Marek Halter - Khadija

A travers son roman, ''Khadija'', consacré à l'épouse du prophète de l'islam, Marek Halter, dit vouloir dresser le portrait d'une femme libre et moderne dans la société préislamique.

Par Hamdi Hmaidi

Fort du succès de ''La Bible au féminin'' qui comporte trois romans consacrés respectivement à ''Sarah'' (200 3), ''Tsiporra'' (2003) et ''Lilah'' (2004), Marek Halter, écrivain français de confession juive et d'origine polonaise, a publié en avril 2014 chez Robert Laffont un roman intitulé ''Khadija'' qu'il présente comme étant le premier tome d'une trilogie à venir ayant pour héroïnes trois femmes qui ont fortement marqué l'histoire de l'islam à ses débuts. Il s'agit en plus de Khadija, de sa fille Fatima et d'Aïcha.

Dix ans de bonheur

Le roman raconte la vie d'une jeune et belle femme frappée par le veuvage mais qui jouit d'une situation matérielle confortable grâce au legs de son défunt époux. Cependant, pour avoir son mot à dire au sein de la corporation des commerçants de la Mecque antéislamique, elle doit se remarier. Et, parmi les notables, les prétendants sont légion ! Contre toute attente, elle choisit de se lier au jeune caravanier qui est à son service. Cet orphelin qui lui avait été recommandé par son oncle était pourtant de douze ans son cadet. Il ne savait ni lire ni écrire. Ravi par cette union, Mohammad a vécu dix ans de bonheur avec celle qui lui donnera trois filles et un garçon. Malgré des signes manifestes de jalousie, le couple jouissait de l'estime des puissants dans une ville économiquement prospère.

La peste noire et les pluies torrentielles qui s'abattent sur la Mecque vont cependant changer le cours des choses. Face à ces deux épreuves, bien qu'ayant fait preuve de beaucoup de courage et d'abnégation, Mohammad et Khadija ne vont pas tarder à subir la volonté du destin : ils perdront leur fils unique Qacem. Ne pouvant donner un second fils à son mari, l'épouse vit très mal l'impact négatif de l'âge sur sa vigueur, sa perspicacité et son moral.

Quant à son mari, il se replie sur lui-même puis décide de s'isoler dans le désert. Lorsque Gabriel lui a transmis la parole de Dieu, Khadija a été la première à se convertir à l'islam en déclarant: «Moi, je crois!»

A travers ce roman, Marek Halter dit vouloir dresser le portrait d'une femme libre et moderne dans une société préislamique.

Un Juif parlant de l'islam

Le projet de l'auteur a-t-il été apprécié de la même manière par ses lecteurs? Tout porte à croire qu'il n'en est rien.

La réception du roman n'a pas été la même. Et pour cause !

L'éditeur définit en ces termes le positionnement de l'écrivain : «Juif parlant de l'islam et dont les romans sont lus par les Musulmans, les Juifs et les Chrétiens, Marek Halter encourage depuis toujours le dialogue interreligieux.» Puis il ajoute : «La trilogie, ''Les Femmes de l'islam'', est un véritable antidote à l'antisémitisme et à l'islamophobie.»
Marek Halter lui-même essaie d'expliquer sa démarche et d'en souligner l'intérêt. Il déclare à ce propos: «Il n'y a jamais eu de roman s'inspirant de l'histoire de la naissance de l'islam.» Il précise en outre que «ce livre a, par nature, deux publics. Les lecteurs non musulmans qui pourraient découvrir un monde qu'ils ne connaissaient pas ou plutôt un monde dont la perception a été pervertie par les extrémistes, les djihadistes notamment [...] Puis, bien sûr, les lecteurs musulmans». Il indique également: «J'ai fait relire les épreuves par un certain nombre d'imams et ils n'ont rien trouvé à redire.»

En tant que simples amateurs de la littérature et de l'histoire ou en tant que membres d'une communauté bien précise, les lecteurs ont émis des avis aussi divers qu'intéressants. Certains ont mis l'accent sur l'effet positif de l'ouvrage: «Ce roman met à terre les préjugés qu'ont bien des gens sur les femmes musulmanes.»

D'autres ont focalisé leur attention sur le personnage principal : Khadija est «une femme qui veut être aimée pour ce qu'elle est, qui est forte et courageuse, tendre et sensuelle, sage et aimante, et qui veut à la fois être mère et épouse et conserver l'indépendance de son commerce».

D'autres encore se sont intéressés à la question de la conformité de la fiction avec la réalité historique : «En tant que Musulmane, je n'ai rien relevé qui soit contraire, ni à l'Histoire ni à la foi», Mohammad «est un homme bien, aimant et aimé, s'occupant de son commerce et de ses enfants, courageux et intelligent» ou encore : «Le ''Khadija'' de Marek Halter est une voix qui porte encore et toujours vers la vie, la modernité, la tolérance et la piété».

Des écarts non pertinents

Mais une critique sévère a été faite à ce sujet par l'universitaire marocain Abdeljalil Lahjomri. Il écrit d'emblée: «La meilleure manière de nuire [au] dialogue [des religions] tant espéré est de publier ce genre de fiction romanesque».

En se livrant à un travail de «déconstruction» (terme qu'il utilise lui-même, sans doute en référence à Jacques Derrida), il inventorie les écarts non pertinents que s'est permis Marek Halter par rapport à la réalité historique, écarts dus selon lui au fait que le romancier n'a pas consulté les références fiables qu'il fallait lire et relire: «Au lieu de se laisser griser par le déploiement d'une imagination qu'il n'a pas su maîtriser, Marek Halter aurait dû simplement se contenter de scènes véridiques de la vie de Khadija, du roman de sa vie qui est en soi plus passionnant que les intrigues de son récit».

Dans ce sens, Lahjomri reproche à l'auteur deux choses essentielles. D'abord, une omission importante : celle de ne mentionner ne serait-ce qu'une seule fois que Khadija était surnommée la «Tahira» (la pure) par ses contemporains d'avant la révélation. Ensuite, l'insertion d'une scène qui donne d'emblée une image négative de Mohammad: «Pourquoi commencer par le récit d'une bataille sanglante quand on veut faire la biographie de la première épouse du prophète de l'islam, et le présenter ainsi entaché de sang, s'armant d'une épée, assassinant un mercenaire? Les textes ne nous disent rien de cette bataille [...] La seule fois où le futur prophète participera à une bataille avant la révélation, ce sera pendant la guerre du Fijar. Jeune, il ne fut pas un combattant à part entière, parce qu'il était chargé à l'arrière de préparer les flèches dont son clan avait besoin. L'image de Mohammad ainsi présentée qui sera ancrée dans la conscience du lecteur occidental non averti sera celle d'un homme sanguinaire.»

Voilà qui est dit. Mais le débat reste ouvert.

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