Caid Essebsi et Taieb Baccouche Banniere

Caïd Essebsi redéfinit les axes de redéploiement de la politique étrangère tunisienne, devenue méconnaissable sous le règne de la défunte et non regrettée «Troïka».

Par Imed Bahri

Dans le discours qu'il a prononcé à l'occasion de la cérémonie de présentation des voeux du Nouvel An des chefs de missions diplomatiques et des organisations internationales accrédités à Tunis, jeudi 19 février 2015, au palais de Carthage, le président de la république a esquissé les grandes orientations de la diplomatie tunisienne pour la période à venir.

Ces orientations peuvent être résumées en trois grands axes : le retour aux valeurs et référentiels acquis depuis l'indépendance, le respect de la légalité internationale et la coopération avec les différents peuples du monde.

«La diplomatie tunisienne, connue depuis l'indépendance par sa sérénité et son équilibre, a été fortement influencée au cours des dernières années, par les tiraillements politiques, ce qui n'a pas manqué d'avoir un impact sur la nature de nos relations avec un certain nombre de pays», a indiqué M. Caïd Essebsi, faisant ainsi allusion aux gesticulations donquichottesques de son prédécesseur, Moncef Marzouki, qui a rompu les relations avec la Syrie et porté préjudice par ses déclarations inopportunes aux relations de la Tunisie avec des pays frères comme l'Egypte et les Emirats arabes unis (EAU).

Une voix écoutée dans le monde

«La diplomatie tunisienne a des valeurs et des référentiels acquis depuis l'indépendance et qui lui ont permis d'être une voix écoutée dans le monde. C'est pourquoi, nous œuvrerons à ce que notre diplomatie puisse recouvrer sa vitalité et sa considération et à ce que notre politique étrangère soit équilibrée dans ses attitudes, respectant la légalité internationale, ne s'ingérant point dans les affaires internes des pays, soutenant les causes du droit et de la justice et jetant les ponts de la coopération et du dialogue avec les différents peuples du monde», a indiqué M. Caïd Essebsi.

Ce qui prélude à une réorientation de la diplomatie tunisienne en vue de rétablir les ponts du dialogue et de la coopération avec la plupart des pays que les postures marzoukiennes, donneuses de leçons et vaguement droits-de-l'hommistes, ont, inutilement et maladroitement, braqués au cours des dernières années.

Citant l'article premier de la Constitution, qui stipule que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain; l'Islam est sa religion, l'Arabe sa langue et la République son régime», M. Caïd Essebsi a tenu à rappeler les ancrages de notre pays dans ses environnements régional, continental et international.

«Jalouse de son identité arabe et musulmane», la Tunisie reste «ouverte au reste des peuples du monde», a-t-il souligné, comme pour dire que le repli identitaire préconisé, notamment, par les islamistes, toutes tendances confondues, n'a plus de place dans une Tunisie réconciliée avec son destin historique et civilisationnel façonné par 3.000 ans d'échanges et de brassages avec les autres peuples du monde.

Pour M. Caïd Essebsi, le Maghreb arabe reste, cependant, l'«espace naturel et vital» pour la Tunisie et l'achèvement de l'édification de ce Maghreb demeurera pour notre pays «une nécessité stratégique absolue, ainsi qu'un rêve longtemps nourri par des générations successives parmi les enfants de cette grande patrie», dira-t-il, en réitérant sa volonté d'œuvrer avec ses «frères» dirigeants des Etats de l'Union du Maghreb arabe «à mettre en œuvre ses institutions et surmonter la léthargie qui l'a touché, de sorte à ce que soit édifié un espace pouvant répondre aux aspirations et aux espoirs des peuples de la région.»

Cet engagement, on le sait, ne répond pas aux voeux les plus chers des Maghrébins, mais aussi aux souhaits maintes fois exprimés par leurs partenaires de l'Union européenne, qui voudraient pouvoir avoir, en face d'eux, un bloc maghrébin uni par les liens de la géographie, de l'histoire et de la culture, solidaire dans la défense de ses intérêts et riche de sa diversité.

Discours de Beji Caid Essebsi

Discours du président Caïd Essebsi aux représentants du corps diplomatique accrédité à Tunis.

Pas de modèle démocratique à exporter

Sur le plan arabe, la Tunisie continuera à œuvrer à la restauration des ponts de confiance et à consolider la coopération interarabe, «dans le cadre du respect réciproque et de l'intérêt commun», soulignera M. Caïd Essebsi qui, en bon disciple de Habib Bourguiba, dont il fut le ministre des Affaires étrangères, reste très attaché à la souveraineté nationale, refusant toute ingérence étrangère (n'est-ce pas Doha!) et s'interdisant toute immixtion dans les affaires des autres pays.

