mokhtar trifi 11 18Dans un communiqué diffusé lundi, les défenseurs des familles des martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi persistent et signent: le ministère de l’Intérieur a bel et bien dissimulé des preuves à la Justice dans ces deux affaires.

Dans un communiqué rendu public lundi, l'Initiative pour la recherche de la vérité sur l'assassinat de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi (Irva) dément le ministère de l’Intérieur et publie des clarifications sur, notamment, l’arme employée dans l’assassinat de Chokri Belaïd, qui est un révolver de type Beretta, en apportant à l’opinion publique des preuves de l’existence de cette arme dans l’arsenal des forces de l’ordre tunisiens. Nous reproduisons, ici, ce communiqué dans son intégralité.

«Après avoir pris connaissance du communiqué du ministère de l’Intérieur suite à la dissimulation, par ses services, du rapport d’expertise balistique effectué par un centre hollandais spécialisé, le Collège de défense de la famille du martyr Chokri Belaïd et l’Initiative pour la recherche de la vérité sur les assassinats des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (IRVA), tiennent à communiquer à l’opinion publique tunisienne et internationale les clarifications et faits suivants:

Premièrement : à propos de l’arme employée de type Beretta 

Le ministère de l’Intérieur a prétendu que les unités de la Garde nationale et de la Police nationale ne sont pas en possession d’armes de la marque Beretta de calibre 9 mm.

De même, lors d’une conférence de presse tenue le mardi 12 novembre 2013, les syndicats des forces de sécurité intérieure ont indiqué que le ministère ne détient que des révolvers de la marque Beretta de calibre 7.65 mm.

Toutefois, des éléments factuels précis documentés par des PV de justice ainsi que des écrits émanant du ministère de l’Intérieur prouvent le contraire.

Lors de l’examen en appel du dossier des martyrs du Grand Tunis par le Tribunal militaire (affaire n° 1822), l’un des officiers de police a déclaré avoir reçu de son chef d’équipe une arme de la marque Beretta de calibre 9 mm et ce, en vue de sécuriser le coffre à munitions, ce qu’a confirmé mot pour mot le chef du poste de police de Ksar Saïd attestant ainsi auprès du Tribunal militaire que l’arme remise à l’officier de police était bien de la marque Beretta.

Le rapport d’audience en date du jeudi 27 mars 2013 mentionne clairement en page 19: «Il a été demandé par le commandant des troupes de renfort de déplacer les armes stockées du poste de police; il a été ainsi procédé à l’ouverture de l’armoire contenant les armes individuelles de type revolver et procédé à la remise de la seule arme de la marque Beretta à Mr SDB».

2) Il se trouve que, par le passé, le ministère de l’Intérieur a publié une note sous la référence n°3228 en date du 29 août 2011 détaillant avec précision la liste des armes mises à la disposition du poste de police de Ksar Saïd au sein de laquelle figure le revolver de la marque Beretta de calibre 9 mm. Ce faisant, il est clair que les déclarations du ministère de l’Intérieur réfutant la détention de ce type d’armes dans leur stock sont à l’évidence infondées.

Deuxièmement : à propos de l’obtention du rapport d’expertise balistique dans le cadre de l’entraide policière et non judiciaire

Le ministère de l’Intérieur a prétendu avoir reçu le rapport balistique dans le cadre de l’entraide policière et a appuyé ces propos par une correspondance émanant d’Interpol Tunisie en date du 7 juin 2013 insistant sur la nécessité de faire conserver le dit rapport par ses services et de ne pas diffuser ni de communiquer les conclusions de celui-ci au juge d’instruction. Cette allégation est dangereusement trompeuse et cet acte pénalement répréhensible pour les raisons suivantes:

1) La correspondance en date du 7 juin 2013 à laquelle il est fait référence a été adressée au juge d’instruction sans que ne soit fait aucune mention à ce dernier de l’obtention du rapport d’expertise par les services du ministère de l’Intérieur alors que ceux-ci disposaient déjà de la copie originale dudit rapport. 2) Le chargé d’enquête, officier de police judiciaire, relevant de la division des affaires criminelles en la personne de Mr XX était à la fois présent et témoin lors de l’opération de remise du rapport d’expertise.

Il est à signaler que ce dernier, commis par le juge d’instruction, est placé sous son autorité directe et que s’impose à lui la stricte application de l’article 57 du Code de procédure pénale visant l’obligation d’informer le juge d’instruction des moindres documents et pièces, indépendamment de leur niveau de pertinence ou d’importance, dont il a pu avoir connaissance dans le cadre de l’enquête.

Il va sans dire que ce principe s’applique à l’évidence à un rapport d’expertise balistique d’autant que l’officier de police judiciaire ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation quant au choix des documents à soumettre au juge d’instruction.

3) Le ministère de l’Intérieur n’a pas procédé au paiement des frais de l’expertise portant par là atteinte à l’image de la Tunisie à l’étranger car il est entendu que l’opération de paiement ne peut s’effectuer que via le ministère de la Justice selon des procédures et formalités impliquant que ledit rapport, dont le ministère de la Justice est ordonnateur, doit être en sa possession.

Ainsi le ministère de l’Intérieur en choisissant de dissimuler la remise du rapport aux services du ministère de la Justice s’est trouvé ainsi contraint de ne pas faire procéder au paiement afin que ledit rapport ne soit pas de facto divulgué.

4) Afin de lever toute ambigüité, nous portons à la connaissance de l’opinion publique nationale et internationale, le texte intégral de la correspondance du ministère des Affaires étrangères hollandais dans laquelle il révèle la remise du rapport d’expertise en date du 29 mai 2013 à M. B. B. afin que ce dernier le remette de main à main à Monsieur le Directeur général des Affaires pénales auprès du ministère de la Justice.

