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La nouvelle Constitution tunisienne est juste passable, mais l'on se doit de reconnaître que vu les circonstances, le paysage politique actuel et les forces en présence, le résultat final est, somme toute, historique et ne devrait aucunement être dédaigné.

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

La constitution pour la Deuxième république vient, finalement, mais difficilement et après plus d'un an de retard, d'être votée article par article, en attendant sa prochaine adoption aux 2/3. Elle est, sans doute, à l'image du pays, c'est-à-dire, objet de tiraillements et de dissensions entre idéologies et projets de société différents, voire antagonistes. Elle ne satisfera donc aucun parti ou courant politique d'une manière totale. Rares seront, cependant, ceux qui oseront la récuser entièrement, en raison de ses indéniables avancées en matière de droits et libertés.

Elle est, en somme, œuvre humaine, frappée, forcément, du sceau de l'imperfection.

Les ambiguïtés de l'article 6

L'article 6 est, de ce point de vue, emblématique dans la mesure où, d'une part, il donne droit à la liberté de conscience – une première dans le monde arabe alors qu'un pays musulman comme l'Indonésie le reconnaît depuis longtemps sans que l'on puisse dire, pour autant, que le culte de Satan y soit vraiment prospère!

Le vice-rapporteur du projet de constitution ne s'est-il pas servi d'un prétexte aussi futile pour justifier son refus de voter cet article qui accorde à nos concitoyens la liberté de choisir leur foi ou, tout bonnement, de ne pas en avoir.

D'autre part, le même article 6 prohibe l'atteinte au sacré sans plus de précision quant à une définition juridique du sacré et de la nature des atteintes que l'on pourrait lui porter.

Ici, le risque est grand de voir les paroles d'une chanson, une caricature ou tout autre œuvre d'art considérées comme attentatoires aux croyances religieuses de telle ou telle partie.

Il est bien à craindre donc que nous aurons à connaître, dans un avenir proche, hélas, d'autres affaires Jaber Mejri et d'autres occasions pour un État souverain comme le nôtre de ne pas assumer une de ses responsabilités essentielles, celle d'assurer la sécurité à ses ressortissants et de s'en décharger sur un pays tiers, à l'instar de ce qui vient de se produire dans le cas de Jaber récemment extradé vers la Suède.

Serons-nous condamnés, comme aux époques les plus sombres de l'humanité marquées par l'intolérance et le fanatisme religieux, à devoir, qu'à Dieu ne plaise, défendre, à la suite de Voltaire, des jeunes aussi «coupables» que le fut, en son temps, le Chevalier de Le Barre, condamné au supplice de la roue pour avoir chanté, durant le carême, une chanson aux paroles jugées alors impies?

Ainsi, pour beaucoup de démocrates, cet article 6 ne pourra que constituer un sujet d'insatisfaction.

Les constituants auraient pu mieux faire

Malheureusement, il n'est pas le seul article à produire cette fâcheuse impression. Comment ne pas être indigné, en effet, qu'une constitution rédigée au XXIe siècle et faisant suite à un mouvement révolutionnaire, ne décrète pas d'une manière explicite et définitive l'abolition de la peine de mort? Pis encore, cette constitution fait peser une menace sur le droit reconnu jusqu'ici aux femmes de mettre volontairement un terme, dans le respect de la loi, à une grossesse jugée indésirable?

Quel jugement devrait-on encore porter sur une constitution dont la frilosité est telle qu'elle répugne à inscrire clairement la Déclaration universelle des Droits de l'Homme parmi ses références?

Bien sûr, et fort heureusement, il y a l'article 48 qui stipule qu'aucune modification ne pourra remettre en cause les droits et libertés reconnus par la présente constitution. Article qui interdit aux lois qui auront à fixer la pratique de ces droits et libertés de toucher à l'essence de ceux-ci.

Bien sûr, il y a, également – et on ne peut que se louer d'une pareille avancée – la parité entre l'homme et la femme à instaurer au niveau électoral. Avancée encore la reconnaissance de l'égalité des deux sexes aux yeux de la loi, même si cette égalité ne couvre pas certains domaines comme celui de l'héritage.

Cerise sur le gâteau, enfin, la création d'une Cour constitutionnelle qui aura à contrôler la constitutionnalité des lois et dont les compétences s'étendent jusqu'à la destitution éventuelle du Président de la République.

Bref, il serait mal venu de bouder entièrement notre plaisir, même si celui-ci n'est pas total. L'on pourrait donc dire que la copie rendue par l'équipe des constituants est passable et que ces derniers auraient pu mieux faire. Mais, pragmatisme et réalisme obligent, l'on se doit de reconnaître que vu les circonstances, le paysage politique actuel et les forces en présence au sein de l'ANC, le résultat final est, somme toute, historique et ne devrait aucunement être dédaigné.

Tout en gardant à l'esprit que la meilleure constitution du monde n'est qu'un garde-fou contre les dérapages et les dérives d'un exécutif tenté, éventuellement, par un exercice hégémonique du pouvoir. Toute constitution reste, au final, tributaire de l'interprétation que l'on voudra bien en faire.

Qu'à l'arrivée, la nouvelle Loi fondamentale porte le paraphe, entre autres, d'un membre du parti islamiste au pouvoir Ennahdha peut, finalement, être admis. Ce qui, aux yeux de nombre de démocrates, l'est beaucoup moins, c'est que notre nouvelle constitution portera, par un caprice d'enfant gâté, la signature du responsable qui a autorisé le tir de balles de chevrotine sur les jeunes de Siliana (Ali Larayedh, NDLR)! Celle du premier responsable de notre sécurité qui, tant au ministère de l'Intérieur qu'en occupant la primature, a fait montre d'une certaine complaisance envers les salafistes jihadistes et autres graines de terroristes. Celle du premier responsable de notre sécurité dont les négligences, non publiquement assumées à ce jour, nous ont tant coûté en sacrifices parmi nos soldats et forces de l'ordre!

Cette signature au bas de notre constitution n'est-elle pas, en quelque sorte, une injure faite à la mémoire de nos martyrs qui ont pour noms Lotfi Nagdh, Chokri Belaïd et Mohamed Brahim ainsi qu'aux veuves et orphelins de ceux-ci?

Enfin, n'est-ce pas encore par caprice d'enfant gâté et afin qu'il appose son paraphe sur la future Loi fondamentale, que l'actuel Premier ministre, officiellement démissionnaire, a fait lanterner son successeur désigné durant deux semaines? Au mépris, cela va sans dire, des intérêts vitaux du pays qui ont un besoin urgent de redressement !

* Universitaire.

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