Les pétro-monarques veulent-ils vraiment la démocratie dans les républiques arabes en révolte?

La violation des ambassades américaines dans les pays arabes sera-t-elle un électrochoc pour les Américains, qui seront moins tolérants envers les islamistes et leurs protecteurs dans la région, les Saoudiens et les Qataris?

Par Rachid Barnat

Sous Bourguiba puis sous Ben Ali, un mouvement d'opposition religieux s'est installé petit à petit en Tunisie. Il se radicalisera suite aux répressions dues aux deux présidents. Mais très vite ses hommes seront récupérés par les pétro-monarques.

Certains des dirigeants de ce mouvement religieux partiront en exil en Angleterre, au Soudan, où certains ont croisé le chef terroriste Oussama Ben Laden, en Arabie ou au Qatar. Il ont été financés et soutenus par les pétro-monarques du Golfe et d'Arabie qui ont misé sur les extrémistes pour propager leur wahhabisme, excellent outil politico-religieuse de domination des peuples!

Après la révolution des jeunes tunisiens du 14 janvier 2011, ces dirigeants sont rentrés en masse avec à leur tête le fondateur de leur mouvement, Rached Ghannouchi. Opportunistes, ils se sont emparés de la révolution tunisienne à laquelle ils n'ont pas participé et qui, nous le savons, n'a jamais été «religieuse», pour tenter de remodeler la société tunisienne et la conformer au modèle sociétal de leurs généreux donateurs : le Qatar et l'Arabie.

Les pétro-monarques du Golfe.

Le double langage qui ne trompe plus personne

La révolution tunisienne sera l'initiatrice des mouvements d'indignation qui se sont multipliées parmi la jeunesse de nombreux pays aussi bien dans le monde dit «arabe» qu'en Occident.

Tous ces jeunes «indignés» rejettent le double langage des hommes politiques et aspirent à de nouvelles pratiques politiques, justes, transparentes et éthiques.

Les chefs d'Etats les ont-ils compris? Les chefs des partis du «printemps arabe» les ont-ils compris eux aussi? Je crains que non!

Autrement, qui peut admettre que des pétro-monarques veuillent se mêler de révoltes du monde dit arabe sous prétexte d'aider à l'instauration d'un régime démocratique dans des républiques en transition? Qui peut croire que des pétro-monarques veuillent la démocratie pour les républiques, eux dont les peuples sont toujours soumis au totalitarisme d'une dictature de type religieux?

Une fois de plus, il est curieux et étonnant de la part des pétro-monarques, qatari et saoudien, de vouloir se mêler de problèmes des républiques... assurant œuvrer pour y instaurer la démocratie! Quelle plaisanterie de la part de monarques au pouvoir absolu! C'est, pourtant, ce que l'émir du Qatar vient de faire en «convoquant» chez lui toute l'opposition syrienne, l'obligeant à s'organiser...

Ghannouchi et l'émir du Qatar.

C'est à se demander de quel pouvoir dispose cet émir pour arriver à ce à quoi d'autres dirigeants, autrement plus puissants, ne sont pas parvenus. Disposerait-il du meilleur service diplomatique du monde ou a-t-il «acheté» les opposants syriens comme il a «acheté» ceux des autres républiques en révolte: Tunisie, Libye, Egypte, laissant le soin à son frère ennemi saoudien de s'occuper de son voisin immédiat: Yémen..., pour s'assurer une meilleure mainmise sur les révoltes du printemps arabe et orienter la politique à venir de ces pays? En un mot pour avorter ces révolutions! Ce que les Tunisiens découvrent de jour en jour!

Autrement, qui peut croire un seul instant à une telle supercherie de la part de monarchies totalitaires dont celle du Qatar, qui ne dispose toujours pas de constitution!

