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Notre reporter a passé quelques heures, vendredi matin, avec les dirigeants du Front populaire et les membres de la famille de Mohamed Brahmi, à la maison du défunt, à la Cité El Ghazala. Reportage...

Par Yusra N. M'hiri

 Nous sommes au 10 rue Errahma à la cité Al Ghazala (gouvernorat de l'Ariana), à la maison du député de l'opposition Mohamed Brahmi, au lendemain de son assassinat.

Il fait très chaud même, et malgré le soleil tapant, la maison grouille de monde, venus par centaines, présenter leurs condoléances à la famille du martyr. Des leaders de gauche sont présents pour exprimer leur solidarité avec la famille du défunt, notamment Mourad Amdouni, Mongi Rahoui, Hamma Hammami et sa femme Radhia Nasraoui...

Une cohabitation impossible

A l'extérieur, une tente de fortune a été installée, abritant des dirigeants du Mouvement du Peuple, qui tiennent une conférence de presse. Tout le monde s'impatiente de connaître les actions à mettre en route suite à cet assassinat. Les slogans incriminant Ennahdha ou soulignant sa responsabilité dans l'assassinat ponctuaient les discours. Les mêmes que ceux scandés lors des marches exigeant la vérité sur l'assassinat de Chokri Belaïd, notamment «Ya Ghannouchi ya saffah, ya kattel arweh» (Ghannouchi assassin!)»

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Hamma Hammami appelle à la désobéissance civile et à la rébellion pacifique.

«Avec la Troïka, la politique s'exerce désormais dans la rue. Nous devons donc aller sur terrain. Nous avions assez parlé, maintenant nous devons agir avant qu'il ne soit trop tard», lancent les dirigeants présents, en appelant leurs troupes à la désobéissance civile et la rébellion pacifique.

M'barka, la veuve du martyr, partagée entre courage et abattement, s'indigne du crime odieux qui a emporté la vie de son époux. Elle appelle au départ du gouvernement provisoire qu'elle qualifié d'«incapable» et stigmatise des «mains tachées de sang». Elle souligne la responsabilité de la Troïka, la coalition au pouvoir, du mouvement Ennahdha, de son président Rached Ghannouchi et tous ceux qui ont appelé à la haine à l'encontre des opposants, notamment Sahbi Atig, président du bloc Ennahdha à l'ANC: «Il est temps de sortir dans la rue, de demander à un gouvernement provisoire, illégitime depuis presqu'un an, de quitter les lieux, de laisser place à des dirigeants patriotes, et non avides de pouvoir», explique-elle. Elle soupire, sèche une larme qui coule et reprend: «Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ont été lâchement assassinés et demain ça sera tout le peuple qui sera en danger. C'est nous ou eux, mais nous ne pouvons plus continuer de la sorte, notre cohabitation est à présent impossible».

La veuve, mère et épouse courage annonce que son mari sera enterré, selon ses volontés, au carré des martyrs au cimetière du Jellaz: «Un jour, il m'a dit, si je tombe, je souhaite être enterré auprès de mon camarade Chokri», dit M'barka. Malgré les différends au sein de la famille – certains souhaitant le voir inhumé à Sidi Bouzid, sa ville d'origine et berceau de la révolution en décembre 2010 –, c'est donc finalement à Tunis, auprès des martyrs tombés pour la patrie, que Mohamed Brahmi sera inhumé.

Pour un gouvernement de salut national pour sauver le pays

Hamma Hammami, l'air grave, présente ses condoléances à la famille, mais aussi à toute la Tunisie, car cet assassinat, estime-t-il, est un «tsunami sociopolitique aussi grave que celui qui a frappé le pays, le 6 février dernier, lorsque Chokri Belaïd a reçu 3 balles dans le corps.» Il explique que le Front populaire et la gauche sont clairement visés par Ennahdha et ses milices extrémistes: «Ce n'est pas par hasard, que les assassins sont islamistes extrémistes et que les victimes appartiennent à la gauche. Nous sommes en danger, et nous ne devons pas lâcher!», dit-il.

