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Le collectif d'associations féministes Hrayer Tounes, appuyé par l'UGTT et plusieurs partis de l'opposition, a célébré, mardi soir, la fête nationale de la femme au Bardo. L'ambiance, plus militante que festive, en dit long sur le malaise du pays sous le règne des islamistes.

Par Zohra Abid

 Le rendez-vous a été fixé à 18H30 à la place Bab Saâdoun, où les dizaines de milliers de manifestants, hommes et femmes, toutes générations et classes sociales confondues, ont répondu présents. En ce jour de leur fête, les Tunisiennes ont préféré se draper du drapeau de leur pays : ses couleurs (rouge et blanc) et ses symboles (étoile et croissant). La plupart se sont faites belles. Certaines ont opté pour les habits traditionnels (safsari, chechia, etc.), une manière d'affirmer leur identité et de rejeter les nouvelles habitudes vestimentaires importées d'Arabie ou d'Afghanistan (hijab, niqab et tchador).

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Les Tunisiennes portent les habits traditionnels pour affirmer leur identité et rejeter les nouvelles habitudes vestimentaires importées d'Afghanistan.

Bourguiba ressuscité au Bardo

Le cortège, escorté par les forces de sécurité, agitant des banderoles imprimées de slogans divers, mais essentiellement critiques envers la coalition au pouvoir et notamment le mouvement Ennahdha, s'est dirigé par la suite, en plusieurs vagues successives, à la Place du Bardo, près d'un kilomètre plus loin, où se tient depuis plus de 2 semaines le Sit-in Errahil, appelant à la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et du gouvernement provisoire et à la mise en place d'un gouvernement de salut national.

19 heures, l'avenue 20 Mars était tout en rouge et blanc. Des vagues humaines agitaient le drapeau national, et, ça et là, des portraits géants de Habib Bourguiba, premier président de la république tunisienne et, surtout, «libérateur de la femme», mais aussi des slogans en hommage aux figures du courant réformiste tunisien qui ont beaucoup fait pour l'émancipation des Tunisiennes, et notamment Tahar Haddad, Abdelaziz Thaâlbi et Tahar Ben Achour, intellectuels et théologiens issus de la Mosquée Zitouna, mais ouverts aux vents de la modernité avec ses corollaires : la liberté, y compris pour les femmes musulmanes, et la démocratie.

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Du renfort de poids pour le sit-in Errahil du Bardo.

L'hymne national a été entonné plusieurs fois, une manière de souligner l'unité de la nation autour de ses symboles, piétinés depuis un certain temps par les extrémistes religieux qui préfèrent faire allégeance, non pas à la Tunisie, mais à une vague oumma islamique ou un chimérique califat musulman à venir.

«Vive Bourguiba»; «La femme tunisienne n'est pas Mehrezia», par allusion à la députée d'Ennahdha et vice-présidente de l'Assemblée, l'acariâtre Mehrezia Laâbidi, l'une des femmes les plus détestées du pays; «Les Tunisiennes sont des compétences nationales»... et autres messages ont résonné, mardi, au Bardo.

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C'est l'avenir de cette petite fille qui a mobilisé plus de 100.000 manifestants hier au Bardo.

Le terrorisme n'a pas sa place en Tunisie

Au-delà de ces slogans dédiés à la préservation des acquis de la femme tunisienne et aux conditions, juridiques et autres, de son émancipation et de son épanouissement, les manifestants n'ont pas manqué d'exprimer leur colère envers le gouvernement en place. Hommes et femmes ont brandi les portraits de Lotfi Nagdh, Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi, les dirigeants politiques de l'opposition assassinés par des extrémistes religieux, mais aussi ceux des militaires tués dans l'embuscade du 29 août au Mont Chaâmbi et des agents de la garde nationale et des forces de l'ordre tués par des terroristes à la solde d'Al-Qaïda et que le gouvernement a laissé prospérer et essaimer dans le pays, par laxisme ou par calcul politique...

De nombreux slogans scandés par la foule dénonçaient le terrorisme, les assassinats politiques, la corruption, le clientélisme politique nahdhaoui qui a pris la relève de celui des Rcdistes, les attaques contre la liberté d'expression menées par le pouvoir en place. Et comme d'habitude, Rached Ghannouchi, chef d'Ennahdha, a cristallisé la colère populaire : «Dégage, Ghannouchi assassin»; «Bande de pilleurs du pays»; «Dissolution de l'ANC, dissolution du gouvernement Larayedh»; «Larayedh, venez, nous sommes là, en face de vous...».

Vers 19H30, à la place du Bardo, il n'y a plus une place où mettre un pied. A la tribune installée depuis le 27 août, jour de l'enterrement du député de l'opposition Mohamed Brahmi, les leaders des partis de l'opposition et les responsables d'organisations et d'associations de la société se sont succédé pour expliquer à la foule les prochaines étapes de la mobilisation populaire dans le cadre du Front du salut national.

Une feuille de route pour dégager le gouvernement

Parmi les intervenants et intervenantes, le leader du Front populaire Hamma Hammami. Un discours tout en l'honneur des femmes portées au pinacle, partout où elles se trouvent, dans les champs, au foyer, à l'usine, à l'hôpital, à l'université, et dans tous les autres secteurs où son combat fait honneur au pays...

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On n'a pas fini de critiquer un «gouvernement incompétent, indigne, arrogant et loin de répondre aux objectifs de la révolution».

Vers la fin de son speech, Hamma Hammami a annoncé la feuille de route, à mettre en place, dès mercredi 14 août, par le Front du salut national, constitué par l'Union pour la Tunisie, du Front populaire et de plusieurs organisations et associations: la campagne Erhal (Dégage) qui démarre aujourd'hui et vise à éjecter des institutions publiques les responsables nommés non pas pour leurs compétences mais pour leur allégeance à Ennahdha, et la Semaine du Départ, qui démarrera le 24 août.

22 heures, la place commence à se vider... Quelques centaines de personnes accompagnées de plusieurs députées retirées de l'ANC sont restées dans leurs tentes. Sur les pancartes, on n'a pas fini de critiquer un «gouvernement incompétent, indigne, arrogant et loin de répondre aux objectifs de la révolution».

Face à l'adversaire islamiste, le combat est loin d'être encore gagné, mais les gens semblent décidés à aller jusqu'au bout de leur combat.