Pour avoir côtoyé parmi mes proches quelques cas de femmes qui se sont subitement envoilées, je finis par croire qu’elles ne le font pas toutes par conviction religieuse. Par Rachid Barnat


Je citerai le cas de quatre femmes pourtant réputées très coquettes toutes les quatre.

- L’une, suite au décès accidentel de sa fille la veille de ses fiançailles, n’a trouvé refuge, pour ne pas perdre la raison, que dans "l’en-voilement", sorte de deuil permanent.

- La seconde accablée par toutes sortes de tracasseries administratives et judiciaires en plus des difficultés que lui crée sa propre famille, s’est elle aussi réfugiée dans la pratique religieuse avec en-voilement intermittent, assorti d’une pratique de prière assidue pour ne pas se laisser tenter par une solution plus radicale.

- La troisième, pour avoir été abandonnée par un fiancé quelques jours avant la célébration de ses noces, s’est réfugiée dans l’en-voilement comme pour s’enterrer vivante tellement déçue et déprimée de cette trahison.

- Quand à la quatrième, très belle femme et très coquette, qui travaillait dans un institut de beauté ; l’âge venant et la ménopause avec, «refusait» son corps qui prenait des rondeurs qui la désespéraient. Elle a fini par le cacher entièrement en adoptant la mode qu’elle voyait dans les magazines en provenance du Moyen-Orient et d’Egypte. C'est-à-dire des voiles de couleurs «assorties» comme elle aimait porter des robes et des tailleurs de couleurs «assorties» à l’époque de sa beauté rayonnante.

Phénomène de mode ou signe religieux ?


Tunisienne en safsari, voile traditionnelle. Photo Bader Lejmi.

Devenue prisonnière du «voile», elle s’est laissé convaincre par d’autres amies envoilées de passer par la case «prière» pour faire «bon genre». Ce qu’elle s’est mise à faire pour ne pas déplaire à ses «nouvelles» amies envoilées. Sans trop de conviction dit-elle. Juste pour ne pas être stigmatisée de mauvaise musulmane, assure-t-elle!

Les femmes refusant l’outrage du temps, seraient nombreuses, m’a-t-on dit, à adopter «le voile» par coquetterie comme un «cache-misère». Pourtant la plupart  d’entre elles, issues de la génération «Bourguiba», avaient bien profité de leur féminité et de leur coquetterie, sauf qu’elles sont inconscientes qu’elles jouent à un jeu qui pourrait leur être néfaste et plus particulièrement pour les plus jeunes d’entre elles, qui imiteraient leurs aînées.

Pourtant ces quatre types de femmes bien que croyantes ne sont pas des fanatiques religieuses et ne cherchent pas à l’être.

Par ailleurs, j’ai toujours été étonné de voir promener des jeunes filles et des femmes parfois bras-dessus bras-dessous en totale complicité l’une avec l’autre, l’une envoilée et l’autre pas, telle que l’a voulue Bourguiba. Mais aussi coquette l’une et l’autre, chacune dans son style.

Au point de me demander si l’en-voilement ne serait pas devenu tout simplement, pour certaines femmes, un phénomène de mode comme n’importe quel autre ! Puisque certaines, tout en s’envoilant ne négligent rien de leur coquetterie à la manière des revues et des magasines féminins d’Orient, spécialisés dans ces tenues avec voiles ! Portant jeans des plus seyants et maquillées parfois à outrance.


La révolution tous voiles dehors

On m’a rapporté aussi que certaine femmes par commodité ou par économie s’envoilent juste pour ne pas perdre leur temps ni leur argent à se faire belles et à entretenir leur chevelure.

De même qu’on m’a rapporté que certaines s’envoilent juste pour duper et «piéger» les garçons pour qui le voile serait un critère de bonne moralité, et s’assurer ainsi un «mariage». Alors que pour d’autres, d’origine très modeste et travaillant comme domestiques chez des Tunisiens nantis, elles se protégent, pensent-elles, des abus sexuels de leurs patrons en s’envoilant.

Phénomène religieux ou symbole politique?

J’ai fini par croire que le mieux serait de ne pas donner plus d’importance à ce phénomène, ni prêter attention à toutes ces femmes envoilées, car tôt ou tard il se tarira de lui-même, comme toutes les modes qui, un jour ou l’autre, passent. En pensant que ne conserveront ce mode d’habillement venu d’Orient que celles qui le porteraient pour des raisons religieuses strictes. Ce que je respecte.

Par contre, si elles sont convaincues que leur «islamité» est plus probante dans l’en-voilement, elles peuvent toujours revenir à notre traditionnel «safsari» qui a beaucoup plus d’allure et qui correspond mieux à notre patrimoine national tunisien.

