Portrait d’une tunisienne engagée, révolutionnaire de la première heure et co-fondatrice de l’association Touensa. De la résistance à la révolution et de la révolution à la transition démocratique.
Par Emmanuelle Houerbi


Si vous avez aimé les manifs et les sit-in, si vous êtes un adepte des débats, conférences, forums, réunions d’associations et autres meetings politiques qui foisonnent en cette période postrévolutionnaire, vous l’avez sûrement déjà croisée.
La politique politicienne, veiller à ne fâcher personne, mâcher ses mots, chercher à plaire pour récolter des voix, ça n’est pas son truc. A choisir, elle préfère agir, ruer dans les brancards, dénoncer l’inacceptable et jouer sans relâche son rôle de poil à gratter de la vie publique. La «citoyenne attitude» selon Mouna Ben Halima se décline en trois impératifs: l’engagement civique, la vigilance face aux médias et l’action associative.

De la toile à la révolution
Ni sa famille, ni ses proches, ni son enfance choyée et protégée ne la prédestinait à l’action militante; mais même si elle n’est pas tombée dedans quand elle était petite, Mouna n’a pas attendu le 14 janvier, ni même le 17 décembre pour réclamer plus de justice et plus de démocratie. Dès ses études à Paris puis après son retour à Tunis, elle s’engage sur la toile et déjoue la censure tunisienne avec ses amis internautes. Sentant le vent tourner dès le printemps 2010, elle participe en mai à la fameuse journée anti-censure: «Nhar ala ammar», signe le 5 novembre la pétition de Salah Zeghidi contre Ben Ali, et publie le 23 novembre en clair les télégrammes de Wikileaks via un proxy. Enfin, en décembre 2010, elle participe résolument à la contestation en envoyant les images de la répression aux rédactions étrangères et aux réseaux sociaux et adhère au Pacte Citoyen sur Facebook, cette cause citoyenne initiée par Selima Abbou qui a recueilli à ce jour plus de 8.000 signatures. Tout cela sans craindre le danger et sans se laisser intimider par les menaces de représailles qu’elle recevra, heureusement pour elle, quelques jours seulement avant le départ du dictateur.

De la révolution à la démocratie
Une fois le dictateur envolé, pas question de baisser la garde. Le Pacte Citoyen devient alors l’association Touensa, qui revendique le droit à la dignité humaine, à la liberté d’expression, à l’égalité citoyenne, et à l’indépendance de la justice, de l’administration et des médias. Un seul mot d’ordre: la vigilance. Vigilance envers les institutions et les partis politiques, envers l’élaboration du Code électoral, des règles de financement des partis et de la Constitution. Vigilance face aux médias, pour s’assurer qu’ils jouent pleinement leur rôle citoyen, dans le respect de la déontologie et sur la base d’informations crédibles et vérifiées. Vigilance envers la gestion des entreprises publiques. Et enfin vigilance envers les administrations, qui se doivent d’être au service du citoyen, dans le cadre d’une gestion participative où chacun aura son mot à dire.

Quelles actions pour une transition démocratique réussie?
Premier commandement: dénoncer sans relâche les abus. Dès le mois de février, Touensa lance une pétition «Média Libres», qui récoltera rapidement plus de 600 signatures, puis organise dans la foulée un sit-in devant la télévision nationale: deux actions pour réclamer la disparition de toute tutelle institutionnelle, la création d’une commission indépendante d’observation des médias (ce sera l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la presse, Inric), et la nomination d’un nouveau directeur pour la chaîne nationale.
Deuxième volet: apporter aux associations et aux Ong le soutien dont elles ont besoin et les mettre en contact avec les citoyens, jeunes et moins jeunes, ne demandant qu’à s’engager. Après un premier forum des associations le 2 avril, et un séminaire sur la transition démocratique le 4 juin, Touensa a organisé le 22 juin avec le réseau «Y-Peer» et l’association Util une journée portes-ouvertes «Jeunes, citoyens et engagés», soutenue par le Fond des Nations Unies pour la Population (Unfpa).


Forum du 22 juin à la Cité des sciences de Tunis.

A ces événements s’ajoutent des actions plus locales, comme des conférences, des présentations de partis politiques, ou encore des «cafés citoyens» organisés régulièrement sur le modèle des cafés philo. Au programme des derniers cafés: la justice transitionnelle (comment parler de réconciliation nationale sans avoir établi la vérité sur les exactions commises pendant et avant la révolution ?), ou encore la transition démocratique en Ukraine.

En route vers les élections: le bus citoyen
Plus que tout, Touensa veut désormais contribuer au succès des prochaines élections en donnant, en particulier aux jeunes, les clés pour comprendre la politique et les pousser à mettre leur bulletin dans l’urne le 23 octobre prochain.
Ainsi, un collectif d’associations a planché sans relâche depuis des semaines sur un projet ambitieux: des «bus citoyens», qui parcourront la Tunisie dès le mois prochain, avec à leurs bords des animateurs dûment formés. Leur rôle: rencontrer les citoyens, expliquer et vulgariser des concepts liés à la démocratie et à la citoyenneté et les informer sur les procédures électorales. Tout cela avec l’aide des réseaux locaux (associations, notables, syndicats, lycées, etc.) qui auront en charge la logistique sur place et la mobilisation des citoyens.
Le collectif a déjà réalisé un spot vidéo qui sera projeté avant chaque débat ou atelier de sensibilisation, et espère la mobilisation du plus grand nombre pour aider à concrétiser ce projet… Un appel à tous ceux qui voudraient prendre le «bus» en marche et apporter leur pierre au développement du sens civique et de l’engagement citoyen en Tunisie.