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Le Partenariat Euromed a eu un impact limité sur l'économie tunisienne. Sa contribution à la croissance est faible et son apport à l'emploi quasi nulle. Il faut revoir ce partenariat asymétrique, antiéconomique et inéquitable.

Par Hédi Sraieb*

Quelques rappels s'imposent. Le Partenariat Euromed, dit aussi Processus de Barcelone, a été institué en 1995 à Barcelone. Euromed rassemble les 28 États membres de l'Union européenne (UE) et 12 du sud de la Méditerranée. La déclaration du sommet constitutif énonce les objectifs de ce partenariat: construire ensemble un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée (dixit Wikipedia). L'accent est mis l'intérêt mutuel, équilibré et équitable.

Entre realpolitik et vœux pieux

Il convient d'insister sur le fait que cette approche politique de multilatéralisme régional vise à associer les États des deux rives dans une sorte de relation institutionnelle nouvelle et globale (droits de l'homme inclus) dont les contours vont se dessiner tout au long de près de deux décennies, maintenant.

Très vite cependant, la realpolitik va prendre le pas sur les vœux pieux. La co-définition d'objectifs, la mise en commun de moyens et de ressources n'aura jamais lieu. Il est vrai que le contexte historique est à un retour en force du libéralisme avec sa kyrielle d'attendus.

Un véritable tournant, que dis-je un virage à 180°, est alors pris, qui se traduira en autres choses par une réduction massive de l'aide bilatérale au développement et à laquelle viendront se substituer les financements privés et assimilés.

La sémantique adoptée parle d'elle-même. En lieu et place d'une politique de co-développement servant des intérêts mutuellement avantageux, c'est la Politique européenne de voisinage (PEV) qui va imprimer ses choix.

Trois questions prioritaires sont de façon récurrente, à l'ordre du jour, des rencontres au sommet : la constitution d'une zone de libre échange, l'immigration et la lutte contre le terrorisme. Le tout encadré par une enveloppe financière (programme Meda) de l'ordre de 2 milliards d'euros par an, soit grossièrement 40 fois moins que la somme des aides bilatérales, si elles avaient été maintenues au niveau de celui des années soixante (0,5% du PIB).

Un partenariat «asymétrique»

On sait ce qu'il en est advenu: démantèlement des protections douanières, privatisations, élimination des barrières aux investissements étrangers, promotion de l'initiative privée, de la mise en concurrence mais aussi harmonisation des cadres législatifs et réglementaires: la lubie des agences indépendantes. Un dispositif de mesures insérées dans un accord d'association entré en vigueur précisément en 1998.

On attend toujours le fameux rapport «Impact assessement of the Euro-Mediterranean Free Trade Area» réclamé à corps et à cri par de nombreuses personnalités du régime déchu, ayant eu de hautes fonctions et une connaissance fine des effets produits par cet accord. Effets qu'ils résument du qualificatif détonnant et tranché d'«Asymétriques». Nul besoin de mentionner leur nom.

Pour l'heure ils sont comme le chevalier Roland de Roncevaux (en sens inverse) qui sonne du cor à s'époumoner, nul ne les entend. Pourtant ce n'est pas faute d'insister sur les conséquences pratiques et visibles auxquels ont abouti tous les ressorts conjugués de cet accord de libre échange. Un accord dont ils pressentent par avance les nouveaux méfaits et dégâts que pourraient engendrer ses prolongements: la signature l'accord de libre échange complet et approfondi Aleca en cours de négociation.

Soyons juste: Tout n'est pas tout blanc ou tout noir. Le premier accord à donner lieu aussi à la manne de la mise à niveau. Pas moins de 400 millions d'euros. Autant dire qu'il n'y a pas eu que des perdants. Un couplage jugé gagnant-gagnant: ouverture du marché à la concurrence contre fonds de restructuration-modernisation. De facto nombre de PME en ont bénéficié. On estime leur nombre à plus de 3000 ce qui donne une idée des heureux bénéficiaires de ce financement en argent frais et quasi gratuit: subventions d'études, apports en capital, primes diverses.