Car le type d’en-voilement oriental, qu’elles adoptent sans en connaître le sens politique, n’a rien à voir avec nos traditionnels «safsari», «fouta», «lahfa», «taqrita », où même Hélé Béji, dans son livre ‘‘Islam pride’’, a cru y déceler un symbole de modernité mais aussi d’émancipation de la femme ! Partant du constat que, une société qui se cherche, essaie de justifier certaine «mode»… Ce faisant, elle conforte les femmes qui ont adopté cette «mode» en assimilant leur pseudo combat à du féminisme.


Tunisiennes voilées font leur révolution

Sauf que le problème de l’en-voilement est plus sournois qu’il n’y paraît : cette «mode» suit une logique impérialiste de la part de l’Arabie Saoudite sur les pays musulmans et sur les pays qu’il voudrait convertir à sa vision salafiste (comme les pays de l’ex-Urss et ceux de l’ex-Yougoslavie). Sans parler des pays d’Europe où l’Arabie Saoudite avance ses pions dans les banlieues dites «difficiles» parmi des jeunes en perte de repère, contents de «retrouver», pensent-ils, leur identité musulmane... dans un salafisme dans sa version wahhabite saoudienne, complètement étranger au rite de leur parents.

Hélé Béji fait une analyse intellectuelle complexe d’un phénomène «nouveau», alors qu’au fond il ne s’agit que d’un problème politique.

Car, en effet, le problème devient d’une toute autre nature quand la politique s’en empare.

D’une dictature à l’autre

Sous Ben Ali, l’en-voilement était apparu comme signe d’une «résistance silencieuse» et de rejet du régime corrompu et policier qu’il a mis en place dans tout le pays, organisé par le mouvement islamiste naissant de Ghannouchi qui «l’encourageait» par l’intimidation, voire par la violence.

Ce qui était discret dans les années 80 a pris de l’ampleur et s’est clairement affiché avec l’accentuation du phénomène par l’apparition de la burqa, dont le nombre ne cesse d’augmenter de manière exponentielle depuis le retour, de son exil londonien, du salafisme saoudien que veulent instaurer en Tunisie, Ghannouchi et ses amis.

Cet habillement est devenu l’étendard du mouvement salafiste qui cherche à s’imposer par la violence dans le pays ; et que les sympathisants des partis religieux n’ont pas manqué de planter dans le paysages tunisien en intimidant, voire en violentant les femmes, pour qu’elles se voilent.
Il fait partie d’une stratégie de conquête du pouvoir par une pratique ostentatoire contraire aux habitudes malékites des Tunisiens ; et par un langage spécifique, le tout d’importation saoudienne :
- voile, hijab et burqa pour les femmes ;
- kamis et tenue saoudienne pour les hommes, voire pakistanaise ou afghane pour les plus radicaux ;
- barbes, parfois au henné, pour les hommes ;
- stigmates de «l’homme pieux» au front pour les hommes ;
- langage codé parsemé de formules coraniques : que ce soit pour la politesse ou la conversation («A-salâmu alaïkum», «Bism illah», «Subhana allah», etc.).

Comme dirait Yadh Ben Achour : «Les signes extérieurs de l’appartenance vont devenir des formes d’affirmation et de revendications spécifiques».

Je dirais plus clairement, que ce sont des signes politiques d’appartenance au salafisme saoudien !
Exactement comme les ayatollahs les avaient utilisés pour «dégager» leur dictateur le chah d’Iran Reza Pahlavi ! Les Iraniennes en savent quelque chose. Elles ont porté elles aussi le tchador pour des raisons politiques en signe de contestation du chah en soutenant les plus farouches de ses opposants : les religieux ! Sauf qu’après son départ, les ayatollahs leur ont interdit de le retirer et leur ont instauré la chariâa en remplacement du code civil...

Les Iraniennes regrettent amèrement leur duplicité avec les religieux. Et 30 ans après, elles ne savent plus comment faire pour retrouver leur liberté et leurs droits d’avant la révolution, ni comment se débarrasser de la dictature qu’elles ont aidée à prendre le pouvoir.

Naïvement pourtant elles ont aidé les religieux à chasser une dictature. Sauf qu’à la place, elles ont instauré une nouvelle dictature, celle-là théocratique et plus difficile encore à «dégager».
Tout envoilement des femmes est symbole de leur asservissement aux hommes. Ce n'est pas par hasard que Bourguiba avait retiré symboliquement leur «sefsari» aux Tunisiennes quant il leur a accordé la liberté et leur avait accordé des droits dont elles ont été les seules dans le monde musulman, voire du tiers monde, à bénéficier ! Comme ce n’est pas par hasard non plus, que les partis religieux veulent envoiler les femmes pour revenir sur les acquis bourguibiens et marquer ainsi leur désapprobation de sa politique de moderniser le pays !

Alors les Tunisiennes ne soyez pas naïves. Ne vous laissez pas manipuler comme le furent avant vous les iraniennes.

Taha Hussein disait : «Seules des femmes émancipées donneront des générations d’hommes libres». A méditer !