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Ettounsia a gagné la sympathie des Tunisiens en un temps record. Il ne faudrait pas qu'elle tombe dans la facilité et devienne une TV commerciale ou une «TV poubelle».

Par Béchir Toukabri

L'émission ''Klem Ennes'', qui se propose (en principe) de faire la promotion de personnalités politiques, artistiques et culturelles, nous a toujours ravis, en nous faisant découvrir des talents inconnus, même si c'est avec un ton critique et satirique, ou en mettant à nu les invités, en soulignant leurs qualités et défauts.

Toutefois, les performances de cette émission sont devenues, depuis quelque temps, en dent de scie. Souvent, on découvre avec plaisir des artistes ou des personnes inconnus qui s'avèrent être très doués et très brillants dans leur domaine, mais parfois on tombe sur des invités médiocres et sans aucune consistance.

Les téléspectateurs se sont toujours délectés des critiques pertinentes et acerbes de la belle Maya Ksouri, même si elle est, parfois, ou paresseuse, ou indifférente, ou pas très inspirée. Ses chroniques assassines sur Psycho-M et Bahri Jelassi resteront certainement dans les annales.

Quand la médiocrité triomphe

Or, bizarrement, depuis quelque temps, les invités de l'émission, qui se sont révélés médiocres ou nuls, sont devenus plus nombreux. On se demande si ce changement est involontaire, ou s'il pro-cède d'une nouvelle politique de la chaine. On se demande franchement aussi si le producteur et l'animateur respectent un certain niveau de qualité en vérifiant minutieusement au préalable le profil et les compétences des invités avant de les inviter sur le plateau, ou s'ils ont changé d'orientation de l'émission? Et si oui dans quel but? Le plus inquiétant est que, souvent, l'animateur découvre en même temps que nous, en direct, les limites, voire la nullité de certains invités?

Klem-Ennes

Naoufel Ouertani gagnerait à mieux choisir ses invités.

Les producteurs et animateurs TV ne doivent pas oublier qu'ils sont responsables de tout ce qui se voit et se dit dans une émission en direct. Et surtout que tout a une signification et un sens culturel, moral et politique.

Or, à titre d'exemple, l'émission du mercredi 2 avril 2014, nous a surpris par la présentation de 3 invités qui incarnent la médiocrité en ce qu'elle a de plus plat.

1) Il y a eu d'abord la présentation de 2 étudiants en 5e année médecine, qui ont présenté le clip d'une nouvelle chanson.

Le rythme est une pâle copie de la chanson ''Houmani''. Quand, d'ailleurs, l'un des 2 étudiants a présenté la chanson comme étant une parodie de ''Houmani'', soit il ignore le vrai sens du mot parodie, soit il est ignorant.

Ensuite le rythme utilisé rappelle le style de Bob Marley. Or cet artiste est situé à des années lu-mières de la musique et de la civilisation arabes! Vous me direz que c'est la mode aujourd'hui de copier n'importe quoi de tout ce qui vient des pays occidentaux, mais pourquoi n'imite-t-on pas les bonnes choses?

Sur un autre plan, on ne sait pas que veulent dire les auteurs de la chanson et le réalisateur du clip? Est-ce qu'ils veulent montrer les conditions réelles des études de médecine, ou la mentalité des étudiants de médecine, ou leur ras-le-bol des études? Que ces réalisateurs le veuillent ou non, ils ont donnée une très mauvaise image des étudiants et des études de médecine. Ils auraient pu critiquer beaucoup d'autres choses dans cet enseignement, ou le profil des étudiant. Cela aurait servi au moins à quelque chose.

Quand aux paroles elles sont vraiment banales.

Le retournement de... hijab

2) Il y a eu la présentation de cette pseudo artiste Imen Cherif. Elle à certainement un seul don confirmé: celui de créer le buzz. Elle s'est faite remarquer au début de la «révolution» en portant le hijab! Ce qui est de l'opportunisme minable. Après juste une année, elle a crée le buzz en l'enlevant. C'est le retournement de... hijab le plus rapide qu'on ait connu. Opportunisme ou l'hypocrisie ou les deux à la fois.

Puis Imen Cherif a créé le buzz en présentant une nouvelle chanson en entrant tout habillée dans une piscine. Cette fois-ci, elle a présentée un clip pour annoncer au monde entier qu'elle est en-ceinte. Ce qui est un événement très banal. Or, dans ce clip, on ne voit que son image. Ce qui traduit finalement son exhibitionnisme chronique.

Imen-Cherif

Imen Cherif: beaucoup de buzz gratuit, peu de créativité.

