salafistes jihadistes 8 27Quelles sont les actions et les initiatives diplomatiques susceptibles de contribuer à identifier et à neutraliser les sources de menaces d'origine étrangère ou soutenues de l'étranger qui visent à porter atteinte à la sécurité de la Tunisie.

Par Ahmed Ben Mustapha*

L’analyse de la situation en Libye prouve que l’instabilité qui y prévaut risque de se prolonger indéfiniment voire de se compliquer et de virer au chaos au détriment des pays de la région si une action diplomatique et sécuritaire d’envergure internationale n’est pas entreprise. Mais la diplomatie tunisienne se doit d’entreprendre certaines actions spécifiques en relation avec nos intérêts propres et ce en coordination avec pays arabes et africains concernés ainsi qu’avec les USA et l’Union européenne déjà actifs sur la scène libyenne.

Les Etats-Unis et la lutte contre le terrorisme

Une action diplomatique s’impose afin de neutraliser les menaces sécuritaires provenant de Libye. A priori, la précarité de la situation sécuritaire en Libye et la montée de la menace terroriste dans la région figure au rang des préoccupations de la communauté internationale et des grandes puissances comme en témoigne la récente visite en Tunisie du général Rodriguez, chef des forces américaines en Afrique Africom, qui a réitéré l’engagement des USA à «soutenir la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme par la fourniture des équipements nécessaires, la formation des cadres l’aide au contrôle des frontières et la lutte contre la contrebande notamment dans le domaine de l’armement».

Cette déclaration confirme le rôle militaire assumé par les USA en Libye dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme en Afrique – qui constitue la raison principale de la création en 2007 de l’Africom – étant signalé que les nouvelles autorités libyennes ont officiellement confirmé avoir conclu des accords en vertu desquels ils ont confié à cette force la protection des frontières de la Libye.

Il convient de rappeler que la réunion tenue à Paris en septembre 2011 s’est focalisée sur l’aide à apporter à la Libye pour «une gestion intégrée de ses frontières» et en marge de cette réunion, l’ONU, la Banque mondiale, le FMI et l’UE se sont partagés les tâches (frontières, sécurité, économie, finances publiques et société civile), étant signalé que cette orientation a été confirmée lors d’une conférence tenue à Paris en février 2013.

Toutefois, la situation demeure chaotique en Libye, selon un récent rapport de la diplomatie luxembourgeoise révélé par le site Médiapart, ce qui a poussé l’UE à déployer une nouvelle mission – Eubam – dont la vocation principale est de fournir l’assistance requise à la Libye pour la sécurisation des frontières terrestres et maritimes par la fourniture des équipements requis et la formation des forces de l’ordre. L’objectif ultime est de contrôler et d’empêcher l’émigration clandestine venue d’Afrique considérée comme une menace au même titre que les armes et la drogue.

Le même rapport confirme que la situation aux frontières terrestres est préoccupante car elles sont contrôlées soit par des policiers et des militaires issus des brigades révolutionnaires soit par des groupes armés locaux, étant signalé que le nombre des ex-combattant s’élève à 240.000 et certaines brigades refusent de rendre les armes et ambitionnent d’intégrer les forces armées et de peser sur l’avenir politique du pays.

En outre, certaines zones au sud-ouest sont infiltrées par le groupe Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Mais la lutte contre le terrorisme régional lié à la situation politique et sécuritaire en Libye ne peut se limiter au contrôle des frontières ni aux opérations militaires et sécuritaires en Tunisie qui risquent de s’enliser et de se transformer en guerre d’usure susceptible d’hypothéquer durablement toute transition démocratique en Tunisie, sans compter ses retombées néfastes sur notre économie déjà durement affectée.

En effet, la diplomatie peut efficacement contribuer à l’élimination de la menace terroriste par une action conjuguée à l’échelle régionale et internationale en coordination avec les pays arabes et africains et l’UE qui prévoit d’associer les pays voisins de la Libye à son programme sus mentionné.

