Quelques réflexions de Hassen Zargouni, économiste statisticien et patron de Sigma Conseil, sur l’université tunisienne à l’âge de l’économie de la connaissance, méritent d’être débattues et approfondies.


M. Zargouni intervenait, vendredi dernier, à Tunis, au cours d’une cérémonie organisée à Tunis par la filiale tunisienne de l’International Association for the Exchange of Students for Technical Experience (Iaeste) en l’honneur de son Secrétaire-général sortant Tahar Friaâ, parti à la retraite.
Sa conférence essayait de répondre aux questions suivantes: Quels sont les états des lieux et les défis de l’enseignement supérieur tunisien à l’âge de la mondialisation? Et comment le secteur fait-il face à la circulation des cerveaux et des compétences, un phénomène mondial qui s’accentue au fil des jours mais qui incarne en lui des facteurs de développement s’il est conçu d’un angle positif ?

Lier l’industrie, l’éducation et la science
Hassen Zargouni a commencé par rappeler que les pouvoir publics tunisiens n’ont pas lésiné sur les moyens pour hisser le niveau de l’enseignement et la recherche scientifiques au rang mondial. En effet, plus de 20% du budget de l’Etat et plus de 7% du Pib sont aujourd’hui consacrés à l’éducation. L’accès à l’éducation de base est généralisé et le taux de scolarisation secondaire et supérieur de plus en plus élevé.
Les inégalités régionales (urbain/rural) et du genre ont été aussi réduites et le système d’enseignement supérieur constamment réformé pour atteindre une meilleure qualité des formations et des diplômes et s’adapter aux mutations économiques mondiales.
Selon M. Zargouni, la principale tendance à ce niveau est la transition vers l’économie de la connaissance. L’innovation étant le moteur déterminant de la croissance économique, il faut désormais chercher des relations intégrées entre l’industrie, l’éducation et la science, souligne le conférencier.
Au niveau mondial, la concurrence se fonde de plus en plus sur la production et l’acquisition de connaissances et de compétences et l’université occupe une place centrale dans la formation d’individus hautement qualifiés. Sans oublier les activités industrielles à forte valeur ajoutée et les pôles d’excellence scientifique et technologique qui ne cessent de se développer, explique encore M. Zargouni.
Il existe bien entendu des contraintes, notamment d’ordre démographique. Elles comprennent le ralentissement du taux de croissance démographique, la croissance soutenue de la population en âge de travailler, la prépondérance structurelle de la population jeune et la modification des structures démographiques.
Selon M. Zargouni, l’on constate une population active employée dominée par les  hommes, une concentration spatiale de la population active et une population active de plus en plus jeune et instruite. A noter aussi la transition sectorielle de la population active et la divergence des taux d’accroissement de la population active et de l’emploi et l’excès structurel de l’offre.

Mondialisation et mobilité des compétences
Contre un chômage d’exclusion dans les pays industrialisés, il existe en Tunisie un chômage d’insertion et un déficit structurel entre l’offre et la demande de travail dû à un manque de la création d’emplois par le secteur privé et à un déficit d’intermédiation du marché du travail. C’est cette défaillance du marché du travail qui favorise l’émigration des qualifiés, souligne M. Zargouni, également membre de la Commission Employabilité au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.
Pour lui, le «brain drain», voire le détournement des cerveaux, est dû notamment à l’étroitesse du marché du travail qualifié, la détérioration des salaires réels, les fortes distorsions qui caractérisent les mécanismes d’ascension sociale par le mérite ainsi qu’au manque de confiance dans les perspectives économiques.
Cependant, l’émigration des qualifiés pourrait aussi avoir un impact positif rétroactif caractérisé par un flux de transfert de revenus et d’investissement et un flux de transfert de connaissances et d’expertises.
Le rendement du travail qualifié dans le pays d’origine est l’un des principaux éléments qui dictent le retour ou non retour du migrant qualifié dans le pays d’origine.
Des progrès ont été faits dans l’enseignement supérieur tunisien. Certes. Mais  l’augmentation massive des effectifs, le manque de régulation et la quasi-absence de mécanismes d’assurance-qualité dans les différents établissements sont autant de handicaps pour le système, tient à rappeler M. Zargouni.
D’où la nécessité d’entreprendre des réformes fondamentales telles que la sélection des académiques à l’entrée, la réflexion sur les statuts et les pratiques des enseignants, l’équilibre des filières techniques et des sciences humaines, la langue d’enseignement, le développement des mécanismes de contrôle qualité…

Tirer profit de la mobilité des cerveaux
En guise de conclusion, le conférencier a avancé des suggestions susceptibles d’aider à optimiser cette tendance générale qu’est la circulation des cerveaux.
Optant pour le «brain gain» (ou mobilité positive), M. Zargouni estime qu’il  ne pourra être atteint que si l’Etat utilise intelligemment l’influence des émigrants dans le développement économique grâce à de réelles stratégies de maillage de réseaux financiers et économiques.
Par ailleurs, l’internationalisation des universités à travers le partenariat, la certification et l’accréditation d’une part et une plus forte mobilité des étudiants d’autre part aideraient à développer deux segments: l’exportation de services éducatifs à destination du marché régional (panafricain, panarabe…) et la requalification du stock actuel des jeunes diplômés.

 

M. T.

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