Ce ne sont pas de simples kidnappings dont furent victimes nos deux diplomates en Libye. C'est une prise en otage de l'Etat et de la société tunisiens.
Par Imed Bahri
Dans l'indifférence totale, deux fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères (MAE) ont disparu, enlevés probablement par des groupes qui se sont abstenus, au moins publiquement, de revendiquer les rapts. Cela n'exclut pas que des contacts maintenus secrets entre les ravisseurs et les autorités tunisiennes aient pu avoir lieu. Le MAE aurait chargé l'ambassadeur de Tunisie à Tripoli, Ridha Boukadi, de suivre l'affaire. A-t-il les moyens de mener les tractations et les négociations avec les groupes terroristes qui ont commis ce forfait? Certaines sources évoquent son appartenance à Ennahdha et présument qu'il doit avoir de bons contacts avec les réseaux islamistes libyens, mais cela à l'évidence ne suffit pas car les organisations terroristes qui ont enlevé nos diplomates appartiennent à la mouvance salafiste jihadiste et semblent vouloir les échanger avec des terroristes qui avaient tué des soldats tunisiens à Rouhia, gouvernorat de Siliana (centre), en mai 2011, et furent condamnés à 20 ans de prison.
Des agents de la Brigade anti terroriste sur le lieu de l'attaque de Rouhia, en mai 2011.
Une monnaie de change
On kidnappe des diplomates pour faire chanter l'Etat tunisien et libérer des tueurs qui ont étés jugés et condamnés par les tribunaux. Cette audace semble avoir été encouragée par l'attitude du gouvernement de la Troïka, l'ancienne coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha, qui aurait libéré sous pression des détenus de droit commun libyens, jugés puis relâchés en échange de tunisiens kidnappés par des milices libyennes.
Un gouvernement qui cède au chantage est toujours perçu comme un gouvernement faible et pousse les groupes de terroristes à user de ce stratagème odieux. Des gouvernements européens notamment français ont payé des sommes considérables pour libérer leurs citoyens et notamment à l'organisation terroriste Aqmi, mais ils n'ont jamais libéré des terroristes détenus en échange. Il y va de la sécurité nationale de leurs pays.
S'il est vrai que de telles situations sont très difficiles à gérer, et notamment politiquement et diplomatiquement, car souvent les Etats où se déroulent de tels évènement s'opposent à ce que leur souveraineté soit bafouée, il n'en est pas moins vrai que la Libye actuelle n'a même pas ce qui ressemble à un Etat et le pouvoir de son gouvernement ne couvre même pas la surface des locaux où il campe. La Tunisie doit recourir aux actions appropriées pour confronter une telle situation qui risque de se multiplier dans l'avenir proche.
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Un nid de terroristes à nos portes
Un autre facteur est responsable de l'engrenage dans lequel s'était engouffré la Tunisie. L'ingérence affichée et déclarée par nos gouvernants, depuis le début de la guerre civile en Libye, au nom du soutien d'un camp dit «révolutionnaire»! Ce sont ces mêmes «révolutionnaires» qui kidnappent nos diplomates. Sans parler des «contre-révolutionnaires» qui ont fui vers la Tunisie et dont le nombre dépasse les 700.000. Ces derniers, faut-il le rappeler, sont parties-prenantes du conflit libyen. D'ailleurs ce sont aussi ces mêmes «révolutionnaires» qui accueillent Abou Iyadh, le chef tunisien des Ansar Charia, et c'est à partir de la Libye que armes, munitions, kamikazes et terroristes sont acheminés vers Jebel Chaâmbi et autres fiefs connus ou secrets de Ansar Charia. Le président du gouvernement l'a déclaré à Washington, lors de sa récente visite aux Etats-Unis.
Le kidnapping de nos deux diplomates est une tentative désespérée des organisations terroristes pour stopper le rouleau compresseur déclenché par les forces de sécurité et l'armée pour éradiquer le terrorisme. Le gouvernement doit agir au plus vite pour protéger nos diplomates et nos citoyens en renforçant les mesures de sécurité autour de notre ambassade et consulats et en maintenant un contact permanent avec nos concitoyens en Libye pour les avertir des menaces et les conseillers à l'instar de ce que font les représentations européennes ou américaines.
D'autre part, l'indifférence totale des médias et de la société civile est due essentiellement à l'omerta qu'imposent les fonctionnaires du MAE, se contentant de communiqués laconiques. La prétendue discrétion nécessaire, en se contentant de déclarer que l'ambassadeur est chargé de suivre l'affaire, est un moyen de se défausser sur lui. Les habitués de l'arcane de ce ministère savent très bien ce que cela veut dire.
Logiquement, une cellule de crise composée de hauts cadres des ministères concernés doit être déjà constituée. Le problème de telles cellules, en général, c'est qu'elles doivent être supervisées par le chef de l'Etat lui-même et c'est lui en personne qui monte en créneau, étant commandant suprême des forces armées et le patron de la diplomatie. Mais le nôtre semble avoir d'autres chats à fouetter.