de marché» et ses convergences avec les valeurs néolibérales.

En septembre 2011, à la veille des élections qui ont porté les islamistes au pouvoir, le philosophe Dany-Robert Dufour évoquait le nouveau venu, compatible avec le système néolibéral occidental : «Cet islam light que l'on a appelé l'islam de marché qui va probablement tenter de profiter des récentes révolutions arabes pour gagner du terrain».

Les islamistes arrivés au pouvoir ont manœuvré pour préparer le pays à se soumettre au système néolibéral, en mettant la Tunisie dans une situation de cessation de paiement au bord de la faillite. Ils ont vidé les caisses de l'Etat, détourné tous les fonds destinés à l'investissement, bloqué les projets et toute possibilité de créer des emplois pour les jeunes chômeurs, bloqué toute tentative d'une justice transitoire pour confisquer le capital national.

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Rached Ghannouchi au think-tank américain Carnegie Endowment For International Peace, l'un des fiefs des néo-libéraux, en février 2014. 

Ennahdha : une entreprise de démolition

Ennahdha avait agi pour le compte du néolibéralisme comme une entreprise de bâtiment de démolition dont le seul objectif était de mettre la Tunisie à genou, jusqu'à l'installation du gouvernement de la dette, celui de Mehdi Jomaa.

La dette, en elle-même, n'est pas un handicap pour la croissance, elle constitue au contraire le moteur de l'investissement économique et de l'emploi.

Mais avec le système néolibéral, l'économie réelle ne constitue que partiellement le processus de valorisation d'accumulation capitaliste.

Le néolibéralisme a, depuis «le coup de 1979» aux Etats-Unis, fait un forcing rendant possible la constitution d'énormes déficits publics, ouvrant la porte à l'économie de la dette en augmentant les taux nominaux de 9% à 20%, créant ainsi de toute pièce des endettements cumulatifs des Etats et des collectivités publiques.

Cette vilaine dette est fabriquée par la technique de la «titrisation», le capitaliste néolibéral transforme sa créance en titre changeable sur les marchés financiers, en fabricant du papier, les classes les plus aisées s'approprient le travail et les richesses de la population, devenus débitrice; la relation créancier-débiteur se superposant aux relations capital-travail, le salarié fier de soin travail devient un débiteur coupable et condamné à rembourser.

La dette agit à la fois comme une machine de capture et de prédation sur la société dans son ensemble, comme un instrument de gestion macro-économique et comme un dispositif de distribution de revenus. Sa force se mesure à cette capacité de transformer l'argent en dette et la dette en propriété, ce faisant il transforme les rapports sociaux qui structurent la société.
Le néo-keynésien Joseph Stigliz, qui est loin d'être un révolutionnaire, rappelle que les néolibéraux ont réussi à imposer un gouvernement de 1% pour le 1% par le 1%.

En Europe les dégâts sont énormes surtout dans l'Europe de l'Est, les nouvelles démocraties postcommunisme et l'Europe du Sud comme, notamment la Grèce, où l'Etat endetté est dans l'impossibilité de moyenner la dette sociale, c'est-à-dire la dette de l'Etat providence par le recours du Trésor à la banque centrale, ce qui oblige l'Etat, les services sociaux et les collectivités locales à s'endetter auprès des marchés financiers, entrant dans la spirale de remboursement de la dette et des intérêts faramineux qui ne finiront jamais jusqu'à la faillite de l'Etat qui a transféré délibérément son droit régalien aux bailleurs de fonds.

Les pays les plus touchés sont dépossédés du pouvoir concédé par leur «démocratie représentative» au créancier universel.

* Avocat tunisien basé à Paris.

Illustration: Rached Ghannouchi reçoit l'ambassadeur américain Jacob Walles au siège d'Ennahdha.

 

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