Sihem Souid, 29 ans, Française originaire de Tunisie, agent de la police aux frontière à l’aéroport d’Orly, raconte cette histoire dans son ouvrage ‘‘Omerta dans la police’’, publié récemment en France. De quoi vous faire détester les voyages…


A 29 ans, cette Française originaire de Monastir, en Tunisie, ex-agent de la police aux frontière à l’aéroport d’Orly, à Paris, raconte dans son ouvrage ‘‘Omerta dans la police’’, publié ce mois en France, les abus de pouvoir, la corruption et le trafic des statistiques, mais aussi le racisme, le sexisme et l’homophobie, dont elle a été un témoin privilégié, pendant les trois années qu’elle a passées à Orly.
Son livre brûlant d’actualité et de vérité raconte aussi les harcèlements, chantages, pressions et menaces dont elle a été l’objet depuis qu’elle a décidé de briser l’omerta et de dénoncer les comportements racistes de ses collègues, quitte à endosser les habits de la traitresse, celle par qui le scandale arrive, et mettre en péril sa carrière au sein de la police.
Dans l’extrait de son livre que nous publions ci-dessous, Sihem Sioud raconte la mésaventure d’un ingénieur américain en provenance de Tunis sur un avion de Tunisair, à qui on a infligé 48 heures de rétention à l’aéroport d’Orly parce qu’il était basané et qu’on le soupçonnait d’être un Tunisien munis de faux papiers américains. L’histoire montre jusqu’où peut mener la logique du chiffre imposée par les autorités françaises à leurs agents de sécurité et qui se traduit souvent par des abus dont souffrent quotidiennement les citoyens en provenance des pays du Sud.  Et même, parfois, comme dans le cas de John Aguigui San Nicolas, les citoyens en provenance du Nord.

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«18 octobre 2008. A 22 heures, un avion de « bougnoules » en provenance de Tunisie est annoncé à l’atterrissage. Parmi les passagers, un homme de 45 ans, plutôt basané. Ses papiers disent qu’il s’appelle John Aguigui San Nicolas, qu’il est ingénieur et américain, né à Guam, cette île de l’océan Pacifique rattachée aux Etats-Unis depuis 1898, bien qu’elle fasse partie de l’archipel des Mariannes. Son passeport a été délivré à Washington. Les experts en faux papîers de la brigade mobile d’immigration (Bmi) d’Orly décrètent que ses papiers ont été falsifiés et que la photo a été changée. L’Américain se défend – en anglais –, affirme qu’il est bien celui qu’il prétend être, qu’il revient de vacances, que son passeport est authentique et demande que la Bmi contacte son ambassade à Paris. Refus des policiers. Une procédure de non-admission est établie en même que l’amende-compagnie, fixée à 5.000 euros et faxée aussitôt à Tunisair.
«L’ingénieur américain est placé en zone d’attente puis logé pour la nuit à l’hôtel Ibis, sous la surveillance d’une brigade qui patrouille dans les couloirs et contrôle le hall de l’hôtel. Le touriste proteste. Il s’obstine. Personne ne l’écoute. Un billet retour vers la Tunisie lui est même réservé. Le lendemain matin, il parvient à prévenir quelques amis de sa situation, rapidement exposée à l’ambassade américaine. La réaction est immédiate : les diplomates américains exigent la libération de leur ressortissant auprès de la direction centrale de la Police aux frontières (Paf). La direction centrale appelle la direction de la Paf d’Orly : ‘‘Qu’est-ce que c’est encore que tout ce tintouin ?’’ Le directeur de la Paf d’Orly se renseigne auprès de la Bmi: ‘‘Qu’est-ce que c’est encore que tout ce tintouin ?’’ La Bmi s’entête : cet ingénieur américain est un peu trop bronzé pour être honnête, et surtout pour être américain. L’information remonte en sens inverse jusqu’à l’ambassade américaine: ‘‘Est-ce que vous êtes tout à fait sûrs que votre ingénieur américain, bronzé comme il est, est bien un ingénieur américain?’’ L’ambassade hurle. La direction centrale de la Paf hurle. Les commandants d’Orly aussi, et John Aguigui San Nicolas finit par être relâché après quarante-huit heures passées en rétention. En revanche, tout le monde oublie de prévenir Tunisair et de lui rembourser l’amende et les frais d’hébergement. C’est toujours ça de gagné.»

(Extrait d’‘‘Omerta dans la police’’, éd. Le Cherche Midi, Paris octobre 2010.)