Il en est des hommes comme des papillons: ils ne résistent pas à l’appel du Nord où, parfois, ils s’abîment.


Ils volent (ou rament) vers des terres plus prospères, où ils espèrent vivre mieux, ou plus libres. Mettant leur sort entre les mains de vents… souvent contraires. Certains atteignent l’éden, au prix d’atroces épreuves, d’autres se font brûler les ailes (ou briser les rames). Et ne reviennent plus.
Dans un passage de son premier roman, ‘‘Le Regard du loup’’ (récompensé par le Prix Comar du premier roman, le 24 avril, à Tunis), notre confrère Soufiane Ben Farhat ose une papilloncomparaison – que n’auraient pas reniée les gardes-côtiers italiens ou espagnols –, entre les «harragas», ces immigrés clandestins qui traversent la Méditerranée à bord de canots de fortune dans l’espoir d’«échouer» sur quelque plage sud-européenne, et des insectes qui font la même traversée Sud-Nord, mais par la voie des airs.
Le passage en question: «A un certain moment, je pars d’un rire hystérique. Je venais de lire une coupure de journal échue là Dieu sait comment», raconte le narrateur, botaniste de son état, qui s’apprête à s’embarquer avec un groupe de «harragas», quelque part, sur une plage entre Mahdia et Chebba. Il poursuit: «L’article parlait de la migration exceptionnelle en France de papillons Belles-dames venues d’Afriques. Leurs effectifs sont plus de dix fois supérieurs à ceux de 2007 selon l’Observatoire des papillons et des jardins. Il s’agit de papillons orange et noir. Ils volent en ligne droite à quelques mètres du sol, s’élevant juste pour franchir les haies ou les bâtiments. Ils traversent la France. Vont jusqu’en Islande ou en Scandinavie. En août, les papillons nés dans le Nord retournent dans le Sud. Sur les traces de leurs aïeux. Au printemps d’après, le cycle recommence. Les scientifiques s’en réjouissent. Dans notre moderne, mieux vaut être papillon qu’être humain.»

Lépidoptères, bipèdes et gardes-côtes
Dans son édition du 6 février, ‘‘Le Monde’’ consacre un article à ces insectes  migrateurs, dont les stratégies, techniques et vitesses de vol intéressent au plus haut point les scientifiques du Nord (‘‘Les papillons migrateurs gardent le cap dans le vent dominant’’). Le dispositif technique que scientifiques mettent en place pour étudier un phénomène aussi naturel est aussi sophistiqué que celui que mettent leurs compatriotes, gardes-côtes et/ou agents de la marine, à traquer les barques des immigrés clandestins ballottées par les courants de la Méditerranée.
Cette comparaison en appelle une autre : les questions que pose Hervé Morin, l’auteur de l’article du ‘‘Monde’’, à propos des papillons («Ces lépidoptères, partis des rives méditerranéennes ou du Maghreb, sont-ils les simples jouets des vents dominants ? Sont-ils maîtres de leur destin migratoire ?»), ne devraient-elles pas être posées aussi à propos des «harragas» ?
Le Nord qui se barricade pour mieux se protéger des hordes barbares venues du Sud est loin d’être, en effet, une métaphore née de l’imagination d’un romancier.

Imed B.