Anachroniques de Aicha Filali Banniere

Aïcha Filali, artiste à l'humour décapant, fouille dans les poubelles de l'actualité, décortique, biaise et dénonce, dans ses «ana-chroniques» de la transition démocratique.

Par Anouar Hnaïne

Les artistes ou du moins les meilleurs d'entre eux se posent la question qui tracasse leur esprit: et que faire aujourd'hui? Travailler est évidemment la réponse. Travailler oui, mais quoi et comment? Comme ils sont confinés dans un style, un genre, une école, une tendance, un style..., cette marque d'usine les classe dans un genre, une école, etc. Ils sont souvent appelés à se répéter. Problème.

De la figuration narrative

Aïcha Filali semble échapper à cette catégorie : elle travaille par thème sur des sujets apparemment ordinaires. Ses expos portent des titres et s'attaquent à un phénomène de société : ''Valises'', ''Chbabik ou atib'', ''Kollohom Blaik'', ''Zapping'' (critiques des médias), etc.

Elle revient avec l'actuelle exposition, plus divertissante, inventive que jamais, dans ses bagages des œuvres truculentes, dignes d'un cabinet de curiosités.

Sbabet de Aicha Filali

Impressionnant... Cette exposition, avec ses airs ludiques et anecdotiques, réunit toutes les pièces, détails compris, d'un dossier qui a fait couler beaucoup d'encre : la transition démocratique.

Le travail, les efforts, sont visibles sur ces œuvres, Aïcha s'y est investie corps, âme et esprit. Et qu'y voit-on? Des miniatures anciennes, persanes, indiennes ou arabes, des scènes de genre, des personnages, pleins d'objets usuels, collés les uns aux côtés des autres. Il y a là une rupture avec la grammaire de la peinture, absence de plans, de perspectives, de gradations, de force de couleurs, de tons, etc.

Art critique, politique, militant? Comme l'époque veut qu'on classifie les artistes dans un genre, dans une école... à la lumière de ces travaux anciens et des 33 planches exposées actuellement à la galerie Ammar Farhat à Sidi Bou Saïd, on peut rapprocher ou même qualifier le travail de Aïcha Filali de figuration narrative.

Katous de Aicha Filali

Une photographie de notre société

La braise de la révolution éteinte, la Troïka (ex-coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha) est au pouvoir, un goût de cendre vole dans l'air. Malaise dans la société civile, les islamo-salafistes passent aux violences physiques, incendies de mausolées, attaques de cinéma, d'espace d'art, etc.

Beaucoup d'artistes se sont retirés de la scène (que faire en temps de changement social radical?), d'autres se sont curieusement convertis en acteurs militants, dogmatiques ou opportunistes, montrant des travaux «tracts et slogans».

D'autres ont résisté, rompant avec l'héritage artistique, créant des formes de lutte contemporaines et combatives.
Les journalistes dénoncent, les penseurs réfléchissent, les chroniqueurs chroniquent.

Pendant ce temps, Aïcha Filali, artiste contemporaine à l'humour décapant, se nourrit de la multitude des gestes, des actes, des turpitudes et de la crapulerie de la classe politique. En fourmi besogneuse, elle prépare ses ana-chroniques, compilant les documents, découpant dans les journaux, triant dans les photos et les magazines, sélectionnant les textes et les slogans. Elle pense, guette les faits anodins, les objets, les moindres détails, les incidents, les péripéties et les grands destins de l'histoire de cette transition.

Ana-chronique de Aicha Filali

En feux d'artifices

Au final, elle propose 33 planches comme un feu d'artifice, colorées, minutieusement élaborées, étoilées de proverbes, d'adages et d'anecdotes populaires. Cela s'appelle «Thawra», «Hammam», «Elections», «Mont Châambi», «Tourisme», «Doustour», «Université de la Manouba», etc. Où l'on voit que l'artiste est non seulement au fait de tout ce qui se déroule dans le pays, mais elle fouille dans les poubelles de l'actualité, décortique, creuse, biaise et dénonce. Personnages, lieux, bâtiments et objets, tout ce qui pouvait faire sens est intégré.

Un travail de patience, long et réfléchi, composé de photomontages, de scènes hétérogènes, éclatées, de miniatures et autres images cocasses. Une exposition sur nos mœurs et nos travers? Pas que ça, excitante, elle nous arrache des rires ou des sourires et nous insuffle des doses de joie. Allez découvrir.

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