Les soldes de l’hiver 2010, qui ont débuté le 30 janvier, s’étaleront jusqu’à la mi-mars. Elles interviennent dans une période d’incertitude, surtout perceptible chez les opérateurs économiques dont l’activité a décéléré au cours des deux dernières années. Pour ce qui est des consommateurs, leur moral – autant que leur porte-monnaie – ne semblent pas avoir beaucoup souffert de la morosité ambiante. Quoi qu’il en soit, les soldes viennent à point nommé pour nous permettre de prendre le pouls du marché et d’en tirer les conséquences. Indécrottables optimistes, les conjoncturistes ne se feront pas prier pour pronostiquer le meilleur ; le pire étant toujours, par définition, ailleurs ou derrière nous. Mais cela, on ne le sait que trop.


Quant aux industriels, qui ont la main dans le cambouis, ils préfèrent toujours attendre pour voir, en espérant, sans trop y croire, que l’avenir sera meilleur. Restent donc les commerçants. Ces grands insatisfaits devant l’Eternel ne manqueront pas de faire entendre leurs habituelles jérémiades sur la baisse des marges, l’évanouissement des chiffres d’affaires et les ravages de la concurrence déloyale représentée par le commerce parallèle, toujours florissant.
La vérité, celle qui tranche dans ce genre de débat, ce sont les consommateurs qui la détiennent. Cette catégorie regroupe, pêle-mêle, l’ouvrier «smigar» qui  vivote en exerçant deux ou trois petits boulots parallèles, le fonctionnaire père de famille qui ne sait plus où donner de la tête pour satisfaire les besoins (et caprices) d’une ribambelle d’enfants, la mère de famille divorcée et sans travail, vivant d’une pension étriquée, obligée de tirer le diable par la queue pour sauver les apparences, la jeune cadre BCBG, délurée, siliconée, re-pulpée, roulant en limousine, mais croulant sous les dettes, etc.
Or, ces gens là, on ne sait par quel miracle, ne donnent pas l’impression de trop souffrir de la conjoncture difficile. Mieux (ou pis ?) : ils continuent de tirer sur le porte-monnaie, ne rechignant pas sur la dépense, fut-elle frivole ou futile. Comment font-ils, ces «Consommator» pour continuer, en pleine crise, d’affluer en si grand nombre vers les boutiques chics et les grandes surfaces ? Le surendettement n’explique pas tout. Pas plus que le système D, l’esbroufe, la jonglerie, le détournement ou la corruption (petite et grande), devenus monnaie courante chez certains de nos compatriotes vivant nettement au-dessus de leurs moyens. Passés maître dans l’art de «mettre la chéchia de l’un sur la tête de l’autre», comme dit un adage bien tunisien, ces chers compatriotes, plus futés les uns que les autres, font mieux que résister à la crise : ils font comme si elle n’existe pas.    
Sur un autre plan, et au risque de choquer quelques syndicalistes bien pensants, on pourrait expliquer la boulimie consumériste des Tunisiens, dont le charmant «spectacle» des soldes nous donne une preuve supplémentaire, par une certaine aisance matérielle et une relative prospérité, fruit d’une croissance économique soutenue et d’une hausse conséquente du niveau de vie au cours des vingt dernières années.
On laissera aux confrères amateurs de statistiques le soin d’aligner les chiffres qui démontrent l’accession des Tunisiens à des paliers supérieurs de niveau de vie et de pouvoir d’achat. On se contentera de faire observer que ceux d’entre eux qui appartiennent aux classes moyennes et inférieures, et qui représentent l’essentiel de la population du pays, ne se privent pas. En tout cas pas trop.
Conséquence : «Eddoulab Idour». La roue de la fortune tourne. Comme à la loterie. Et elle tourne pour le plus grand nombre. On pourrait, à la limite, se plaindre du fait qu’elle ne donne pas autant à tout le monde. C’est d’ailleurs pour corriger cette «injustice» que Dieu créa les soldes, qui permettent aux moins argentés de jouer aux riches, le bonheur ne tenant parfois qu’à une robe ou à une paire de chaussure payées la moitié de leur prix.
Alors, pour ne pas nous laisser rouler, regardons bien l’étiquetage et vérifions que les remises promises sont bien réelles. Car les commerçants ont, eux aussi, leurs petites astuces…

 

Rania B.