Nida TounesComme elle sera belle la démocratie promise entre les bras d’hommes d’affaires tout puissants dont on n’a jamais interrogé le passé...

 

Par Hédia Yakhlef*

Des voix me parviennent acerbes, lourdes de reproches, étonnées par «tant de sévérité» et de «hargne» mises dans mes propos. Pourquoi ces violentes charges contre un parti que j’ai soutenu et aux activités duquel j’ai été, deux ans durant, étroitement associée en tant que membre fondateur du bureau régional de Sousse et de la structure nationale!

Entre servilité et indiscipline

Qu’une «petite main» se retourne contre sa «hiérarchie», conteste le choix de ses «saints patrons» et fasse acte d’indiscipline en adoptant une attitude critique, semble agacer vivement certains esprits prompts à la résignation pour ne pas dire à l’obéissance aveugle et la servilité.

La messe est dite, les entend-t-on dire, les dés sont jetés et les jeux sont faits; à quoi cela sert-il de s’entêter? Il n’y a maintenant qu’à aller de l’avant, à être «positif» et à se plier à ce «magister dixit», manifestation d’une volonté supérieure à laquelle on ne peut s’opposer!

Ce fatalisme m’irrite et cette docilité me révolte surtout quand j’y décèle cette vieille graine de la servitude toujours prête à germer sous l’enveloppe de l’«attitude positive» féconde de défaitisme et de renoncement. Peu importe donc que les dés soient pipés. Quand les cartes sont tirées, on joue sans faire attention à la dégaine du valet de pique ni trop regarder comment la dame de cœur est chamarrée. Comme au bonneteau, seules les couleurs comptent; rouge ou noir; le choix n’est pas dans les valeurs; mais dans cette dualité élémentaire du pour ou contre qu’on veut nous enfoncer dans le crâne. Il n’y a pas alors lieu de finasser et d’aller chercher de quoi les uns et les autres sont le nom.

A la tête de Nida Tounes on pense, en effet, que les élections prochaines seront des élections de rejet de l’adversaire et non des élections d’adhésion. Peu importe donc la politique qui sera suivie ou la qualité des gens qui la portent; on se permet d’être évasif et général sur la première et peu regardant sur les seconds pourvu qu’ils soient sonnant et trébuchant.

L’argument du bâton

On table sur ce pari et gare à ceux qui ne prennent pas le pli. La «galette» est ainsi attribuée aux «rois», les miettes, promises aux godillots et la trique aux récalcitrants. Parce que, laisse-t-on entendre, dans un délire obsidional, à ses brebis égarées des réfractaires que la main ferme de la discipline va passer pour arracher les poireaux qui sortent de la ligne.

Un communiqué comminatoire de la direction du parti est venu le rappeler aux dissidents, tout franc tireur sera désigné à la vindicte et sans pitié écarté sinon exclu !!! Faut-il, à l’argument du bâton, qu’on s’incline et baisse pavillon? N’ayant ni siège en perspective ni quelque strapontin comme ambition, moi, je refuse d’obtempérer et persiste dans l’expression libre de mon opinion.

La tisane partisane n’est pas de mon goût. J’ai pour devise cette belle saillie du fin lettré Prince de Ligne «l’humeur, l’honneur, l’horreur» qui éclaire ma voie s’agissant des chemins obscurs du politique surtout.

L’humeur : non pas cette bile noire ou ces troubles qu’on nous attribue, femmes, quand nous nous engageons à défendre crânement nos convictions, mais cette puissance d’agir, ce défi à la peur qui monte en nous et nous pousse à affronter les dangers physiques des actions de rue à chaque fois qu’il y a péril en la demeure et qui délie nos langues là où il y a une vérité à dire ou une injustice à dénoncer. Loin de moi d’être «les Tunisiennes», mais je suis de celles qui ont pris sur elles d’abandonner leur confort douillet pour monter au front d’une bataille contre l’obscurantisme et la régression.

L’humeur c’est cette force qui coule en nous, chaque jour renouvelée, pour reprendre le combat quand les bras s’alourdissent par la répétition de l’effort et le poids des tâches à réaliser.

L’humeur c’est ma résistance, mon entêtement à dire non quand tous s’alignent en poulets de batterie caquetants et suivent en moutons de Panurge bêlants une volonté suprême ou les diktats d’une direction.

