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Alors que plus rien ne va et que le pays s'enfonce dans la crise et se retrouve dans une impasse politique, des Tunisiens se tournent vers leur ancien dictateur, délogé comme un malfrat, et qu'ils appellent, aujourd'hui, à leurs secours.

Par Yüsra N. Mhiri

Le 14 janvier prochain, les Tunisiens célébreront le 3e anniversaire de la révolution de 2011, mais l'immense soulagement ressenti après la fuite de l'ancien dictateur et la chute de son régime répressif a laissé la place, peu-à-peu, à un lancinant sentiment de désespoir.

Les élections du 23 octobre 2011, qui ont ramené les islamistes d'Ennahdha au pouvoir, semblent avoir mis fin à l'euphorie.

Les deux gouvernements islamistes (Hamadi Jebali et Ali Larayedh) ont échoué lamentablement. Aucune promesse électorale n'a été respectée. Pas développement dans les régions défavorisées, ni de création d'emploi. Mais une inflation galopante, une raréfaction de l'investissement et une montée de la violence et du terrorisme.

Pire encore : les libertés, chèrement acquises, sont remises en question et menacées. La justice est instrumentalisée et les nouveaux dirigeants se partagent les rares richesses du pays comme un butin de guerre.

Trop c'est trop... Le désespoir délie les langues et beaucoup de Tunisiens, face à l'impuissance de l'opposition et au renforcement de la dictature des islamistes au pouvoir, se tournent vers leur ancien dictateur. Sous son règne, ils n'étaient pas libres, mais en sécurité. Ils n'étaient pas riches non plus, mais ils vivaient relativement bien. Tant qu'ils ne se mêlaient pas de politique, ils pouvaient s'amuser et profiter de la vie. Aujourd'hui, ils ont peur et sont angoissés face à un avenir incertain.

Pour exprimer leur ras-le-bol, certains ont créé d'abord des pages Facebook, telles que «Pardon monsieur le président», ou encore «Vous nous manquez monsieur le président, vous et votre sécurité», faisant la louange de l'ancien dictateur, lui demandant pardon ou, ironie du sort, reprenant la fameuse phrase prononcée par Ben Ali deux jours avant sa fuite en Arabie saoudite : «Je vous ai compris»! , réplique un internaute.

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Le commerçant de Sfax affiche fièrement les portraits de l'ex-tyran. 

Il y a eu, ensuite, ce commerçant de Sfax qui a posé fièrement à côté d'un portait de Ben Ali, qu'il avait pris soin d'accrocher dans son local... La photo qui fait un buzz monstre sur la toile et dans les médias.

Dans les cafés, les salons de coiffure ou les facultés, on n'a plus honte d'exprimer ouvertement leurs regrets d'avoir poussé Ben Ali à fuir le pays. Florilège: «Si seulement on avait su qu'Ennahdha allait prendre le pouvoir, on n'aurait jamais fait la révolution»... «On paie notre intransigeance à l'égard de Ben Ali, il avait dit ''je vous ai compris'', on aurait du lui laisser une chance»... «Lui, au moins, a su combattre efficacement le terrorisme»...

Il y a quelques jours, sur la chaîne Al-Janoubia, des citoyens se sont totalement lâchés. A l'annonce «Ben Ali sera bientôt de retour», les réactions ont été pour moins surprenantes: «Qu'il soit le bienvenue, on votera pour lui»... «Franchement, sous son règne, c'était mieux. Nous étions au moins en sécurité»... «Je serais heureux si cela s'avérait vrai»... «Je lui dirais merci monsieur le président, que Dieu vous bénisse. Les Trablesi ont certes volé, mais nous n'en avons pas été directement affectés. Et puis, de toute façon, s'agissant de la corruption, cette pratique existe encore aujourd'hui»... «Du temps de Ben Ali, le sang n'avait pas coulé à flot et il n'y avait ni guerre civile, ni terrorisme, ni haine entre les Tunisiens. Le gouvernement actuel a divisé le peuple et c'est son plus grand tort»... «Avec ceux là (par allusion aux islamistes, NDLR), les pauvres se sont appauvris et c'est eux qui ramassent tout, absolument tout, sans se soucier de nous»... «Ben Ali peut revenir à tout moment, mais sans les Trabelsi»... «Aujourd'hui, nous n'avons de toute façon pas de président, mais où est-il ? Il est abonné aux absents. Il ne sert à rien, c'est comme si nous étions sans Etat. Et puis la démocratie, n'est pas faite pour les peuples arabes, voyez par vous-même le résultat»... «J'aimerai aller le voir en Arabie Saoudite accompagné de Raouf Kouka pour lui dire ''monsieur Ben Ali, c'était une caméra cachée''»...

Faut-il blâmer ces gens parce qu'ils regrettent leur ancien oppresseur? Peut-être, mais il faut aussi essayer de les comprendre. Quand on perd l'espoir et qu'on ne voit plus d'issue à l'impasse actuelle dans ce pays, on ne peut éviter de faire des comparaisons. Et ces comparaisons sont, malheureusement, pour le moment, à l'avantage de... Ben Ali.