Kamel Daoud Algérie

Pour le journaliste et écrivain algérien, les Tunisiens devraient être plus indulgents vis-à-vis de leur révolution, qui donne la preuve qu'il existe une solution possible.

Par Moncef Dhambri

Kamel Daoud persiste et signe: «La Tunisie est le seul cas qui prouve qu'il y a une vie sur la planète d'Allah et que la démocratie est possible et que, culturellement, elle n'est pas incompatible avec l'arabité», dit-il.

Non à la fétichisation de la langue

A Tunis, pour la promotion de son roman ''Meursault, contre-enquête''(1), Kamel Daoud a été l'invité de nos confrères du ''Midi Show'', sur Mosaïque FM. Il s'est prêté, à cette occasion, au jeu du question-réponse où il a toujours excellé et a pu démontrer, une fois de plus, la pertinence de ses opinions, sa réplique incisive et son assurance de franc-tireur anti-islamiste qui assume totalement le caractère provocateur de ses prises de position.

D'entrée de jeu, il soulève cette question délicate de l'écriture en français. Droit dans ses bottes, Kamel Daoud lance: «J'écris en français parce que, tout simplement, j'aime écrire en français. Il ne s'agit nullement de position idéologique, militante, politique ou autre. Je me sens plus à l'aise lorsque j'écris en français. Le problème dans les pays du Maghreb, ou dans ce que l'on appelle le monde arabe, c'est qu'il existe une fétichisation de la langue (...) On a tendance à s'attarder, à s'arrêter, sur le détail et à oublier l'essentiel, c'est-à-dire que l'on se comporte comme ''l'idiot, auquel on montre la lune, qui fixe le doigt au lieu de regarder l'astre''. Hier, ou avant-hier, le ''New York Times Magazine'' a consacré un long article pour parler de mon livre. Pour moi, cela représente une fierté personnelle. C'est également une fierté pour mon pays et pour ma ville natale, Oran. Lorsque vous partez à la conquête du monde, il ne faut pas s'attarder sur le détail de la langue. Souvenons-nous, nous avons un message à faire parvenir aux autres. Nous avons un monde, une littérature et une image à défendre. C'est pour cela qu'écrire en français ou dans une autre langue importe peu. A mes yeux, un véritable auteur est celui qui sait vous faire oublier dans quelle langue il raconte son histoire...».

Les islamistes et le vide culturel du monde arabe

Face à la menace de mort des takfiristes algériens qui lui reprochent son «islam modéré»(2), Kamel Daoud garde toujours le même aplomb: «Pour moi, c'est une question de culture, c'est une question de lecture. Dans notre monde arabo-musulman, nos peuples ne lisent pas. L'on assiste, aujourd'hui, à une faillite de la société et de la civilisation arabo-musulmanes. Vous ne trouvez pas dans le monde arabo-musulman d'alternative sérieuse à la vision islamiste. Il y a des personnes (les islamistes, Ndlr) qui s'arrogent le droit de lire et d'interpréter l'islam à leur manière. Elles décident pour les autres. Elles disent ce qu'il faut faire ou ne pas faire au nom des autres... Alors que, en vérité, la relation avec la religion devrait être de l'ordre de l'intime, ces gens-là se placent entre l'individu et Allah. Qui sont-elles pour faire cela? Qui est-ce qui leur a donné ce droit pour vivre ma vie à ma place? Ont-elles une procuration, une délégation? A ces gens-là, moi je dis ''celui qui ne peut pas mourir à ma place ne peut pas vivre à ma place''. C'est çà mon principe. C'est çà ma vision des choses.»

Avec le même calme, Kamel Daoud rejette l'islam politique qui n'a fait, selon lui, que mettre à profit la faillite culturelle du monde arabo-musulman. «Ils (les islamistes, Ndlr) ont capitalisé sur le vide culturel dans lequel se trouve le monde arabe. Dans leur conquête de l'influence, les islamistes ont été mieux équipés, mieux organisés, mieux préparés et mieux financés», concède-t-il.

La révolution tunisienne est porteuse d'espoir

Pour Kamel Daoud, la révolution tunisienne est sur la bonne voie. Il insiste avec force qu'elle demeure «un symbole» de l'éveil possible des arabes et des musulmans. A ses intervieweurs de 'Midi Show' – donc, à l'opinion et, notamment, aux élites tunisiennes –, il adresse cet appel à la prudence et à plus d'indulgence envers ce que la Tunisie a pu accomplir, depuis 2011. Il avertit: «Ne soyez pas aussi sévères et aussi intransigeants dans le jugement que vous portez sur la Révolution. Il y a une distinction à faire entre votre manière de voir la Révolution – vous de l'intérieur – et notre regard à nous – nous qui sommes à l'extérieur. Il y a cette différence importante à faire. Pour ce qui nous concerne, la révolution tunisienne a été capable d'introduire de l'espoir. Gardez cela toujours présent à l'esprit: vous êtes un peuple qui donne la preuve qu'il existe une solution possible...»

La révolution tunisienne, selon Kamel Daoud, n'a pas le droit d'échouer.

Ouf, qu'une personne aussi sensée et intelligente que Kamel Daoud – ce frère algérien, avait-il vraiment besoin de nous pour reconnaître son intelligence? – vienne ainsi balayer notre scepticisme et notre morosité est plus que réconfortant.

Les Européens nous le disent. Les Américains et tous les Occidentaux nous le répètent également. Nous pouvons, peut-être, recevoir ces compliments avec une certaine précaution. Mais, entendre cela dans la bouche d'un voisin algérien remet un peu de baume au cœur de notre 14 janvier.

Allah, que cela soulage! Que cela encourage!

Notes:

(1) Le roman 'Meursault, contre-enquête' a valu à Kamel Daoud de très grands honneurs –entre autres distinctions, le Prix François Mauriac et la sélection au très renommé Prix Goncourt, en 2014. 'Meursault' est une «réplique» à ''L'étranger' 'd'Albert Camus où le personnage principal du roman de Kamel Daouad n'est autre que le frère de l'Arabe que Meursault, dans le roman de Camus, tue... En somme, il s'agirait d'un règlement de comptes où Daoud s'attaque à la position «malaisée» de Camus qui n'a pas su ou «voulu» prendre une position franche dans la guerre de libération algérienne. Pour Kamel Daoud, ce roman devait tôt ou tard être écrit par un Algérien parce que le drame s'est déroulé en Algérie.

(2) Les takfiristes, reprochant à Kamel Daoud son franc-parler lors d'une émission de Laurent Ruquier ''On n'est pas couché'' en 2014, ont émis une fatwa le condamnant à mort.

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