Hémophilie

Comment se prendre en charge et vaincre appréhensions et idées reçues lorsqu'on est atteint d'hémophilie et quel rôle doit jouer l'Etat à cet effet?

Par Zohra Abid

C'est pour répondre à ces questions et d'autres que lelaboratoire Novo a soutenu une rencontre médicale, le vendredi 16 avril 2015, à la veille de la Journée mondiale de l'hémophilie, à l'hôtel Golden Tulip à Tunis.

Une maladie de garçons

Pr Emna Gouider, médecin à l'hôpital Aziza Othman de Tunis (et responsable du traitement de l'hémophilie), Kawther Zahra, physiothérapeute, et Dr Mounira Khayat ont présenté,en présence notamment de Jean François Courtet, directeur général des laboratoires Novo Nordisk, l'état des lieux de cette maladie, qui touche quelques centaines de personnes en Tunisie et environ 400.000 dans le monde, et dont les soins sont excessivement chers.

En Tunisie, le dernier recensement effectué en 2010 par le Comité médical national 'Hémophilie' estime à 350 le nombre d'hémophiles pris en charge par l'Etat, pour un nombre théorique estimé à 800. En Tunisie, il existe 3 centres où l'on traite cette maladie: l'hôpital Aziza Othmana de Tunis (pour le nord), l'hôpital Farhat Hached à Sousse (pour le centre) et l'hôpital Hédi Chaker de Sfax (pour le sud).

«L'hémophilie est une maladie hémorragique due à l'absence ou au déficit d'un facteur de la coagulation. 60% des cas sont héréditaires et 1 nouveau cas sur 5000 naissances masculines est enregistré chaque année. Cette maladie touche essentiellement les garçons à la naissance. Les filles ne sont atteintes que lorsque le père est hémophile et la mère est porteuse du gène ou dans des cas rares d'inactivation du chromosome X», a indiqué Pr Gouider, ajoutant que la personne atteinte d'hémophilie ne parvient pas à former un caillot solide au cours du processus de la coagulation et lors du saignement, et le caillou ne tient pas.

Emna Gouider Kawthar Zahra et Mounira Khayat

Emna Gouider, Kawther Zahra et Mounira Khayat.

La mentalité a changé

Le saignement, principal signe de l'hémophilie, perturbe la vie du patient, qui n'accepte pas souvent la maladie et doit être bien accompagné en famille. «En Tunisie, on découvre cette maladie après la circoncision lorsque le petit se met à saigner sans arrêt. Mais aujourd'hui, grâce aux médias, aux associations et à la mobilisation des médecins, la mentalité a changé, surtout au nord, et on vient faire des tests sur les petits dès l'âge de 18 mois. Mieux encore: les femmes enceintes se font diagnostiquer et si les analyses sont positives, la majorité d'entre elles préfèrent interrompre volontairement leur grossesse», a encore indiqué Pr Gouider.

Selon la praticienne, il existe plusieurs types de saignement au niveau de l'articulation (hémarthrose), des muscles (hématome) et autres qui peuvent passer inaperçus, comme les bleus, l'hémorragie cérébrale accompagnée de vomissements ou de maux de tête, faiblesse et douleur aux jambes, la raideur au cou, ou encore des difficultés dans la respiration et des gonflements, mais grâce aux soins, et à l'évolution de la médecine, l'hémophile, s'il est bien traité, vit presque normalement, mais la maladie est toujours difficile à vivre sur le plan psychologique.

Le soutien psychologique en question

«Nous faisons ce que nous pouvons car nous manquons d'effectif. Ces malades ont besoin de plus d'attention et d'accompagnement psychologique. Beaucoup n'acceptent pas leur maladie. Ils sont persuadés que cette maladie entraine la mort», ajoute Pr Gouider.

En effet le spectre de la mort hante les hémophiles et nos hôpitaux manquent horriblement de spécialistes pour l'accompagnement psychologique des malades. «Nous avons déjà de la chance que la CNAM prend en charge à 100% les soins. A l'hôpital Aziza Othmana, nous traitons plus de 60% des hémophiles et faisons ce que nous pouvons pour accompagner nos patients. Comme il y a un développement dans les soins, plusieurs jeunes âgés de 20 ans et plus ont pu faire des études, travaillent et ils ont même fondé une famille», a précisé, de son côté, Mme Zahra.

L'auto-traitement, un espoir de thérapie

«La dernière recherche présentée par un Japonais aux USA en décembre 2014 est prometteuse car nous avons un espoir pour stopper le saignement. La médecine progresse, l'espérance de vie augmente et, en Tunisie, nous suivons le rythme de cette évolution. Le plus vieux hémophile dans notre pays est âgé aujourd'hui de 65 ans», enchérit Dr Gouider, qui cherche à donner de l'espoir aux malades atteints d'hémophilie.

Dr Khayat a évoqué, de son côté, les besoins énormes de l'hémophile, qui doit être traité par des dentistes, des chirurgiens, des orthopédistes... «Les infirmiers doivent être continuellement à son écoute et choisir le moment adéquat pour parler avec lui et le soulager, mais ce n'est pas toujours facile», a-t-elle indiqué. Et d'ajouter: «Pour cette année, nous avons mis l'accent sur l'accompagnement. Notre slogan est ''Former une famille solidaire''. Nous cherchons à lancer un réseau constitué d'équipes médicales, amis, collègues et proches pour aider ces malades à s'accepter et à vivre avec l'hémophilie qui ne doit pas être considérée comme un handicap, le malade pouvant même partir en vacances.»

L'objectif, aujourd'hui, c'est de définir des modalités pouvant permettre aux malades d'être autonomes et de se soigner à domicile, même en cas de complication, a encore précisé Dr Khayat.

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