Le double langage des Américains et des Européens détonne par rapport aux aspirations de leur jeunesse qui s'indigne de tant d'hypocrisie quand leurs dirigeants assurent vouloir la démocratie dans les pays en révolte mais soutiennent dans le même temps des pétro-monarques rétrogrades et obscurantistes, qui veulent se mêler de ce qui ne les regarde pas sous prétexte d'aider à l'instauration de la démocratie dans les pays en question...

Ghannouchi entre le président du CA d'Al-Jazira Hamad Ben Thamer Al-Thani, et du directeur général de la chaîne Ahmed Ben Jassem Al-Thani, septembre 2012.

 Les Occidentaux et la supercherie de l'islamo-démocratie

Qui peut croire que les chancelleries américaines et celles des pays démocratiques en général ignorent le wahhabisme et son obscurantisme dangereux, et les intentions hégémoniques des pays exportateurs de cette doctrine?

Il faut être naïf pour ne pas comprendre que l'intérêt premier des pétro-monarques est de faire avorter toute velléité de révolution trop dangereuse pour leur trône!
Comme il faut être naïf de croire que des religieux extrémistes puissent devenir des islamistes modérés. Ce qu'étaient les Rached Ghannouchi, Moncef Ben Salem, Hamadi Jebali... dans les années 80, et dont le président du parti islamiste Ennahdha garde encore aujourd'hui un souvenir ému, au point d'excuser la violence des jeunes salafistes terrorisant quotidiennement les Tunisiens, qui lui rappellent sa propre jeunesse, dit-il narquois.

Que dire de la realpolitik, qui consiste à fermer les yeux sur les exactions de vos «amis» auxquels vous lient de juteux contrats commerciaux, sinon qu'elle doit avoir pour limite la morale, une morale que tous les «indignés» appellent de leur vœu !

Quant aux chefs des partis religieux qui, opportunistes, ont récupéré les révolutions arabes, grâce au soutien sonnant et trébuchant des pétro-monarques, leur double langage ne trompe plus personne.

Car tous ces islamistes se prétendent modérés pour se distinguer de ceux qu'ils nomment faussement les salafistes extrémistes, et qui ne sont, en fait, que leur base violente, pour créer la confusion dans l'esprit des gens, alors que ce qui fonde tous les partis islamistes c'est justement le salafisme!

Ghannouchi dédicace son livre "La démocratie et les droits de l'homme en islam", Doha, Sept 2012 publié par le Centre d'études d'Al jazira.

Comment peut-on croire à la modération d'Ennahdha quand certains de ses militants de proposent d'assassiner un opposant après avoir terrorisé d'autres comme le Pr Jawhar Ben Mbarek, qu'ils ont menacé d'égorger, et sont passés à l'acte en perpétrant le premier assassinat politique depuis le 14 janvier 2011 sur la personne de feu Lotfi Nagdh, représentant du parti Nida Tounes à Tataouine?

Le plus révoltant, c'est que les pays occidentaux font semblant de croire à cette prétendue modération des partis islamistes au pouvoir... reproduisant leur aveuglement face aux dictatures «dégagées»! Quelle hypocrisie!

Les récents événements tragiques vont rappeler à l'ordre Américains et Européens, qui ne peuvent fermer les yeux longtemps sur le danger que leur font courir à eux aussi leurs amis saoudiens et qataris!

Ce que les wahhabites feront des peuples en révolte, ils le feront aussi, tôt ou tard, en Occident; car tel est le vœu du fondateur de cette funeste doctrine: «wahhabiser» le monde entier par tous les moyens, violence comprise; et éradiquer définitivement tous les mécréants (entendre: tous ceux qui refuseront le wahhabisme) ! C'est une mission divine, prétendent-ils!

Or derrière les attentats spectaculaires du 11 septembre 2001, les services secrets américains ont découvert que les Saoudiens étaient bien impliqués, par le nombre de terroristes de nationalité saoudienne ou ayant un passeport saoudien, mais aussi par le financement – direct ou indirect – de nombreux attentats perpétrés sur le sol américain, dont celui du 11 septembre !