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Le député Mourad Amdouni, compagnon de Mohamed Brahmi, appelle à lachute du gouvernement.

M. Hammami affirme que la violence pratiquée par Ennahdha pourrait participer d'une vaste opération d'intimidation, visant à mettre fin à tout mouvement de rébellion, mais c'est l'effet contraire qui va, en réalité, se produire. Le Front populaire, rejoint par la société civile, et par l'Union pour la Tunisie, demandent la dissolution de l'ANC et du gouvernement provisoire et la mise en place d'un gouvernement de salut national, en vue de sauver le pays.

«Il nous faut un gouvernement qui durerait 6 mois, le temps d'organiser des élections libres. Ses membres ne seront pas rémunérés. Ils devront travailler par amour de la patrie et pour sauver la Tunisie de la Troïka, qui a fait couler le sang des Tunisiens et qui a oublié les objectifs de la révolution... une révolution à laquelle ils n'ont nullement contribué et qui leur a permis de refaire surface», explique M. Hammami, par allusion aux islamistes d'Ennahdha.

Pour le leader du Front Populaire, l'annonce par le ministère de l'Intérieur du nom du présumé assassin de Mohamed Brahmi n'est pas un scoop. Et pour cause «Nous ne voulons pas de noms de présumés coupables en fuite; nous voulons savoir qui a commandité le meurtre. L'annonce de l'identité de celui qui a appuyé sur la gâchette ne suffit pas. Ce sont les noms de ses commanditaires que nous voulons connaître... Bien qu'à l'évidence, chacun de nous les connaît», a encore expliqué M. Hammami

Mourad Amdouni, du Mouvement du Peuple, député démissionnaire de l'ANC depuis hier, donnera un indice à ses yeux important pour l'enquête relative à l'assassinat de Mohamed Brahmi: la présence, mardi dernier, d'une voiture portant immatriculation du ministère de la Santé, et dont le conducteur a demandé à des voisins de lui indiquer la maison du martyr.

«Zaghrtou ya nsé, le martyr va rentrer»

La fille ainée Brahmi était là, elle aussi, triste mais debout, et décidée à poursuivre le combat de son père: «Ceux qui ont tué mon père et Chokri sont des assassins. Ils devront se justifier devant le juge le jour où ils seront déchus. Le peuple n'a plus confiance en eux. Ce sont des terroristes et ils procèdent par la violence. Ils ne sont pas dignes de diriger une Tunisie libre et qui va le rester», crie-t-elle, en faisant le V de la victoire.

Mme Feu Brahmi a reçu plusieurs représentants du corps diplomatique accrédité à Tunis venus présenter leurs condoléances à la famille. Parmi eux, l'ambassadeur de France François Gouyette, qui était accompagné de Bertrand Delanoë, le Maire de Paris. Mme Brahmi était digne et essayait de camoufler sa profonde douleur, mettant en avant son courage et sa volonté de voir la situation s'améliorer en Tunisie afin que la mort de son époux ne soit pas pour rien.

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M'barka, épouse du défunt, restée très digne dans la douleur.

A l'intérieur, la maison aussi est pleine de monde... Les pleurs et les cris sont tout de suite calmés par des membres de la famille, notamment par Adnen, le fils du défunt, très fatigué, presque abattu, mais digne: «Non, s'il vous plaît, ne pleurez pas. C'est un martyr, il faut applaudir, lancer des youyous et demander à Dieu la miséricorde et le pardon», dit-il aux uns et aux autres.

Mohamed Brahmi est encore à l'hôpital Charles Nicolle. Son corps doit être ramené dans sa modeste maison dans le courant de la soirée. La famille attend avec impatience de le pouvoir le serrer une dernière fois dans leurs bras.