L’humeur, mon flux vital, mon électricité, ma haute tension; l’humeur ou ce qui reste en moi de cet immense enthousiasme soulevé par la révolution et qui fait que je continuerai à lutter contre ce qui me semble retour en arrière ou trahison.

Le péril de l’autocratie

L’honneur : non pas celui qui s’accroche à la mystique d’une société où règne encore l’ordre du père mythifié et à l’ordre des transcendances fantasmées mais celui d’une société moderne où l’engagement se décline en responsabilité. Car que valent nos discours si on ne s’en tient pas aux principes énoncés et aux valeurs dont on s’est réclamé !

L’honneur n’est pas dans cette bête «loyauté» à un parti qu’à un moment de l’histoire on a épousé mais il est dans cette fidélité à ces promesses qu’un jour on a proclamées. Où en sommes-nous du respect de la parole donnée quand on voit le péril de l’autocratie pointer son nez de nouveau? La liberté, la dignité et la justice promises seront elle garanties par un pouvoir qui, plein d’indices portent à le croire, sera entre les mains des plus nantis?

Des voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer l’hégémonie des puissances d’argent, mais en est-on encore là? Passe encore l’homme d’affaire qui désire se positionner; aujourd’hui on est face à une nouvelle race de magnats qui ont l’ambition de tout contrôler et qui remettent en cause le principe même de la séparation des pouvoirs au fondement de la démocratie.

Ces «intégralistes» du pouvoir, fers de lance dans la compétition des partis pour la conquête du futur parlement, aspirent à manipuler toutes les manettes : le pouvoir économique qu’ils détiennent déjà et qu’ils manient avec habilité, le pouvoir médiatique qui leur assure notoriété et célébrité et qu’ils cherchent à acquérir par l’achat d’organes de presse et de télévision, le pouvoir du spectacle (l’entertainement ) qui assoit leur popularité chez les masses communiant dans le sport et l’enthousiasme du cirque, et le pouvoir politique enfin qu’il achètent sans vergogne grâce au flot de liquidités et qu’ils ne manqueront pas de mettre, demain, au service de leurs intérêts.

Comme elle sera belle la démocratie promise entre les bras d’hommes tout puissants dont on n’a jamais interrogé le passé fiscal, ni l’origine des capitaux accumulés quand on sait sur quelles spoliations d’hier se sont faites les fortunes d’aujourd’hui !!!

Ce n’est certainement pas mon cher parti qui ira fouiller dans les registres de ces vendeurs de pilules ou «promoteurs de résidence chez les anges», il s’en accommode visiblement, fussent-ils marchands d’orviétan et la conscience tranquille de surcroît parce que l’espèce est des plus répandues sur le marché électoral en ce moment.

L’honneur c’est dénoncer cette mise sous tutelle du politique par les lobbys, c’est répondre au souci d’équité pour lequel on s’est engagé et remplir les termes de notre mission qui sont Liberté, Dignité et Justice.

L’honneur est de refuser toute trahison et de tenir ferme sur cette séparation des pouvoirs vitale pour la démocratie. L’horreur enfin : ce dégoût physique, cette fureur à l’idée que l’irréparable est en marche, que le pacte avec le diable sera bientôt scellé.

L’horreur est dans ce cri qui déchire ma gorge et brise mon cœur de l’effroi de nous voir demain «cogérer» le pouvoir avec ceux qui ont fait germer la culture de la mort dans mon pays; ceux qui directement ou par personnes interposées ont maculé notre Tunisie de sang innocent et qu’on ose nous présenter comme incontournables pour les affaires du pays.

L’horreur est dans ce rejet viscéral de la «raison» théologique qu’on nous instille par dose réduite et qui finira par nous tuer comme elle est dans cette révolte contre le cauchemar de voir resurgir du passé un pouvoir livré à une camarilla profitant du naufrage de l’âge d’un homme politique sur l’île de la vieillesse exilé, de voir revenir sur scène, toute honte bue, toute la domesticité de la dictature renversée.

L’horreur de cette inassimilable image de l’avenir fracassé, de cette réalité dans laquelle le pays s’est enlisé.

Humeur, honneur et horreur c’est peut-être là une triade d’un autre âge, humain trop humain qui ne peut mais devant le cynisme de la classe politique qui règne en ce moment en Tunisie; grandeur humaniste à laquelle je ne suis pas prête à renoncer.

 

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