Si ce rapport avait été réellement et effectivement rendu dans le cadre de l’entraide policière, pour quelles raisons les autorités hollandaises ont-elles depuis le début adressé ledit rapport au ministère de la Justice? Et partant, pour quelles raisons le ministère de l’Intérieur tunisien ne l’a-t-il pas à son tour transmis au ministère de la Justice alors que ce dernier devait en être destinataire?

Ci-joint traduction intégrale du texte de la correspondance du ministère des Affaires étrangères hollandais en date du 24 septembre 2013: «Le rapport du NFI était rédigé pour, et adressé à l’attention de M. Riadh Belkadhi, du ministère de la Justice de Tunisie. Ce rapport fournit à Monsieur le Procureur général en charge des affaires criminelles toutes les réponses à la demande d’assistance en date du 29 mai 2013. La délégation tunisienne était responsable de remettre le rapport à M. Belkadhi. Une copie de ce rapport est jointe à cette lettre.»

Ce texte en langue anglaise démontre de manière claire que le laboratoire hollandais a remis le rapport balistique à M. B. B. aux fins de le remettre au Procureur général en charge des affaires pénales auprès du ministère de la Justice. Mais de quelle entraide policière parle-t-on? Et pourquoi ledit rapport n’a pas ensuite été remis à son destinataire au ministère de la Justice?

5) L’opération de dissimulation est incriminée d’un point de vue pénal étant donné que tous les actes sont commis par ordre du juge d’instruction en charge de l’affaire et que ce dernier à toute autorité et tout pouvoir sur les actes, les documents et les procédures en relation avec le dossier.

C’est la raison pour laquelle, dès l’instant où le juge a eu en sa possession la copie certifiée conforme du rapport adressé par le laboratoire hollandais au ministère de la Justice, celui-ci a procédé au procès-verbal de sa saisie, signé par ses soins, par sa greffière et par la personne lui ayant remis le rapport puis a décidé de l’envoi dudit rapport à la chambre des saisies du Tribunal d’instance de Tunis.

6) De même qu’il a décidé de saisir l’original du rapport d’expertise après que ce dernier lui ait été remis par M. R. R. chef de la division des études et du suivi relevant de la Direction de la police judiciaire lors de son audition en date du 29 octobre 2013.

Le PV de saisie ayant été collectivement signé par ce dernier ainsi que par le juge d’instruction et par la greffière. Cette procédure légale de saisie démontre clairement que le ministère de l’Intérieur a dissimulé cette expertise au juge d’instruction et que c’est lorsque ce dernier a pris connaissance de son existence qu’il a décidé de procéder à sa saisie formelle selon les procédures légales considérant que ce document est une partie intégrante de l’acte de dissimulation objet de l’incrimination de l’espèce. Celle-ci tombe sous le coup de l’article 32 du Code pénal disposant qu’«est considéré comme complice et puni comme tel (…) celui qui a prêté sciemment son concours aux malfaiteurs pour assurer par recel ou tout autre moyen, le profit de l’infraction ou l’impunité à ses auteurs».

Sur le fondement de l’article 114 du même code, il est prévu que «le fonctionnaire public ou assimilé qui peut commettre une infraction, fait usage des facultés ou moyens inhérents à sa fonction, est condamné à la peine prévue pour l’infraction augmentée d’un tiers».

Rappelons qu’usuellement, les juges d’instruction se contentent simplement de classer les rapports d’expertise parmi les pièces du dossier sans procéder à leur saisie légale.

Le cas d’espèce a subi un traitement différent en raison de l’acte de dissimulation dudit rapport d’expertise émanant du laboratoire hollandais.

7) Le ministère de l’Intérieur et le syndicat ont indiqué que les résultats de l’expertise balistique entreprise par le laboratoire en charge des affaires criminelles et scientifique relevant de la direction de la police technique et scientifique étaient cohérents avec ceux du laboratoire hollandais à la seule différence que le laboratoire tunisien n’a pas mentionné que l’arme avec laquelle a été assassiné le martyr Chokri Belaïd était de la marque Beretta, alors que ceci fut spécifié par le laboratoire hollandais.

De même que le rapport d’expertise émanant du laboratoire relevant du ministère de l’Intérieur analysant les pièces, les cartouches et les débris en relation avec l’assassinat du martyr Mohamed Brahmi n’indique pas que l’arme employée est de la marque Beretta.

Ce mutisme sur la marque de l’arme utilisée dans les deux assassinats est-il à imputer de nouveau à une tentative de dissimulation ou simplement au fait que cette information n’a pu être déterminée?

Le ministère de l’Intérieur n’a pas jugé utile de commenter dans son communiqué le fait que le collège de défense ait démontré que messieurs Ahmed Rouissi et Kamel Gadhgadhi aient pu échapper à toute sanction dans la mesure où les deux véhicules qu’ils utilisaient n’ont pas été mis en situation de fouille au moment où ceux-ci ont été identifiés par l’officier de policier judiciaire en charge de l’enquête.

Le dossier du martyr Chokri Belaïd avec sa forte dimension symbolique est bien plus important que toutes les tentatives de dissimulation de la vérité, qui n’épargneront pas aux coupables les sanctions prévues par les lois en vigueur et ce, indépendamment de leurs convictions d’être immunisés ou protégés. Nous demeurons mobilisés et redoublerons d’efforts pour établir la vérité sur l’assassinat des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi».

Pour le collège de défense de la famille du martyr Chokri Belaid

Maître Mokhtar Trifi