Mehdi-Jomaa-New-York-Washington-Banniere

Les auteurs appellent les Etats-Unis à s'engager davantage dans son soutien à la Tunisie et à son processus de transition.

Par Ellen Laipson & Oussama Romdhani

Le site économique ''International Business Times'' (IB Times), basé à New York a mis en ligne, hier, un article sur la visite de Mehdi Jomaa aux Etats-Unis dans lequel le journal électronique plaide pour le soutien au processus de la transition démocratique en Tunisie, l'augmentation de l'aide américaine à notre pays et le renforcement de la coopération entre les deux pays. La région et tout le monde y trouveraient leurs comptes, selon IBT.

Nous reproduisons ci-dessous une traduction de cet article rédigé par Ellen Laipson, Pdg du think-tank Stimson Center basé dans la capitale fédérale américaine, et Oussama Romdhani, ancien ministre de la Communication sous Ben Ali.

* * *

La visite du Premier ministre tunisien, Mehdi Jomaâ, à Washington représente sans nul doute un moment de répit dans ce qui est devenu un flot ininterrompu de mauvaises nouvelles en provenance du monde arabe. De fait, la Tunisie, le pays où le «printemps» arabe s'est mis en branle, fin 2010, a franchi des étapes appréciables sur la voie de la transition démocratique et enregistré nettement plus de progrès que les autres pays de la région où la revendication du changement était aussi pressante – l'Egypte, la Libye, le Yémen et la Syrie.

Une tradition tunisienne de modération

Le gouvernement des Etats-Unis a tout à fait raison de reconnaître cette réussite du parcours de la transition tunisienne. Soutenir les succès que la Tunisie a déjà réalisés requiert un soutien sans faille des partis politiques tunisiens à l'option consensuelle et un appui financier et politique plus franc de la part des Etats-Unis et de l'Europe, le voisin proche de la Tunisie.

La désignation de Mehdi Jomaa à la tête du gouvernement tunisien a été accueillie avec un optimisme modéré, à la suite de la décision remarquable prise en janvier par Ennahdha de céder le pouvoir, face au désaveu général de l'opinion nationale, et l'acceptation de la solution d'un gouvernement de technocrates.

Ce transfert de pouvoir à Mehdi Jomaâ a très sensiblement atténué la polarisation entre les camps laïc et islamiste et mis le pays sur la voie du partage du pouvoir et de la réconciliation. Cela a également eu pour effet d'installer aux commandes des affaires du pays un gouvernement intérimaire non partisan qui pourra se concentrer sur le double défi du terrorisme et de la récession économique.

Certes, la tâche du gouvernement Jomaâ semble sisyphéenne, mais cette équipe de technocrates peut compter sur une tradition tunisienne de modération politique éprouvée, un héritage de l'ère Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie indépendante. Le «père fondateur» du pays avait mis la Tunisie sur la voie de la modernisation et opté résolument pour la laïcité, l'éducation et l'égalité des sexes. Le deuxième président de la Tunisie indépendante, Zine el-Abidine Ben Ali, a été déposé en janvier 2011 par la jeunesse sans-emploi qui est descendue à la rue pour revendiquer ses droits aux «travail, liberté et dignité».

Les élections d'octobre 2011 ont donné aux islamistes une majorité relative de sièges à l'Assemblée constituante. Les gouvernements provisoires n'ont jamais été capables d'atténuer les difficultés socio-économiques de la Tunisie. Cependant, après de très décennies de règne autocratique, les droits récemment acquis ont permis aux citoyens tunisiens de s'exprimer librement et de s'exercer à la pratique démocratique.

Malheureusement, les salafistes radicaux ont tiré profit de ce nouveau contexte politique et ont pu ainsi lancer leur campagne de violence et leur terrorisme. Le soutien populaire de cette offensive est resté marginal. Par exemple, selon les résultats d'une étude récente conduite par l'Université du Michigan, 93% des Tunisiens ont condamné l'attaque menée par les salafistes contre l'ambassade des Etats-Unis à Tunis, en septembre 2012.

