Les membres du mouvement salafiste jihadiste Ansar Al-Chariâ multiplient les actions humanitaires partout où l'Etat est (presque) absent. Ces actions participent d'une stratégie de déploiement politique. Et d'occupation des terres et des coeurs.
Par Yüsra N. M'hiri
Les partisans d'Ansar Al-Chariâ ont installé des tentes pour récolter du sang pour les blessés du terrible accident hier à El-Haouareb, près de Kairouan, qui a causé, selon un bilan officiel, 6 morts.
Cette mobilisation est plutôt positive et est certainement de bonne foi... Mais ce qui suscite moins l'admiration c'est la propagande faite autour de ce geste assez anodin, avec photos et vidéos largement partagées sur le web.. Là, ce n'est plus de l'action humanitaire, mais de la propagande religieuse et politique.
Les commentaires suivent, très téléphones : «Ansar Al-Chariâ, sont de vrais musulmans, ils sont là, là ou il faut...» ; ou encore «Alors que les médias et les ''taghout'' (responsables politiques, Ndlr) leurs veulent du tort, regardez ce qu'ils font, regardez bien leurs bonté !»...
Mais, bonté divine, dirait Moncef Marzouki, faut-il faire tout un spectacle d'un simple don? S'agit-il de vidéos pour donner l'exemple ou, plus trivialement, d'une propagande de très mauvais goût? A cette question, on nous a répondu : «Les vidéos sont faites pour montrer que les partisans de Ansar Al-Chariâ ne demandent rien, à part être de bons musulmans, et que cela est fait pour que vous et vos semblables arrêtiez de salir leur image, et au final ''moutou bighaidhikom'' (Que la rage vous terrasse!, Ndlr)».
Ansar Al-Chariâ / Ennahdha ou la guerre des couffins.
La chaine télévisée franco-allemande, Arte, avait présenté, la semaine dernière, un documentaire sur Ansar Al Chariâ.
Aucun doute, ils sont très actifs et multiplient les actions humanitaires dans les coins les plus reculés de la Tunisie. Ils sont là où l'Etat a presque disparu. Mais, encore une fois, le goût amer ressurgit lorsque l'un des soi-disant bénévole se met à filmer un homme démunis, près du couffin qui lui a été offert (évidemment frappé du nom des donateurs: Ansar Al chariâ) et lui demande : «Dis bien que c'est nous, que c'est Ansar Al-Chariâ, qui a fait don de ces vivres.» L'homme répète ces mots et on lui promet bientôt un salaire tous les mois... si la chariâ «gagnait et gouvernerait la Tunisie.» (sic !)
Peut-on parler simplement de maladresse? Reste que cette manière de jouer les pères Noël participe d'une stratégie de déploiement politique où les pauvres gens seront bientôt appelés à devenir la chair à canons d'une sale guerre fratricide, comme c'est le cas en Afghanistan, en Somalie ou, plus récemment, en Syrie.
Par ailleurs, une question se pose: où ces salafistes jihadistes désœuvrés trouvent-ils l'argent pour organiser toutes leurs actions humanitaires ? Comment financent-ils leurs dons, frais de transport et, surtout, ces bus tout neufs? Ces bus qui seront vraisemblablement mis à disposition des salafistes désireux d'aller à Kairouan pour assister à la réunion, non encore autorisée, dimanche 19 mai.