Antiéconomique et inéquitable

Un impact cependant limité, et tout compte fait une «légitimité économique» contestable de l'aveu même de la Banque Mondiale qui, neutre dans cette affaire, n'en conclut pas moins que les gagnants sont, dixit, «les grandes entreprises et les entreprises exportatrices qui bénéficient également des généreux avantages à l'investissement du régime off shore».

Une critique sévère puisque la contribution de cette mise à niveau se serait soldée par une croissance additionnelle de 0,65% et un effet quasi nul sur l'emploi. Et la Banque de conclure que le programme apparaît à bien des égards comme antiéconomique et inéquitable. (''Revue des politiques de développement'', octobre 2004). Un jugement sans appel, mais ignoré par notre intelligentsia économique.

C'est donc un accord de type nouveau qu'il nous faut. Un partenariat plus équilibré qui tienne réellement compte des besoins réels du pays en non plus seulement des intérêts singuliers de ce la Banque Mondiale nomment les «capteurs de primes».

Une nouvelle orientation avait pourtant été esquissée et promue par l'ex-président français Nicolas Sarkozy au travers de l'initiative de l'Union pour la Méditerranée (UpM). Une tentative de recentrage, en quelque sorte de co-développement, avant l'heure, sur des questions essentielles et partagées: l'eau, les énergies nouvelles, le devenir de la mer Méditerranée et les questions environnementales. Une initiative restée dans l'impasse, lettre morte, pour des raisons bien trop nombreuses pour être évoquées ici.

Engager le dialogue sur d'autres bases

Toujours est-il qu'à l'occasion des rencontres (déjà entamées) de l'Aleca, nos négociateurs devraient saisir l'occasion, de cette conjoncture inédite, pour se départir de la démarche technocratique opaque et désuète, de «compétences nationales» au service du pays (secret des discussions, et au final, capitulation devant l'inacceptable). Ils pourraient saisir ce moment historique, prendre à témoin l'opinion et la représentation nationale, pour engager le dialogue sur d'autres bases.

Sur le fond comme sur la forme, nous savons à quoi nous en tenir. La Commission Européenne ne s'en cache d'ailleurs pas: plus d'ouverture des frontières, garanties accrues de libre circulation des capitaux. Les secteurs convoités et brigués sont également connus: les biens publics, les services bancaires et financiers, et autres du tertiaire supérieur. La toute nouvelle «mode intellectuelle» à Tunis des Partenariats Publics Privés (PPP) ne doit rien au hasard. L'alpha et l'oméga de la nouvelle politique économique. Mais c'est un autre sujet.

Faire connaître des objectifs pour la décennie en lieu et place de communiqués sibyllins relayés par une presse désinvolte pour ne pas dire complaisante. Les causeries louant «l'aide européenne» et autres articles encensant «le soutien et l'accompagnement du pays dans sa transition» masquent décidément le vieil adage: charité bien ordonnée commence par soi-même. L'Europe libérale n'a rien du bon samaritain.

Alors à quand un «plan» eau, soleil? A quand une agence du littoral méditerranéen?

A quand un fond d'investissement public pour des opérations d'intérêts communs?

A quand l'accès sans réserves ni restrictions d'aucune sorte au programme Erasmus?

Faudra-t-il ne compter – en contrepartie de concessions, apparentées à de nouveaux abandons de souveraineté – que sur de nouvelles lignes de crédit de promotion des PME (sic) et la venue de nouveaux investissements directs étrangers (IDE).

La Banque européenne d'investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) sont déjà là avec leur project screening. Cela sent encore la duperie, mieux à la duplicité du «I smell dollars», également partagé par «certains» des deux rives... Reste que le peuple veille, désormais.

* Docteur d'Etat en économie du développement.

 Illustration: ''Les Dessous des cartes'' (Arte).

 

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