Depuis, les Saoudiens et leur frère ennemi l'émir du Qatar ont changé de stratégie : ils financeront et soutiendront les islamistes «étrangers» pour les aider à prendre le pouvoir dans leurs pays respectifs et à «wahhabiser» leurs peuples.

Pour cela, le «printemps arabe» va leur donner l'occasion rêvée d'étendre leur hégémonie sur les républiques en révolte (Tunisie, Egypte, Libye, Bahreïn, Yémen, Syrie...) et d'essayer de déstabiliser ceux qui ne le sont pas encore: Algérie, Mali, Maroc, Niger... afin qu'ils rejoignent les pays tombés déjà entre leurs griffes et où le wahhabisme fait déjà des ravages: Afghanistan, Pakistan, Soudan, Somalie...

Faire barrage au salafisme wahhabite envahissant

Et voilà comment notre Tunisie d'obédience malékite, c'est-à-dire tolérante, pacifiste, pratiquant l'exégèse permanente voulue par le Coran et ne donnant aucun pouvoir à un clergé autoproclamé de réguler la foi des gens, va tomber dans le salafisme des islamistes wahhabites, connu pour son intolérance, son dirigisme et sa violence au point de heurter nos traditions religieuses par leurs comportements ostentatoires et leurs tenues vestimentaires d'importation qui font injure aux tenues traditionnelles des Tunisiens (jebba) et des Tunisiennes (safsari, lahfa, fouta, la taqrita....).

Ghannouchi au colloque international d'Al-Jazira sur "les islamistes et les révolutions arabes", Doha, septembre 2012.

C'est aux Tunisiens de faire barrage au salafisme wahhabite envahissant et liberticide, comme l'avaient fait avant eux leurs arrières grands parents! Car il heurte leur tradition ancestrale.

Sous couvert de religion, les salafistes font de la politique et le wahhabisme dont ils se servent n'a aucun fondement divin mais résulte uniquement d'un combat humain pour le pouvoir, né au début du siècle dernier dans le désert d'Arabie. On ne le dira jamais assez : derrière les partis islamistes en Afrique du Nord se cache une volonté d'hégémonie du Qatar et de l'Arabie. C'est le néocolonialisme pseudo religieux auquel il est du devoir de tous les patriotes tunisiens de résister!

Jusqu'où les Américains et l'Union européenne les laisseront-ils aller?

Les agressions perpétrés contre l'ambassade et l'école américaines à Tunis, ainsi que la violation des ambassades américaines dans d'autres pays arabes (Libye, Soudan), seront-elles l'électrochoc pour le président Barack Obama qui lui fera changer sa politique de tolérance envers les islamistes?

Et tant qu'à faire, il serait temps que les démocrates occidentaux soutiennent les démocrates «arabes» et les aident à mettre en échec l'interventionnisme des pétro-monarques obscurantistes. Et que les chefs d'Etats occidentaux cessent leur double langage qui indigne tant leur jeunesse... et appellent enfin un terroriste un terroriste!

Les progressistes démocrates tunisiens désespèrent de voir les démocraties à leur côté! Seuls, ils ne pourront pas grand-chose contre des pétro-monarques arrogants dont les pétrodollars font sortir du néant des partis islamistes radicaux tel que Nour en Egypte... arrivé en deuxième position aux dernières élections, faut-il le rappeler! Ce qui risque de se produire aussi en Tunisie où l'émir du Qatar soutient Ennahdha et son concurrent le roi Ibn Saoud soutient Hizb Ettahrir, l'un et l'autre inondant de pétrodollars leurs poulains respectifs au détriment d'une opposition «pauvre» en moyens financiers, condamnant ainsi d'avance tout un peuple qui aspire réellement à la démocratie !

Lire aussi :
Les pétro-monarques veulent-ils vraiment la démocratie dans les républques en révolte? (1/2)