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Pour leur premier concert sur la scène de Carthage, le duo Troudi-Truffaz a prouvé que rien ne vaut le métissage des cultures.

Par Samantha Ben-Rehouma

Chacun des deux artistes s'est aventuré au-delà des frontières de sa musique, explorant celle de l'autre, pour le plaisir du public. Quand le jazz est. Quand le jazz est là...

Nagouz signifie la cloche en tunisien mais aussi l'imprévu. Et l'imprévu est une constante dans la vie de Mounir Troudi : de sa révélation au grand public grâce à Fadhel Jaziri et son spectacle ''Hadhra'' en 1994 à la formation de son groupe Nagouz début 2000, de l'opéra lyrique avec l'italien Antonio Maiello aux collaborations avec le musicien turc Mercan Dédé (alliant musique de tradition soufie et musique électronique), ce touche-à-tout va connaître une des plus belles collaborations de sa carrière avec Erik Truffaz (Mantis en 2001 et Saloua en 2005).

Mounir-Troudi-a-Carthage

Entre en scène Mounir Troudi, habillé d'un très beau qamis et pieds nus...

''Nagouz 2014'', qui scelle 15 ans de «mariage musical» entre le trompettiste et l'une des plus belles voix de Tunisie, est une invitation car ce soir c'est Mounir qui invite Erik.

Une soirée inoubliable

Une soirée qui se présente sous les meilleurs auspices : la super pleine lune avait rendez-vous avec le soleil de la voix chaude et puissante de Mounir, l'orchestre était sur son 31, les techniciens s'étaient mis en 4 en installant une cage en plexi pour éviter toute repisse de la batterie de Philippe Garcia (aka Captain Planet) et Sami Ben Saïd, en chef d'orchestre attentionné, n'a pas attendu 107 ans: ni une ni deux il regarde entre 4 yeux les cordes pour que le concert débute en temps et en heure. Merci mille fois ! Et c'est parti pour deux heures de bonheur.

On démarre en douceur et on se prépare tranquillement aux premières montées d'intensités.

Mounir-Troudi-et-Erik-Truffaz

A la voix forte et puissante de Mounir Troudi, rejoint par Marwen avec son rap très côte est américaine, répondent les notes planantes de la trompette d'Erik Truffaz.

Entre en scène Mounir Troudi, habillé d'un très beau qamis et pieds nus, ses premières onomatopées chamanes sont le signe que le voyage commence.

Et lorsque l'intensité augmente, c'est un embarquement complet, avec cette sensation que nos corps s'élèvent... Beam Me Up Mounir !

Les musiciens sont excellents: batterie déchaînée, flûte traversière hypnotisante, les cuivres déchirent, bref un son énorme...Tous les autres instruments décollent à leur tour. Jeux des sonorités avec les va-et-vient vers le micro. Mounir chante et danse entraînant le public à se balancer sur les sons soufi-reggae-jazzy.

Mounir-Troudi-Erik-Truffaz-Carthage

Les deux aspects de la musique de Mounir et d'Erik: le calme et la profondeur, la fougue et la tempête.

L'ambiance est simple et chaleureuse, ponctuée par les anecdotes musicales de Mounir qui nous font rire et pleurer - la chanson dédicacée pour sa sœur disparue début août a eu un tel effet sur le public que celui-ci a demandé à ce que Mounir la rechante. Mais il passe à un slam tounsi où il dépeint si bien la société tunisienne actuelle que chaque fin de rime est applaudie et acclamée par des «Oui c'est vrai» et des «Yatek sahha». Percutant !

Face à face

Le noir se fait... Et puis Erik Truffaz monte sur scène, à la fois très décontracté et très sérieux. La trompette commence, si douce, sur une ligne conjointe de la basse, de la batterie et du clavier.

A la voix forte et puissante de Mounir Troudi, rejoint par Marwen qui nous bluffe avec son rap très côte est américaine, répondent les notes planantes soufflées par la trompette d'Erik Truffaz.

Ce dernier joue de la trompette comme s'il chantait. Sa trompette est une voix qui nous transporte loin, très loin pour nous offrir un son plus rond et très Jazz. Rien ne bouge. Il est immobile. Juste les doigts de sa main droite qui jouent avec les pistons. C'est totalement captivant. Et cette attitude que Truffaz prend lorsqu'il écoute ses deux compagnons de jeux, cette façon qu'il a de laisser entrer la musique en lui lorsqu'il ne joue pas est juste fascinante, il dégage beaucoup de tranquillité, de calme et ses yeux sont souvent fermés ou mi-clos écoutant la musique lorsqu'il ne joue pas lui-même. C'est lui qui amène la profondeur pendant que les autres sont là pour amener la force, l'énergie, le groove et le rap.

Encore une fois nous nous retrouvons ailleurs, devant tant de sonorités éclectiques. Mais quoi qu'il en soit et quel qu'en soit le titre, cette musique nous embarque définitivement dans leur monde sonore d'un festif et d'une énergie vraiment vivifiants.

Quelque part, on est comme à la maison avec eux et c'est un véritable plaisir que de partager cet amour palpable de la musique. Ils nous quittent sur un salut final. Simples et sincères, comme à leur habitude.

Nagouz-salut-final

Ils nous quittent sur un salut final. Simples et sincères, comme à leur habitude.

Ce soir, on aura pu entendre et voir les deux aspects de la musique de Mounir et d'Erik sur ce concert, d'un côté le calme et la profondeur, d'un autre côté la fougue et la tempête.

Il est un peu plus de minuit et nous quittons Carthage, heureux et totalement habités par ces deux heures magiques...

Photos: Samantha.

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