Les histoires des enfants de couples mixtes séparés se suivent et se ressemblent. La dernière en date, qui oppose la Française Sabine Bruto et le Tunisien Raouf Hanini à propos de la garde de leurs deux enfants, Adem et Iskander, risque de se prolonger indéfiniment dans la tragique banalité de procédures judiciaires entamées dans les deux pays.

 

Sabine et Raouf se sont mariés à Fontenay-sous-Bois (banlieue est de Paris), le 15 janvier 2005. Ils avaient déjà un enfant, Adem, né en septembre 2003. Après leur mariage, Sabine a vécu quelques temps avec son mari, à Djerba. Mais en juillet 2006, alors quelle était enceinte de son second enfant, elle a décidé de rentrer vivre en France avec Adem, alors âgé de deux ans et demi. N’ayant pas  réussi à lui faire changer d’avis, Raouf a dû se résigner à rester dans son île natale, où il avait ses affaires. En septembre, il apprit la naissance de son second enfant: Iskander. Les choses se sont donc moyennement compliquées. Mais les enfants ont continué à partager leur temps entre Djerba et Fontenay-sous-Bois. Pendant les vacances, leur mère les accompagnait elle-même en Tunisie.  
Tout allait plutôt bien jusqu’au 6 mai 2009. Ce jour là, Sabine a demandé officiellement le divorce auprès du Tribunal de Créteil. L’audience de conciliation a été fixée au 26 avril prochain.
Entretemps, les enfants sont rentrés, le 28 juin, à Djerba pour y passer leurs vacances. Leur retour en France était prévu au 6 août. Mais ils ne sont pas rentrés. Le 29 août, leur père a déclenché, à son tour, une procédure de divorce en Tunisie.
Commence alors un marathon judicaire : Sabine refuse de signer l’assignation à comparaître le 23 septembre au Tribunal de Médenine. Elle suit ainsi les conseils de son avocate, qui allègue des vices de procédure. L’audience a tout de même lieu en l’absence de la mère et de son avocate. Le magistrat octroie au père le droit de garde exclusif et à la mère 48 heures de droit de visite par mois, soit 24 heures tous les quinze jours, ce qu’elle est dans l’impossibilité de réaliser financièrement et professionnellement.
Le 14 janvier, nouveau rebondissement: le parquet de Créteil ouvre une information judiciaire pour «soustraction d’enfant» à l’encontre du père. Le 3 février, le Tribunal de Créteil confie la garde des deux enfants à leur mère. Le père fait appel…
La société civile en France s’empare de l’affaire. Des articles dans la presse, des pétitions et des marches de soutien à la mère s’ensuivent. Le 1er mars, un sénateur communiste (Jean-François Voguet) et un député UMP (Patrick Beaudouin) appellent le président Nicolas Sarkozy à soutenir «sans retard» la mère française, dont les deux enfants seraient «retenus» en Tunisie par leur père. «Il est avéré que l’équilibre psychologique des enfants se détériore sensiblement après six mois de séparation avec leur mère», estiment les deux élus qui accusent le père d’user de «manœuvres procédurières». Ils réclament l’application «sans réserve» de la convention franco-tunisienne du 18 mars 1982, relative à l’entraide judiciaire en matière de droit de garde d’enfants, de droit de visite et d’obligations alimentaires.
L’avocate du père, Me Yaël Scemama, souligne à l’AFP que la justice tunisienne a accordé la garde des enfants au père et assure que son client ne s’est livré «à aucune manœuvre d’empêchement». Des amis français du couple en instance de divorce témoignent aussi: «Je connais bien Adem et Iskander, les voyant à chacune de leur venue à Djerba. Je peux vous affirmer que leur papa ne les a pas ‘‘séquestrés’’. Ils vivent parfaitement bien ici, sont scolarisés dans une école privée, sont en très bonne santé», déclare Marie, une Française qui vit  depuis deux ans à Djerba. «Leur papa, Raouf, est un homme respectable. D’ailleurs lorsque Sabine (qui au début de son mariage avait accepté de vivre à Djerba puis à changé d’avis) vient en vacances ici, elle passe ses journées dans les hôtels où elle est traitée comme une ‘‘grande dame’’, puisque son mari est un homme d’affaires reconnu», ajoute Marie. Avant d’apporter cette précision: «Les enfants n’ont pas été ‘‘enlevés’’ puisqu’ils ont la double nationalité, Française et Tunisienne. Ils sont donc chez eux ici aussi.»
Dans ce vacarme médiatico-judiciaire, seules les voix des deux principales personnes concernées, Adem et Iskander, n’ont pas été entendues. Le seront-elles qu’une solution à l’amiable serait sans doute trouvée.

Yüsra Mehiri