Habib Essid recu par Caid Essebsi Banniere

Sa première copie ayant déçu, Habib Essid, Premier ministre désigné, a repris son bâton de pèlerin pour tenter de convaincre encore plus ou former une nouvelle équipe...

Par Moncef Dhambri

Le suspens du «passera-passera-pas» de la première mouture du gouvernement Habib Essid est donc terminé. Les raisons des nombreuses oppositions aux propositions faites, vendredi 23 janvier 2015, par le Premier ministre désigné ont été entendues et ce dernier se trouve dans l'obligation de revoir sa première copie et d'inventer le plus grand dénominateur commun.

Les siens et les autres

La séance du vote de confiance de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui était initialement prévue pour mardi 27 janvier et qui aurait dû accorder son feu vert à ce premier gouvernement de la 2e République de Tunisie, a été ainsi reportée et M. Essid a repris ses consultations avec les partis pour trouver preneurs à sa nouvelle recette.

Cette première tentative avortée de Nidaa Tounes et du président de la République Béji Caïd Essebsi (BCE) – pour appeler les choses par le nom de leur acteur principal – a eu le mérite de clarifier les positions des partis, de faire connaître les ambitions des uns et des autres, de donner «un avant-goût» des prochains débats des nouveaux représentants du peuple et de deviner à peu près le style présidentiel de BCE.

A présent, ce qui n'était que rumeurs, spéculations ou suppositions s'impose en certitudes indéniables: Nidaa Tounes saura reconnaître les «siens» et BCE devra tenir compte, dans ses calculs à venir, des susceptibilités des uns et des autres et des très nombreux obstructionnismes et calculs politiciens qui pourront représenter bien plus que de simples grains de sable...

Moyennant quelques rectifications et concessions à droite et à gauche, le gouvernement de M. Essid finira par obtenir l'aval de l'ARP, mais cette opération, qui en principe aurait pu être une formalité simple étant donné les nombreuses urgences auxquelles le pays est confronté, ne se serait pas déroulée sans peine.

Désormais, BCE et ses proches collaborateurs savent à quoi s'en tenir: même si les attaques et critiques faites à leur projet de gouvernement sont dispersées et parfois contradictoires, le minimum qui semble unir toutes ces oppositions est loin d'être négligeable.

Toutes les réserves exprimées font une somme totale parlementaire assez importante: sur les 5 premières formations qui sont représentées au sein l'ARP, 3 partis (Ennahdha, le Front populaire et Afek Tounes) n'ont pas caché leur volonté d'engager un bras-de-fer avec Nidaa Tounes – sans compter que certaines petites formations, comme le CpR et Al-Moubadara, ou certains députés indépendants qui souhaiteraient sortir de l'anonymat pour faire entendre leurs voix et arracher quelques séquences télévisées aux JT de 20 heures...

Egoïsmes, égocentrismes, myopies et autres complots

Il y aurait même des figures nidaaïstes qui ne voudraient pas se priver du malsain plaisir de régler des comptes personnels ou petitement idéologiques avec certains dirigeants de leur propre parti.

En somme, plus de la moitié des représentants du peuple – et peut-être plus de la moitié du peuple tunisien lui-même! – se serait liguée contre Nidaa Tounes et l'Union patriotique libre (UPL) de Slim Riahi – soit, sur le papier, un total de 102 députés à l'ARP.

Il s'agit donc d'un sérieux handicap que le prochain gouvernement de M. Essid devra résoudre chaque fois qu'il soumettra un projet de loi ou qu'il prendra la moindre décision. A chacune de ces occasions et à chacune de ces initiatives, il y aura un front uni contre-nature qui se formera pour s'opposer à la volonté du Premier ministre de faire bouger les choses et de remettre la Tunisie au travail.

Ce sont ces égoïsmes, ces égocentrismes, ces myopies, ces règlements de comptes politiciens et autres complots qui feront toujours reporter à plus tard le redémarrage de l'activité économique, le retour de la stabilité sociale et la tranquillité même des esprits – sans parler des nombreuses autres priorités qui devront, elles aussi, attendre encore plus.

Nous avons eu beau rédiger «la meilleure constitution au monde», nous avons eu beau organiser des élections législatives et présidentielle tout à fait irréprochables et désigner un chef de gouvernement quasiment «consensuel», mais nous n'avons pas été capables d'enseigner à nos apprentis politiciens et nos «élites» la leçon du travailler ensemble.

Pour cette raison, et peut-être bien d'autres, ceux qui ont aujourd'hui la charge de diriger les affaires du pays ou sont susceptibles d'y être associés refuseront de coopérer et continueront de «faire mumuse» avec le sort des 11 millions de Tunisiens.

Tout ce beau monde – du pouvoir comme de l'opposition – devrait se méfier, car l'apparente résignation des Tunisiens est trompeuse.

Et, pour prendre le contrepied d'une certaine sagesse populaire tunisienne, nous leur rappellerons que le silence de la majorité est loin, très loin, d'être un signe d'approbation. C'est peut-être plutôt le calme avant le prochain tsunami.
Souvenons-nous, alors personne ne s'y attendait, un premier ouragan a balayé Ben Ali et son régime fort.

Souvenons-nous aussi, qu'une tempête a «dégagé» la Troïka.

Avis, donc, aux amateurs du pouvoir qui souhaiteraient s'essayer!

Illustration: Le premier ministre désigné Habib Essid reçu par le président de la République Béji Caïd Essebsi.

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