Dabiq + Abou Bakr Al Hakim

Le titre de l'entretien du ''Figaro'' avec le journaliste David Thomson, est presque jubilatoire: «L'État islamique a décidé de faire de la Tunisie sa cible». Hourrah!

Par Imed Bahri 

Le journaliste français, bombardé spécialiste de la Tunisie, réputé proche des salafistes jihadistes, depuis le temps où il était basé à Tunis, y décrypte un entretien avec le jihadiste franco-tunisien Boubakar El-Hakim, publié dans le numéro 8 du magazine ''Dabiq'', organe anglophone de l'Etat islamique (Daêch), qui affiche en une la mosquée de Kairouan en Tunisie.

Pour David Thomson, cette «image ne doit rien au hasard.» En effet, explique-t-il, doctement, «la grande mosquée de Kairouan, appelée Oqba Ibn Nafaa du nom de son fondateur, un chef militaire propagateur de l'islam au temps des Omeyyades, est un symbole de l'islam tunisien. Kairouan est même considérée comme la 4e ville sainte de l'islam par certains musulmans. Le message est clair: l'État islamique a décidé de faire de la Tunisie sa cible.»

David Thomson est ce qu'on appelle dans notre jargon journalistique une «source bien informée». Il est si bien informé, d'ailleurs, qu'il y va de son analyse apocalyptique: «L'État islamique reproche à la Tunisie la même chose qu'aux pays musulmans engagés dans la transition démocratique: avoir pactisé avec le diable, l'Occident. La Tunisie est d'autant plus vulnérable qu'elle est le pays qui a le plus grand nombre de ressortissants jihadistes engagés en Syrie, Irak (3000 sur place et 500 retours selon les chiffres officiels) et en Libye (plusieurs centaines). Les jihadistes espèrent faire dérailler ce processus de transition démocratique en semant le chaos à la faveur duquel ils veulent prendre le pouvoir. Deux moyens s'offrent à eux pour cela: assassiner des personnalités politiques ou s'attaquer aux touristes qui font vivre l'économie du pays.»

Bien sûr, l'attaque terroriste du Musée du Bardo, survenue une dizaine de jours plus tôt, ne pouvait que lui donner raison. Elle ne signifierait, selon lui, qu'une chose : Daêch est déjà bien présent en Tunisie! Tremblez bonnes dames! Tremblez braves messieurs! Les égorgeurs sont à vos portes!

C'est là, bien-sûr, un constat, et non l'expression d'un souhait du journaliste français, qui avait ses entrées parmi les extrémistes d'Ansar Charia auxquels il consacra, en 2012, une série d'articles fort élogieux, les dépeignant même comme des bienfaiteurs de l'humanité.

David Thomson a peut-être oublié ses propres articles, mais les Tunisiens s'en souviennent toujours... 

«Dans ce numéro de ''Dabiq'', l'État islamique réaffirme que c'est lui qui a ordonné et planifié cette attaque contre les touristes du Bardo, baptisés ''croisés''. Ils expliquent qu'ils ont envoyé deux Tunisiens entraînés par leur branche libyenne», note David Thomson. Qui s'empresse d'ajouter, fier de sa science : «Une version qui vient contredire celle des autorités tunisiennes. Le gouvernement tunisien a en effet préféré attribuer l'attaque du Bardo à la branche tunisienne d'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), qui n'a pourtant pas commis d'attentats contre les civils depuis 2012. Pour la Tunisie, il y a une difficulté à reconnaître que l'État islamique est présent sur son sol. D'une part parce que le gouvernement vient de tuer le chef militaire de la brigade tunisienne d'Aqmi (Khaled Chaïbi, alias Lokmen Abou Sakhr, chef de la Katiba Oqbaa Ibn Nafaa, NDLR), et veut démontrer son efficacité aux lendemains des attentats. D'autre part parce qu'il y a une réticence à reconnaître la présence d'un groupe jihadiste dont la stratégie est d'attaquer les intérêts occidentaux et le tourisme, un des poumons de l'économie tunisienne.»

On remarquera, au passage, que notre cher confrère ne ressent, à aucun moment, la nécessité de rééquilibrer son analyse, en rappelant, par exemple, que la Tunisie n'est pas un Etat défaillant, comme l'Afghanistan, la Somalie, l'Irak ou la Libye, qu'elle a des services de sécurité et une armée capables d'empêcher les groupes jihadistes de prendre pied dans le pays. Pour preuve : le nombre important de cellules dormantes démantelées, d'arrestations effectuées et de caches d'armes découvertes. Sans parler de l'unité et de la solidarité qu'ont toujours montrées les Tunisiens face aux menaces extérieures.

Non, David Thomson n'a que faire de telles considérations. Il veut du spectacle et le spectacle ce serait, pour lui, une Tunisie – vitrine de l'Occident au sud de la Méditerranée – donnée en pâture aux égorgeurs de Abou Bakr Baghdadi! 

Les Tunisiens et, surtout, les Tunisiennes ne tarderont pas à démentir ses apocalyptiques prédications. 

Source : ''Le Figaro''. 

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