Bureau de changeLa baisse remarquable du dinar face au dollar et à l’euro est l’un des signes alarmants de la crise actuelle de l’économie tunisienne. Peut-on renverser la donne?

Le dinar tunisien s’est négocié, mardi 17 mars 2015, sur le marché des changes, à 1,958 dollar, après avoir atteint 2,010 dinars 6 jours auparavant.

S'agit-il d'un effondrement historique ou bien d'un dérapage lié davantage à la conjoncture internationale et la parité dollar/euro?

Deux spécialistes en finances, l'universitaire Moez Labidi, et l'expert en gestion des risques financiers, Mourad Hattab, ont livré à l'agence Tap une analyse différente de la situation, mais ils s'accordent sur l'étroitesse de la marge de manœuvre de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ainsi que sur les effets pervers de cette hausse sur l'économie nationale: inflation importée, renchérissement des prix des matières premières, hausse de l'endettement et détérioration de la balance des paiements.

La parité euro-dollar en cause

Pour M. Labidi, le «glissement remarquable» du dinar par rapport au dollar, ces dernières semaines, puise ses racines davantage dans la forte appréciation du dollar par rapport à l'euro, que dans la détérioration de l'économie tunisienne: «Il s'agit davantage d'un problème de parité euro-dollar que de parité dollar/dinar, comme le confirme la stabilité du dinar par rapport à l'euro à 2,07 dinars, le 10 mars à l'achat et à 2,1 D, le 13 courant».

L'universitaire précise que la Tunisie évolue dans un contexte économique très défavorable à l'euro et favorable au dollar, poussant les opérateurs à vendre la monnaie européenne sur le marché des changes.

A cet égard, «les chiffres positifs de l'emploi aux Etats- Unis confirment la reprise de l'économie américaine et les anticipations des investisseurs concernant la remontée des taux de la Réserve fédérale, ce qui rendrait les placements en dollar plus rentables par rapport aux placements en d'autres devises».

De l'autre côté de l'Atlantique, «le doute plane sur la capacité de l'Europe de sortir de la crise. La politique monétaire expansionniste de la Banque centrale européenne (BCE) n'est pas faite pour améliorer les choses».

Pour M. Labidi, la situation du dinar reste inquiétante, tant que le déficit courant demeure à un niveau très élevé proche du 9% du PIB, contre un déficit inférieur à 5% en 2010.

Le dinar a perdu 11% de sa valeur Pour l'expert Mourad Hattab, la situation se présente différemment. Le dérapage du dinar a commencé depuis septembre 2013, avec le dépassement du seuil psychologique à l'époque de 1,6 dinar pour un dollar. A ce moment là, les analystes avaient évoqué un évènement historique et, probablement, irréversible pour une économie nationale largement tournée vers l'extérieur.

«La situation actuelle de la monnaie nationale est celle d'un effondrement, vu qu'elle a perdu, dans un laps de temps court pratiquement, 11% de sa valeur en moyenne par rapport aux monnaies internationales de référence (dollar, yen, euro, livre sterling)», a-t-il expliqué.

S'agissant des répercussions de cette situation sur l'économie tunisienne, les deux spécialistes évoquent une détérioration aux niveaux de l'inflation, de l'endettement et de la balance des paiements.

M. Labidi souligne un effet positif de la hausse du dollar, à savoir l'amélioration des revenus des entreprises exportatrices dont les transactions sont en dollar. Mais il demeure prudent, préférant n'évoquer les conséquences que si la situation actuelle du dinar perdure au- delà d'un trimestre. Il convient néanmoins, que cette hausse aura des impacts sur l'augmentation de la dette extérieure en dollar, ce qui risque de creuser davantage le déficit budgétaire.

En outre, «avec la dépréciation du dinar face au dollar, nous ne pouvons pas nous attendre à une amélioration des recettes touristiques car celles-ci sont très sensibles à la parité euro-dinar, restée inchangée, d'autant que les Européens constituent les principaux clients du tourisme tunisien», précise-t-il.

En tant que gestionnaire de risques financiers, M. Hattab affirme que l'effondrement aura des répercussions très néfastes en ce qui concerne l'aggravation du service de la dette extérieure libellée à raison de 45% en dollar, contre 30% en euro, et 10% en yen.

Il appréhende «une détérioration beaucoup plus importante des termes des changes, qui se répercutera sur la balance commerciale, la balance des paiements et le compte du capital qui seront largement déficitaires vu que l'effet de l'effondrement sera cumulatif», rappelant que la Tunisie a adopté un régime de changes flottants où la BCT peut intervenir lors de déséquilibres importants sur les marchés de changes.

La balle dans le camp du gouvernement

Pour les experts, la marge de manœuvre de la BCT est minime compte tenu de la nature du choc négatif sur le dinar qui résulte de facteurs exogènes mais aussi, du déficit colossal de la balance courante.

Pour sa part, M. Labidi estime que la balle est beaucoup plus dans le camp du gouvernement, qui doit faire preuve de plus d'audace pour limiter l'importation de certains produits superflus et engager les réformes les plus urgentes (accélérer l'adoption du code d'investissement).

De son côté, le citoyen doit déserter le terrain des revendications excessives et déstabilisantes pour les fondamentaux de l'économie. «Malheureusement, certaines formations politiques excellent dans la diabolisation des financements extérieurs mais n'ont pas le courage de dénoncer le blocage de l'appareil productif dans les fleurons de l'économie», dit-il.

S'agissant des moyens de remédier à cette situation, les deux spécialistes réfutent la proposition de certains experts et monétaristes appelant à l'ancrage du dinar à l'euro pour préserver sa valeur.

A cet égard, M. Labidi émet le doute quant à l'efficacité d'un tel ancrage, qui pourrait certes ramener l'inflation à un taux faible mais serait, par ailleurs, étouffant pour la croissance économique, comme le laisse entendre le débat actuel sur cette question, au Maroc.

Pour M. Hattab, il s'agit d'une solution limitée et risquée qui pourrait nuire à la souveraineté financière nationale.

Au-delà des solutions à court terme et vu les limites des marges de manœuvre de la BCT, dont la mission ne dépasse pas généralement la régulation, la solution doit être politique.

«Il importe de dynamiser les sources de liquidités en monnaies étrangères provenant essentiellement, du tourisme et des secteurs miniers qui sont actuellement en souffrance. Etant donné que le fond du problème réside en l'écart entre le taux d'inflation en Tunisie, dans la zone euro et en Amérique du Nord, il est impératif de consolider les efforts nationaux en matière de maîtrise des prix et de lutte contre l'économie souterraine qui gangrène l'économie», recommande M. Hattab.

Source : Tap.

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