Klee-Macke-Moilliet-Banniere

Le musée du Bardo innove en offrant au public (du 29 novembre 2014 au 14 février 2015) les œuvres originales tirées du voyage à Tunis de Klee, Macke et Moillet en 1914. Centenaire oblige!

Par Samantha Ben-Rehouma

Cette vénérable institution, qui nous avait habitué à l'art antique et libyco-punique entre autres, se modernise donc en exposant de l'art contemporain. Et ce n'est pas pour nous déplaire.

La conférence de presse sur l'exposition Klee Macke Moillet – mise en œuvre et sur pied par le Goethe Institut, le ministère de la Culture et les ambassades de Suisse et d'Allemagne – a été l'occasion pour les médias tunisiens et étrangers de voir non seulement le travail accompli par ces derniers mais de profiter d'une visite guidée par le commissaire de l'exposition en personne, Anna Schafroth... Suivez la guide !

Cent ans de gratitude

C'est bien connu, l'histoire ne retient que les noms célèbres. Et, tout comme la guerre des courants entre Tesla et Edison, le ménage à trois de Jung, Freud et Sabina, la correspondance entre Woolf et Sackville-West, le grand écart des Nicholas Brothers et Fred Astaire, etc.

Le voyage à Tunis de Klee, Macke et Moillet ne déroge pas à la règle puisque Klee reste le plus connu des trois. Pourtant c'est bien grâce à Louis Moillet (via l'invitation de son ami le Dr. Ernst Jäggi, Suisse ayant vécu à Rue Sparte à Tunis et à Ezzahra) qui s'était déjà rendu plusieurs fois en Tunisie avant 1914 que cette expédition a été accomplie.

Inspiré de ''La Vie errante'' de Maupassant, ce «Tunis-Sidi Bou Saïd-Saint-Germain (Ezzahra)-Hammamet-Kairouan», périple de 15 jours, constitue un événement clé dans l'histoire des grands courants de l'art moderne comme le cubisme, l'orphisme et l'abstraction. Il sera aussi le catalyseur pour Klee (ébloui par les couleurs et lumières qu'offre ce Tunis-Kairouan) qui écrira dans son ''Journal'' : «La couleur me possède. La couleur et moi sommes un. Je suis peintre.»

Mourad-Sakli-Exposition-Klee-au-Bardo

De gauche à droite: Mourad Sakli, Rita Adam, Christine Bohrer et Anna Schafroth.

Faire revenir un siècle plus tard ces peintres à travers leurs œuvres originales: 85 en tout dont 32 (20 de Moilliet, 7 de Macke et 5 de Klee) ont été prêtées au musée du Bardo. «Elles proviennent du Centre Paul Klee à Berne, du musée Jenisch à Vevey (Suisse), de trois musées allemands, de collections privées et de Pierre Moilliet, fils du peintre», a précisé Christiane Bohrer, directrice du Goethe Institut. Ce que son excellence Rita Adam a qualifié d'«événement historique» car «ceci témoigne de l'amitié et des liens étroits entre la Suisse, l'Allemagne et la Tunisie».

Le soutien passe par une palette d'actions

Exposer de telles œuvres nécessite une logistique et une scénique réglée comme du papier à musique et à ce sujet le ministère de la Culture a joué au maestro, lui «qui n'a pas trop l'habitude de s'investir dans ce genre d'expo» dixit Mourad Sakli, a pris le risque et la responsabilité pour que ce projet aboutisse en y contribuant financièrement: prise en charge, transport, billets d'avion, hébergement, etc.

«Le Ministère de l'Intérieur nous a assisté en facilitant le transport des toiles. Les douaniers ont, d'ailleurs, escorté celles-ci jusqu'au musée du Bardo. Nous avons aussi fait appel à la direction des Bâtiments, car après lecture de la fiche technique et en examinant de plus près les plans, le besoin d'un architecte s'est fait sentir pour délimiter l'espace d'exposition, régler la température (17° C), le taux d'humidité, la solidité des parois, etc. Bref, un vrai travail d'orfèvrerie pour ces œuvres précieuses.»

Une pinacothèque version storyboard

C'est donc au premier étage du musée, sous la coupelle dorée de la Salle de Sousse, que vous pourrez admirer cette collection qui scelle ce voyage fantastique et qui «cent» bon la Tunisie si bien décrite par Flaubert.

D'autre part, Anna Schafroth – à qui on ne l'a(rt) fait pas – a disposé les toiles d'une façon si étudiée que le visiteur, une fois terminé son tour, aura l'impression d'avoir lui aussi effectué le Tunis-Kairouan de Klee, Macke et Moilliet puisque l'on commence par ''Les maisons rouges et jaunes de Tunis'' (la seule aquarelle de Klee) – dont la découpe des contrastes de couleur en espace et surface met en relief l'architecture arabe, les couleurs, la lumière et les contrastes que seul peut offrir le soleil tunisien – pour finir par Kairouan et ses forteresses (indice : suivez les diagonales).

A l'extérieur de «musée dans le musée», il y aussi des photos, des reproductions d'aquarelles, des extraits du Journal de Klee, 10 photos d'Auguste Macke ainsi que le film documentaire relatant ce ''Voyage à Tunis'' en version écourtée de 40 minutes et française... Bref, vous voyez d'ici le tableau!

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Abdessatar Ben Moussa, Petra Dachtler, Mourad Sakli et Rita Adam.

Sortir du cadre

Cette exposition a désormais tous les pinceaux en main pour réussir, et comme l'a souligné Abdessattar Ben Moussa, conservateur du musée du Bardo, qui a tenu à rendre hommage à feu Hamadi Cherif, fondateur du Centre culturel international de Sidi Djmour-Djerba et de la célèbre galerie d'art Cherif Fine Art à Sidi Bou Saïd, pour avoir été le premier à se joindre à nous en tant que Commissaire pour présenter ces œuvres non pas à Djerba mais à Tunis.

Pour M. Ben Moussa, cette commémoration est à la fois une vitrine de l'art moderne en Tunisie et une carte de visite, un sésame pour une future collaboration des musées étrangers qui, succès oblige, n'auront plus d'appréhension à prêter leurs chefs-d'œuvre. Certes le climat politique explosif est loin de s'art-ranger, mais bon, comme disait Francis Blanche : «Je suis un non-violent : quand j'entends parler de revolver, je sors ma culture.»

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