On dirait que le narcissisme est devenu à la mode dans certains milieux artistiques, puisque, dans une précédente émission de ''Klem Ennes'', on a eu droit au come-back d'une ex-présentatrice d'Hannibal TV (Afef Gharbi), venue présenter sa nouvelle émission de variété. Malheureusement, on a eu droit à la place à un clip montrant ses 5 kilos de maquillage, son sourire commercial et toutes ses formes généreuses. De l'exhibitionnisme chronique, là aussi, qui plus, de très mauvais goût!

3) Le 3e invité est le journaliste Walid Abdallah, le présentateur de Watania 1. Il n'a rien dit d'intéressant. On se demande pourquoi a-t-il été invité. Son confrère Hassen Ben Othman avait, lui au moins, publié un nouveau livre. Ce qui justifie son passage. Pourquoi n'invite-t-on pas davantage de personnes intelligentes, drôles, doués, cultivés? Est-ce que Ettounissia TV, pour combler le vide de ses émissions, commence à faire la promotion de l'exhibitionnisme de certaines personnes démodées (des «has been») et cultive le voyeurisme des spectateurs?

Les dirigeants d'Ettounissia TV ne doivent pas oublier que la liberté d'expression, le direct et la recherche du sensationnel sont des armes à double tranchant. Plusieurs de ses animateurs en ont d'ailleurs été des victimes:

1) Il y a eu Moez Ben Gharbia, qui a donné la parole en direct à un salafiste jihadiste après les troubles de Daouar Hicher. Ce qui n'a pas plu a beaucoup de Tunisiens, d'autant que celui-ci à fait l'apologie du terrorisme et rendu un vibrant hommage à Ben Laden.

2) Puis il y a eu Naoufel Ouertani qui a invité dans son émission ''Labess'' plusieurs chanteurs et chanteuses qui ont échoué à Star Académie, et qui se croient des stars victimes de la malchance, alors qu'ils étaient simplement médiocres sinon nuls. Il a invité des victimes de viol, ce qui est du sadisme télévisuel, et un militant débile de la Ligue de défense de la révolution du Kram, qui a raconté avec hystérie ses délires de «révolutionnaire». Il a également invité le salafiste wahhabite notoire Khamis Mejri, qui dit n'importe quoi. Enfin, il a invité un couple de jeunes mariés qui ont fait de la prison pour avoir fumé de la «zatla» (cannabis), et qui en sont fier, etc.

3) Il y a eu aussi Samir El Wafi qui a essayé dans ses émissions de ''Liman Yajro' Faqat'' de blanchir les dirigeants d'Ennahdda ainsi que les ex-ministres de la Troïka. Il a même osé défendre le terrorisme, dans une émission qui a soulevé un véritable tollé. Ce qui l'a obligé très vite à se justifier et à présenter à plusieurs reprises des excuses aux Tunisiens.

4) Enfin, Naoufel Ouertani a provoqué récemment un scandale en invitant un jeune qui est venu raconter son expérience du jihad en Syrie, avant d'avouer, le lendemain, avoir tout inventé ! Ce qui a obligé le journaliste à répondre aux questions d'un juge d'instruction, et de s'excuser à tous les Tunisiens.

Le piège de la facilité et du narcissisme

La liste des abus et des scandales causés par la quête du sensationnel est encore longue, si on cite ceux des autres chaines TV.

La vulgarité, le mauvais goût et l'amateurisme sont devenus fréquents sur nos écrans. Et il faudrait écrire tout un livre pour les dénoncer. Comme cette présentatrice de Hannibal TV qui porte à chaque émission une nouvelle forme de hijab comme si elle se croit dans un défilé de mode. Or les multiples formes de hijab ne démontrent que son goût médiocre, et n'ont rien à voir avec l'esthétique réelle du hijab qui dégage beaucoup la beauté spirituelle de la foi.

Le véritable problème dans le secteur télévisuel est double: il n'est pas question d'interdire le recours au sensationnel ou l'évocation de sujets tabous ou sulfureux, au risque de tomber dans l'autocensure mutilante. Il faut, au contraire, éviter la facilité et la promotion de la médiocrité.

L'unique solution c'est le professionnalisme. On peut inviter des personnes très controversées, que ce soit des artistes nuls, des politiciens hypocrites ou des ennemis de la société. Mais il faudrait savoir les mettre à nu et dénoncer leur jeu, leur duplicité, leur hypocrisie ou leur côté obscur. Car le véritable rôle de la TV c'est d'informer et d'éduquer le peuple.

Ettounsia a gagné certes la sympathie et l'adhésion des Tunisiens en un temps record grâce à son professionnalisme. Il ne faudrait pas qu'elle tombe dans la facilité et devienne une TV commerciale ou une «TV poubelle».

Certaines mauvaises langues imputent ces changements à l'intrusion à Ettounsia TV d'un politicien très médiocre, qui ne recherche que le profit immédiat! C'est pourquoi on se demande ou est donc passé le fondateur de la chaîne, le talentueux et créatif Sami El Fehri.