William McCants Banniere

La société tunisienne «n'était pas tout à fait préparée» pour la libéralisation politique, indique un ancien conseiller au département d'Etat américain.

William McCants, ancien haut conseiller auprès du département d'Etat, spécialiste de la lutte anti-terroriste, impute l'attentat du musée du Bardo, le 18 mars 2015, «au manque de préparation de la Tunisie à la libéralisation politique.»

Dans une interview sur la radio publique américaine ''NPR''(1), William McCants, à présent chercheur principal à la Brookings Institution(2), met le doigt sur les fragilités et les faiblesses de la révolution du 14 janvier 2011: la nature inattendue et instinctive de la Révolution, toutes les improvisations et mauvaises gestions qui l'ont suivie, et les effets négatifs que les développements dans la région ont eu sur la ''Révolution du jasmin''.

William McCants a répondu, samedi 21 mars 2015, aux questions de Scott Simon, animateur à la ''NPR'', sur les conséquences de l'attentat du musée du Bardo.

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Scott Simon: Les autorités tunisiennes ont arrêté 9 suspects qui seraient impliqués dans cette attaque contre le musée du Bardo – qui a coûté la vie à 23 personnes, pour la plupart des touristes étrangers. La Tunisie semblait être, jusqu'ici, le pays le plus démocratique et le plus stable des pays du Printemps arabe. La violence y était un phénomène rare. Cependant, l'on sait également que la Tunisie a été le plus gros fournisseur de combattants étrangers qui ont rejoint les rangs de l'autoproclamé Etat islamique (EI, Daêch) et les autres groupes extrémistes opérant en Syrie et en Irak. 

Deux hommes armés ont été tués dans cet attentat du Bardo. Que savons-nous sur eux?

William McCants: Pas grand chose, à vrai dire. Les détails filtrent peu-à-peu. Nous savons, pour l'instant, qu'ils sont originaires de l'intérieur du pays, probablement des régions proches avec la frontière tuniso-algérienne. Il semble qu'ils ont été, avant l'attaque du Bardo, membres d'organisations terroristes. Selon certaines informations, au moins un des 2 a voyagé en Libye pour une formation jihadiste dans un camp d'entraînement de l'Etat islamique ou d'une branche d'El-Qaïda.

Selon certaines estimations, près de 3000 Tunisiens se sont rendus en Irak, en Syrie et en Libye. Pourquoi autant de personnes?

Il y a plusieurs facteurs qui ont poussé ces gens-là à faire ces déplacements. Une des raisons demeure le fait que la Tunisie ait été une success story de la transition démocratique du Printemps arabe. Mais, accompagnant ce mouvement, il y a eu aussi la libéralisation politique à laquelle la société tunisienne n'était pas préparée. D'un seul coup, nombre prêcheurs extrémistes, qui étaient mis le boisseau sous l'ancien régime, ont quitté les prisons ou sont revenus d'exil, et ils ont pu prêcher librement dans les rues et les mosquées du pays. C'est ainsi que bon nombre de jeunes Tunisiens ont été recrutés pour aller faire la guerre en Irak et en Syrie.

De plus, les opportunités pour mener ce type de combat sont très nombreuses. Je veux dire par cela que même si la Tunisie demeure un pays relativement stable, tout autour, il y a un certain nombre de pays qui ne le sont pas, notamment la Libye. Et la Syrie, aussi, qui est à quelques heures de vol d'avion.

Tout cela, donc, est tentant pour de nombreux jeunes... Les opportunités pour aller combattre sont là et ces jeunes ne font que les saisir.

Ces jeunes dont vous parlez, reviennent-ils au pays?

Certains d'entre eux reviennent en Tunisie. Le gouvernement tunisien estime qu'entre 500 et 600 sont déjà rentrés, et certains d'entre eux sont actuellement en prison. Les autres continuent de se battre en Syrie, ou en Irak, ou se porteront volontaires dans d'autres conflits. Bien évidemment, il y a aussi ceux qui meurent au combat.

Ce qui me semble intéressant dans les évolutions récentes, c'est que les recruteurs renvoient les volontaires de Syrie et les orientent de plus en plus vers la Libye. Ce pays est devenu le nouveau pôle d'attraction pour les jeunes jihadistes qui souhaitent se battre sous la bannière d'El-Qaïda ou de l'Etat islamique.

Que peut donc faire la Tunisie?

Qu'elle continue de faire ce qu'elle a déjà fait, à savoir être toujours la seule réussite du Printemps arabe. L'an dernier, les Tunisiens ont mené à bien leur transition politique (l'adoption de la nouvelle constitution et la tenue des scrutins législatif et présidentiel, Ndlr). Ils n'ont qu'à poursuivre sur la même voie. Sur le long terme, c'est l'unique solution.

Il y aurait également un problème de comportement des services de sécurité tunisiens qui continuent de maltraiter les détenus et de ratisser très large dans leurs arrestations parmi les jeunes qu'ils accusent d'être impliqués dans des activités terroristes. Cette violence et cette répression en masse compliquent encore plus le problème.

Bref, le gouvernement tunisien gagnerait à contrôler beaucoup plus et mieux ses forces de sécurité –et à les réformer, également.
Entretien traduit de l'anglais par Marwan Chahla

Source: ''NPR''

Notes:
(1) NPR, (National Public Radio), est le principal réseau de radiodiffusion non commercial et de service public des États-Unis. NPR est une organisation de droit privé, à but non lucratif, qui fédère des stations de radio locales.
(2) La Brookings Institution, basé à Washington, DC, est un des plus anciens think tanks américains. Il est spécialisé dans la recherche et la formation dans les domaines des sciences sociales, essentiellement en économie, en politiques urbaines, gouvernance, affaires étrangères, économie mondiale et développement.

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