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Montplaisir, Tunis
L’«avenue du Japon », sise au quartier d’affaires de Montplaisir, à la lisière du centre-ville de Tunis, offre un tableau de ce que la Tunisie offre de meilleur et de pire, de plus beau et de plus moche, de progrès et de sous-développement. Promenade sans garantie…


C’est seulement après l’an 2000 que la municipalité de Tunis s’est  aperçue que la capitale n’est pas dotée d’une rue ou d’une avenue qui porte le nom du pays du soleil levant. Alors l’idée est venue de nommer la «rue 8301», sise au quartier d’affaires de Montplaisir, «avenue du Japon» et d’ériger, au fonds de cette avenue, un magnifique jardin japonais financé en yens forts. Mais, rassurez-vous, dans cette avenue, de Japonais il n’y a que le nom, et le jardin et tout le reste est à l’image de notre chère Tunisie, multiple et bigarrée, avec toutes ses contradictions et ses bizarreries. De quoi se plaindrait-on ?

Au milieu de l’«avenue du Japon», il y a le siège flambant neuf de Tunisie Télécom, à l’architecture contemporaine, tout couvert de granit gris. Curieusement, en face de cette entreprise, qui réalise l’un des plus gros chiffres d’affaires du pays, il y a une autre qui réalise, elle aussi, un gros chiffre d’affaires (tout est relatif). Il s’agit d’un tôlier spécialiste dans le retapage à neuf des voitures administratives vendues aux enchères publiques au bout de leurs 500 millièmes kilomètres. Et qui, pour faire écouler sa marchandise, a transformé le trottoir en une salle d’exposition à ciel ouvert pour ses chefs d’œuvre.
Juste à côté du tôlier se trouve une société qui essaie de symboliser  l’avant-gardisme de la Tunisie en matière écologique. Il s’agit d’un centre de collecte de déchets plastics. Ne vous inquiétez pas ! Il y a une parfaite cohabitation entre les voitures qui jalonnent l’étroite chaussée de l’«avenue du Japon» et les brouettes qui, chaque matin, ramènent des montagnes de déchets plastics, et ça c’est aussi Tunisien.



Le siège de Tunisie Télécom est «coincé» entre deux établissements sanitaires qui symbolisent, eux, le génie de politique sanitaire du pays. A gauche, un dispensaire à l’architecture simpliste, minimaliste et moche des années 70-80 où l’on peut espérer une consultation par un vrai médecin pour 4 dinars et demi, quitte à passer quelques heures d’attente. Et à droite, un immeuble neuf couvert de granit vert (c’est comme si on extrayait ce matériau de Djebel Bougarnine, tellement il est abondant) abritant un centre médical moderne, où se côtoient des généralistes, des  spécialistes, un centre de radiographie, un laboratoire d’analyse, etc. Rien de plus banal, en somme, sauf qu’ici, les consultations sont à 35 dinars et plus.



Les constructions, dans cette avenue, offrent un contraste assez déroutant. On passe, sans transition, des petites demeures italiennes et françaises datant de l’époque coloniale aux édifices modernes des années 2000, y compris la mosquée. On trouve également des restaurants et des cafés au décor digne des hauts lieux parisiens (le décor seulement, pour le service, il faudra repasser). Et tout à côté, un bonhomme traînant un chariot en bois proposant des sandwiches à l’harissa et aux œufs durs. Avec ses étalages teints en bleu et noir (le noir de la saleté plutôt que celle de la peinture), l’épicerie du coin, rappelle, quant à elle, une coopérative des années 1960.
A même les trottoirs ceinturant le jardin, on tombe sur un cimetière (vivant) de ficus importés de l’avenue Habib Bourguiba. On a transporté  ces arbres ici pour faire place nette aux cafés et à leurs terrasses rutilantes où s’entassent des jeunes filles en fleurs.
Indifférente à ces petits désagréments, l’«avenue du Japon» déploie ses innombrables immeubles neufs à l’architecture moderne, mais dont la modernité est souvent synonyme de mocheté. Ces immeubles, qui abritent des banques, des cabinets d’avocats et d’importantes sociétés sont souvent séparés par de vieilles demeures qui ne résisteront pas longtemps à la hausse vertigineuse du prix du mètre carré.
Bien qu’elle porte le nom du Japon, cette «avenue» reflète une réalité bien de chez nous qui veut que l’on se côtoie, nécessairement, en tant que Tunisiens, dans la plus égalitaire proximité, quel que soit notre niveau de développement et de richesse.
Reste qu’au niveau de la chaussée et des trottoirs, cette avenue mérite bien sa dénomination japonaise (je veux dire d’un Japon au lendemain d’un séisme). Car, depuis une quinzaine d’années, on n’a rien fait de pire. Avec l’achèvement des travaux du pont de Mont-plaisir, à la moindre précipitation, on assiste même à un tsunami. Un tsunami bien tunisien. En attendant la prochaine averse.

Bouzid