On savait, à l'avance, que la cause de Mehdi Jomaâ était acquise, que son examen de passage n'était qu'un jeu facile et qu'Ennahdha allait soutenir jusqu'au bout le successeur à «son» Ali Larayedh. Le plus gros reste cependant à faire...
Par Moncef Dhambri
L'euphorie de l'adoption et la ratification de la nouvelle constitution est passée. La suite des évènements a ramené les choses à leur juste proportion. Les débats et questionnements des constituants sur l'équipe qui succède à la Troïka 2 ont montré que la partie de bras-de-fer d'Ennahdha «contre tous» va se poursuivre et que les technocrates indépendants qui dirigeront les affaires du pays jusqu'aux prochaines élections seront sous très haute surveillance.
Une journée d'euphorie ne fait pas le bonheur
Nous savions que, sur trois longues années, une seule journée, qui a vu l'adoption de «la meilleure constitution au monde» (dixit Mustapha Ben Jaâfar, président de l'Assemblée nationale constituante, ANC), n'allait pas faire à elle seule le printemps de notre révolution et nous faire oublier tous nos désenchantements. Nous avons accepté que les frères ennemis puissent s'embrasser. Nous nous sommes quelque peu emportés; nous avons tous brandi le V de la victoire; certaines d'entre nos constituantes ont inondé de leurs youyous l'hémicycle de l'ANC; nous avons rougi de fierté aux applaudissements, félicitations et compliments de nos frères et amis de l'étranger...
Pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures, il n'y avait que de l'enthousiasme, de la liesse et de la folle joie.
La suite, c'est-à-dire les autres étapes de la feuille de route décidées par le Dialogue national, allait nous ramener sur terre: à la dure réalité de ce qui attend le pays et le peuple, pendant les 8 ou 9 mois à venir. Et le premier des nombreux pas de cette «transition transitionnelle» est venu nous rappeler que les intentions de certaines parties n'ont jamais été bonnes et qu'Ennahdha, pour faire confiance à une déclaration de Cheikh Rached Ghannouchi, «a quitté le gouvernement et non pas le pouvoir».
Tout, du début jusqu'à la fin, s'est donc joué à Montplaisir. Et l'impression que les Nahdhaouis ont perdu la partie n'est, en vérité, qu'une illusion: un repli stratégique, une courte absence pour se faire oublier et se ressaisir, un recul pour préparer l'autre assaut qui sera final...
Gouvernement indépendant ou Troïka 3?
Hier, mardi, le Premier ministre désigné Mehdi Jomaâ est donc venu présenter à l'ANC son équipe de «technocrates indépendants». Il a largement obtenu son 50+1: 149 constituants, sur les 193 qui ont voté, lui ont accordé leur oui – contre 44, qui ont choisi de dire non ou de s'abstenir.
L'Instance des élections a été le principal sujet évoqué lors de la cérémonie de passation, entre MM Larayedh et Jomaâ, mercredi matin, au Palais des Gouvernement, à la Kasbah.
Nous savions, à l'avance, que la cause de M. Jomaâ était acquise, que les 109 voix requises pour son passage n'était qu'un jeu facile et qu'Ennahdha, pour différentes raisons, ne pouvait manquer de soutenir jusqu'au bout pareil successeur à Ali Larayedh.
Bref, toutes les mises en garde et toutes les menaces que la ligne à suivre pour la composition de la nouvelle équipe gouvernementale était celle de la célèbre «feuille blanche» définie au nom du Quartet par Houcine Abassi, le secrétaire général de l'UGTT, et tous ces avertissements de l'opposition n'auront pas servi à grand-chose. Mehdi Jomaâ a réussi cette première épreuve. Il en connaitra d'autres et il les surmontera. Le reste n'est qu'une affaire de patience, une courte dizaine de mois pendant lesquels l'opposition s'essoufflera à dire non à telle ou telle décision, à tenter de déposer telle ou telle motion de censure, à prendre la rue pour témoin, à appeler au «rahil» (départ), à s'époumoner de manifestation en sit-in, etc.
Les récalcitrants de l'ANC ont pu, hier, déplorer le fait que le gouvernement de Mehdi Jomaâ soit une Troïka 3, que l'appartenance politique de certains de ses membres soit prouvée ou que le parcours de certains autres laisse à désirer. Tout cela n'y a rien fait: le successeur d'Ali Larayedh a obtenu près des ¾ des voix de constituants présents. Cette bonne «réussite» va, donc, lui permettre de se mettre au travail et d'exécuter un programme qui, de l'avis de la majorité des observateurs, est «trop vague et trop général» pour signifier un véritable changement de cap ou un passage à la vitesse supérieure.
Il est dur le réveil de l'adoption de la Constitution de la Deuxième République de Tunisie. Il est dur de voir la caravane de Mehdi Jomaâ passer ainsi, sans que l'on puisse faire quoi que ce soit.