Aussi, et tout en réaffirmant l'engagement indéfectible de notre pays à «soutenir la cause juste du peuple palestinien, afin qu'il puisse recouvrer tous ses droits nationaux et édifier son Etat indépendant sur son territoire, conformément aux résolutions de la légitimité internationale», le président Caïd Essebsi a émis l'espoir que «les Etats arabes frères qui passent par des crises politiques et sociales puissent surmonter leurs difficultés et retrouver leur stabilité, de sorte que cela garantisse à tous leurs citoyens les fondements de la dignité, et leur permette de vivre librement et en toute sécurité.»

En d'autres termes, et n'en déplaise aux révolutionnaires autoproclamés et qui se prennent pour des missionnaires au service de la démocratisation du monde arabe, la Tunisie n'a pas de modèle démocratique à exporter ni de conseils à donner aux autres peuples de la région, chaque peuple devant décider seul de son avenir.

Sur les pas de Bourguiba l'Africain

Le troisième cercle de l'ancrage diplomatique de la Tunisie la rattache au continent auquel elle a donné son nom antique, Africa. «La Tunisie ne renoncera pas à ses liens historiques profonds avec son environnement vital africain», a ainsi déclaré le président de la république, qui a promis d'œuvrer à «rétablir et réhabiliter le crédit de confiance» dont jouissait la Tunisie en Afrique et «qui émanait de la lutte commune contre le colonialisme, du combat d'édification de l'Etat indépendant et de l'estime exprimé par les dirigeants du continent à l'égard de l'expérience tunisienne avant-gardiste dirigée par le leader feu Habib Bourguiba.»

Aussi, la diplomatie tunisienne veillera-t-elle, au cours des 5 prochaines années, à «réédifier les ponts de confiance avec les Etats du continent et à insuffler un nouveau souffle aux vieilles relations nouées entre notre pays et le reste des Etats africains, et ce grâce à la création d'opportunités pour un partenariat solidaire et grâce au renforcement de la présence tunisienne en Afrique, politiquement, économiquement et culturellement».

Il convient de rappeler ici que le premier voyage à l'étranger de M. Caïd Essebsi après la prise de ses fonctions au Palais de Carthage, le 31 décembre 2014, a été pour assister au sommet de l'Union africaine à Addis-Abeba. Ce voyage sera sans doute suivi d'autres aux pays subsahariens, aujourd'hui en plein essor économique et social, et où la Tunisie cherche à retrouver ses liens et repères historiques que la dictature de Ben Ali, isolationniste et condescendante, n'a pas réussi à totalement effacer.

Tous les chemins mènent à Bruxelles

L'autre ancrage important de la Tunisie est, on le sait, la Méditerranée, qui lie notre pays à l'Union européenne, notre premier partenaire économique, puisqu'il représente entre 70 et 80% de nos échanges commerciaux, recettes touristiques et investissements étrangers... C'est en Europe aussi que réside la plus forte concentration de Tunisiens expatriés, dont les envois sont d'un apport substantiel à nos recettes en devises.

C'est donc tout naturellement que M. Caïd Essebsi a insisté sur le développement des relations de la Tunisie avec les Etats de l'Union européenne à tous les niveaux.

«Nous nous efforcerons de traduire, sur le terrain, le sens de notre partenariat privilégié en élargissement nos domaines de coopération en y intégrant de nouveaux secteurs, mais également d'instaurer un partenariat égalitaire et développé, préparant les conditions pour une meilleure interaction, un échange plus étroit entre la Tunisie et l'Europe», a-t-il dit dans son discours aux représentants du corps diplomatique accrédités à Tunis.

Il s'agit, plus concrètement, de prospecter de nouvelles opportunités de coopération qui prennent en considération «le contexte exceptionnel que traverse la Tunisie», qui a besoin d'investissements créateurs d'emplois, notamment dans les régions intérieures, et «favorisent plus d'intégration de l'économie tunisienne au marché européen», afin d'ouvrir de nouvelles perspectives aux exportations tunisiennes de biens et services dans un continent qui représente plus de 500 millions de consommateurs potentiels.

La nécessaire diversification des partenariats

Le renforcement des relations avec le partenaire européen n'est pas incompatible avec la nécessaire diversification des partenariats internationaux, car la Tunisie a besoin, aujourd'hui, de cibler de nouveaux marchés pour sa production industrielle. Et le président de la république n'a pas omis, dans ce contexte, à souligner la volonté du gouvernement tunisien de développer les «rapports anciens» avec les Etats des deux continents américain et asiatique, car, a-t-il expliqué, «ces derniers représentent un grand poids politique et économique, et ce grâce au renforcement des cadres traditionnels de coopération et à la création de nouvelles opportunités au service du développement et d'un partenariat multisectoriel».

Ce sont-là les grandes lignes des nouvelles orientations que la diplomatie tunisienne, sous la conduite de M. Caïd Essebsi, en tandem avec le ministre des Affaires étrangères Taïeb Baccouche, va s'atteler à mettre en oeuvre afin que notre pays puisse compter sur ses frères et amis pour réaliser son projet démocratique et le mener à bon port, dans un environnement régional où les contrariétés et les tensions ne manquent pas.

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