Outre cette tradition de modération, la Tunisie dispose d'indéniables atouts que lui procurent sa situation et son climat méditerranéens, son homogénéité ethnique et religieuse et, très tôt, son acceptation de l'obligatoire principe de la diversification économique, étant donné ses modestes richesses en pétrole et phosphate. La France, l'ancien colonisateur de la Tunisie, demeure le premier partenaire économique du pays. Cependant, cette relation n'a pas suffi à sortir la Tunisie de la récession, notamment au vue du ralentissement de l'activité économique en Europe.

Des problèmes économiques sérieux

Pendant ses deux années de gouvernement, le parti d'Ennahdha n'a jamais pu apporter de solutions efficaces aux difficultés économiques du pays. (...) Face à la pression des populations frustrées par la médiocre performance des gouvernements d'Ennahdha, le parti islamiste a accepté de céder la direction des affaires du pays. Au lendemain des incidents sanglants en Egypte, l'été dernier, les dirigeants islamistes tunisiens ont pris conscience des risques que pouvait représenter leur obstination à s'accrocher au pouvoir plus longtemps.

Nida Tounes, le principal parti laïc tunisien, a joué un rôle crucial dans la réalisation du consensus qui a mis un terme à l'impasse où s'est trouvé le pays pendant plus de deux ans. Eventuellement aussi, il serait capable de jouer un rôle plus important dans l'établissement d'un système «bipolaire» stable et inclusif.

Depuis son accession à la primature, Mehdi Jomaa a identifié avec beaucoup de réalisme les problèmes économiques sérieux auxquels le pays est confronté. Sous sa direction, le nouveau gouvernement a fait montre d'une plus grande fermeté à combattre le terrorisme des jihadistes d'Ansar Charia.

Cependant, cette grande détermination à faire face à ces deux tâches redoutables ne saurait suffire, en l'absence de soutiens interne et externe entiers. Pour pouvoir réussir son pari de surmonter les obstacles socio-économiques, le gouvernement Jomaa a également besoin de l'appui de la centrale syndicale du pays et de l'union patronale.

Récemment, un groupe de personnalités américaines amies de la Tunisie a fait appel au gouvernement des Etats-Unis pour qu'il s'engage encore davantage dans son soutien au processus de transition tunisien, recommandant, notamment, un allégement des conditions de déplacement en Tunisie et la levée des restrictions sécuritaires imposées au personnel diplomatique des Etats-Unis dans le pays, une importante augmentation de l'assistance économique (qui se situe actuellement à un niveau annuel de 30 millions de dollars) et un appui fort à l'accord sur le libre échange entre les deux pays, outre un ensemble d'autres mesures de soutien au secteur privé tunisien.

Etant donné la taille petite de la Tunisie, les Etats-Unis devraient également mettre en oeuvre une stratégie régionale qui soutiendrait plus concrètement la stabilité économique et politique en Tunisie, dans un contexte plus large. Ceci devrait, en effet, être une des priorités du «Dialogue stratégique» Etats-Unis-Tunisie qui sera lancé lors de l'actuel séjour américain de Mehdi Jomaa. Encourager une approche régionale favorisant une plus grande coordination sécuritaire et coopération économique constituerait un pas décisif vers l'établissement de la sécurité dans la région.

A un moment où la Libye souffre d'un vide sécuritaire profond, ce pays pourrait à l'avenir être un grand pourvoyeur d'emplois aux demandeurs d'emploi tunisiens et un partenaire potentiel des entreprises tunisiennes. Des joint-ventures avec l'Algérie et le Maroc pourraient aussi être mutuellement bénéfiques.

En effet, la Tunisie a depuis très longtemps soutenu cette démarche d'une intégration de la région. Alors que le politique des grands voisins a empêché la réalisation de progrès sur ce terrain, les Etats-Unis peuvent encourager cette tendance comme moyen de soutien au leadership de la Tunisie et à ses intérêts stratégiques. Ceci représenterait également une manière intelligente d'accroître l'intérêt et les opportunités de la communauté américaine des affaires et de créer des marchés plus attractifs pour les échanges et l'innovation entre les deux pays.

Traduction de l'anglais par Marwan Chahla

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.