altPour mieux protéger notre droit inaliénable au rire et à la dérision, l’auteur propose d’insérer dans le prochain Code électoral un article qui érige l’autodérision en condition sine qua non d’éligibilité.

Par Houcine Bardi*


Les tyrans ne rient (presque) jamais, ou alors c’est d’un rire hystérique à la Hitler, ou vorace à la Staline. Pis encore, ils font tout pour qu’autour d’eux personne ne rit. Surtout pas d’eux. Le chef doit inspirer une peur bleue à ses «sujets» pour qu’ils se maintiennent en bon ordre. Une peur permanente et toujours plus grande au point qu’elle finit par vous prendre la vie en otage. On ne plaisante pas avec l’autorité, et ceux qui s’y frottent pour la taquiner, même doucereusement, s’y piquent tellement fort qu’ils ne sont pas prêts de récidiver. Voyez le pauvre Oueld Baballah (qu’il ne m’en tienne pas rigueur), plus d’un an après la fuite du déchu il n’a pas voulu remettre «ça» sur le tapis…

Le rire comme antidote contre la peur

Le rire devient d’autant plus «dangereux» et «dévastateur» pour le pouvoir, quand il est largement diffusé. Sans l’imprimerie de Gutenberg, les tournures et inversions langagières assassines de Rabelais n’auraient pas connu le succès massif qui fit trembler trône et église jumelés; «gentilshommes» devenait dans sa bouche gens pilles-hommes, le «service divin» service du vin, et le Pater Noster «Seigneur Dieu, donnez-nous notre vin quotidien».

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L'humoriste Ouled Baballah.

Il en est de même de Beaumarchais, lui qui riait de tout de peur d’être obligé d’en pleurer, de Voltaire, de Diderot, d’Érasme, etc. Tous de grands esprits qui savaient rire et qui avaient trouvé refuge dans la richesse inépuisable du vocabulaire pour faire preuve d’insoumission subtile face à la tyrannie. La vertu désaliénante du rire fût leur antidote contre la peur qui, comme tout un chacun le sait, est encore davantage plus contagieuse que la peste.

La célèbre photo d’Einstein, les yeux exorbités de joie et tirant la longue (quel sacrilège !), a fait, et continue à faire – pour notre bonheur et celui de tous ceux qui ont le cœur léger – le tour du monde (bientôt les marsiens la découvriront) pour signifier que celui qui ne sait pas rire ne peut être sérieusement sérieux; les films de Woody Allen (tout autant que sa prose croustillante…), les sketches de Coluche, Groucho Marx (aucun lien de parenté avec Hamma), etc., nous enseignent la vie… jusqu’aux larmes.

Chez nous, il n’est pas bon de rire… des gouvernants. Eux, par contre, peuvent s’arroger le droit de ridiculiser les «zéros virgule…». Fait du «prince vinqueur» oblige, il ne faut pas y voir la moindre once de méchanceté. A dire vrai, j’en rie moi-même… mais pas pour les mêmes raisons.

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Le comédien Lotfi Abdelli.

Le peuple reconnaissant à ses guignols dirigeants

Pour vous la faire courte: après les déboires de Lotfi Abdelli, des guignols, Ârbi Mezni, ouled Ahmed, et sans doute bien d’autres poètes, humoristes, caricaturistes, acteurs, auteurs… qui se sont fait taper sec sur les doigts… et les gueules aussi (menaces de mort, tabassages et procès en justice…), à cause des lèse-majestés répétitifs dont ils se sont rendus «coupables», il m’est venu à l’esprit de faire une proposition des plus sérieuses à notre gravissime législateur (les mauvaises longues le qualifierait d’ennuyeux, tel n’est bien évidemment pas mon cas) afin de l’aider à mieux protéger notre droit inaliénable au rire et à la dérision. Voici ma proposition (je sais que Brahim El-Gassas s’en fera le fervent défenseur): insérer dans le prochain Code électoral un article qui érige l’autodérision en condition sine qua non d’éligibilité. La règle d’or massif – pas celle en plaquée or de Sarkozy ou de Hollande – sera inscrite ainsi en lettres capitales sur le fronton de la future Assemblée: ceux qui sont incapables de rire d’eux-mêmes, ne méritent pas de nous gouverner. Signé: le peuple reconnaissant à ses guignols dirigeants.

En application de ce principe cardinal, une Haute instance nationale indépendante du rire (Hinir) sera mise en place, qui aura pour mission «de salut public» de soumettre les candidats au test de l’autodérision. Ainsi on jaugera l’aptitude à gouverner de nos futurs dirigeants: «Celui dont la balance sera lourde (qui nous fera pisser de rire, par exemple) aura la vie bonne». Une vie bien pépère au cours de laquelle il pourra nous mentir, nous voler… en un mot nous entuber, mais cela se fera au moins dans la joie et la bonne humeur… «Quant à celui dont la balance (du rire) sera légère, sa destinée sera l’abîme. Et qui te dira ce que c’est? C’est un feu ardent». Ce qui aura au moins l’avantage de faire réfléchir deux fois plutôt qu’une les candidats grincheux, et autres pseudo-guignols dont regorgent l’Assemblée nationale constituante (Anc) et le gouvernement, qui nous ont pourri les précédentes élections en les transformant en vraies funérailles.

Ne pas nous faire mourir de rire indigné

Tous les types de rire, à l’exception du vulgaire et du snob, sont admis dans la course à la candidature : qu’il soit jaune, spirituel, loufoque, cynique, sarcastique, chaleureux, grivois, indigné, gouailleur, étonné, graveleux, etc. tout est le bienvenu. L’important étant de faire et se faire rire sans modération…

Seule limite à cette compétition, parce que, vous imaginez aisément, qu’il en faut bien une: ne pas nous faire mourir de rire indigné, comme cela pourrait bien être le cas si par malheur la chienlit de la «troïka», la coalition au pouvoir, venait à se prolonger au-delà du 23 octobre prochain!

* Docteur en droit, avocat au Barreau de Paris.


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