Une série d’action concrètes et ciblées

La diplomatie tunisienne doit privilégier les intérêts spécifiques de la Tunisie

Cependant, la Tunisie se doit de faire valoir ses propres préoccupations et priorités dans le cadre de cette coopération qui ne doit pas se limiter au contrôle des frontières mais viser à rétablir la stabilité régionale à travers une série d’action concrètes et ciblées orientées vers les objectifs suivants:

- la réhabilitation du rôle de la Ligue arabe, de l’Onu et des pays limitrophes et voisins de la Libye dans les programmes mis en œuvre pour stabiliser ce pays en tenant compte des intérêts politiques économiques, ainsi que des besoins sécuritaires du peuple libyen et des peuples de la région;

- la restauration de l’ordre et de la sécurité en Libye au profit de l’autorité centrale afin de lui permettre à brève et moyenne échéance de reprendre le contrôle du pays et des zones frontalières, de neutraliser les groupes armés qui refusent de se soumettre et de mettre un terme à la contrebande et à la prolifération des armes dans les pays voisins; à cet effet, les pays arabes et africains limitrophes pourraient, avec l’appui de la communauté internationale, apporter leur concours par la constitution d’une force de maintien de la paix en Libye qui aurait pour tâche urgente de démanteler les camps d’entrainement, les bases arrières, les réseaux et les voies de communication qui alimentent le terrorisme régional. Ainsi, il sera possible de venir à bout des groupes terroristes qui opèrent en Tunisie et d’empêcher leur reconstitution; ـ

ـ oeuvrer en vue de préserver l’unité nationale et territoriale de la Libye sérieusement menacée par les tendances sécessionnistes sus mentionnées qui risquent d’entrainer le pays dans une nouvelle guerre civile aux conséquences imprévisibles à l’échelle régionale et internationale. Il convient de rappeler que la guerre en Libye a suscité un mouvement d’exode massif vers la Tunisie ou la communauté libyenne s’élève désormais à plus d’un demi million de résidents permanents ce qui risque de poser un problème de sécurité car un nombre importants de ces émigrés sont liés à l’ancien régime dont les partisans sont officiellement accusés d’entretenir l’instabilité en Libye;

ــ oeuvrer en vue de mettre un terme aux financements occultes provenant de l’étranger qui nourrissent le terrorisme en Tunisie et à l’étranger avec des complicités locales organisées sous forme d’associations proches de la mouvance salafiste mais dont la vocation réelle est de mobiliser et d’impliquer les jeunes Tunisiens dans les réseaux jihadistes et de les acheminer vers les zones de conflits notamment en Syrie. La diplomatie peut agir à cette fin auprès des pays concernés et des institutions internationales chargées de combattre les sources de financement du terrorisme à l’échelle mondiale;

- procéder à une révision de la stratégie défensive et sécuritaire et développer une coopération militaire avec nos partenaires stratégiques afin de doter notre pays des moyens militaires et sécuritaires adaptés aux nouvelles menaces qui visent la Tunisie;

ــ participer au dialogue national initié par la récente création du centre de recherche pour la sécurité globale de la Tunisie incluant des compétences et des stratèges issues des ministères de souveraineté avec pour objectif de contribuer à la mise en place d’une nouvelle stratégie sécuritaire et défensive, de préserver les intérêts vitaux de la Tunisie et de contrer les menaces et les défis qui lui sont imposés pour le présent et le futur.

En conclusion il importe de souligner que l’efficacité de la lutte contre le terrorisme à l’intérieur et sur le plan international demeure tributaire de l’existence d’un front intérieur uni et d’une perception commune des forces et des acteurs politiques en Tunisie de l’ampleur du danger terroriste et de la nécessité de parvenir à une vision commune quant aux moyens de neutraliser cette menace non point par le seul outil militaire et sécuritaire mais en agissant aussi sur ses causes profondes notamment sur les volets économiques, sociaux, culturels et éducationnels .

* Diplomate et ambassadeur.

 

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