Traite des personnes en Tunisie Banniere

L'OIM a réalisé une «Etude exploratoire sur la traite des personnes en Tunisie». Les principales victimes de ce fléau sont les enfants, les femmes et les personnes handicapées.

Par Hamdi Hmaidi

Bien qu'il existe depuis fort longtemps et bien qu'il soit visible à l'œil nu, le phénomène de la traite des personnes en Tunisie n'a pas fait l'objet d'études sérieuses et approfondies. Cela s'explique sans doute par la difficulté d'obtenir des données fiables, mais c'est surtout parce que c'est un sujet tabou que ni les analystes, ni les médias, ni les victimes n'osent révéler au grand jour. L'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) vient de franchir le pas en lui consacrant une enquête exploratoire, réalisée en juin 2013 et rendue publique sur son site web.

Traite interne et traite transnationale

Les statistiques faisant défaut, l'enquête en question s'est appuyée essentiellement sur des témoignages, des observations sur le terrain, des articles de presse, des interviews de victimes et des entretiens avec des membres du tissu associatif.

Selon cette enquête, la Tunisie n'est pas un cas isolé. Dans le monde, on compte aujourd'hui une moyenne annuelle de 800.000 victimes de la traite transfrontalière et une moyenne supérieure quand il s'agit de la traite interne. Les chiffres élevés font que cette activité illicite occupe la troisième position après celles de la drogue et du trafic des armes. En 2012, par exemple, elle a généré des gains de 3 milliards de dollars US.

Toujours selon cette enquête, par rapport à cette activité, la Tunisie est à la fois un pays source, un pays de destination et un pays de transit.

Sur le territoire national, les victimes sont principalement des enfants, des femmes et des personnes handicapées. A l'échelle transnationale, la traite consiste surtout en l'exploitation sexuelle des femmes et le travail forcé des hommes.

En tant que pays source, la Tunisie est un terrain où se pratiquent la traite interne et la traite transnationale sous des formes multiples.

Servitude domestique et travail forcé

La première forme est celle de la servitude domestique et du travail forcé. Elle cible en particulier les enfants. La servitude domestique s'exerce sur de petites filles travaillant comme employées de maison. L'enquête nous signale que 17,5% de ces employées sont âgées entre 12 et 17 ans, qu'elles sont originaires du nord-ouest, que 32% d'entre elles n'ont jamais été scolarisées et que 31% ont été contraintes de quitter l'école. Ceux qui recourent à leurs services sont essentiellement les habitants du grand Tunis et des villes du littoral. Ils se les procurent en faisant appel à des intermédiaires qui opèrent dans des souks réservés à ce «commerce» où les pères viennent proposer leurs filles. Ils leur paient un salaire mensuel qui va de 80 à 150 dinars mais dont elles ne bénéficient pas puisque cet argent est envoyé directement au père.

L'embauche peut durer quelques mois ou quelques années mais aucun contrat de travail n'est signé.

Les tâches que ces petites doivent exercer sont diverses: faire le ménage, s'occuper d'un nourrisson, d'un enfant ou d'une personne âgée... Chez leurs employeurs, elles subissent des violences physiques et psychologiques ainsi que parfois des abus sexuels.

Quant au travail forcé, il se manifeste d'abord dans le commerce aussi bien formel qu'informel.

Côté commerce formel, il est pratiqué dans les garages des mécaniciens, les boulangeries, les ateliers de fabrication textile et les menuiseries. Pour camoufler cette pratique illicite, les contrevenants utilisent faussement les contrats d'apprentis autorisés par la loi.

Côté secteur informel, des enfants originaires de Kasserine, de Thala, de Siliana et de Gafsa sont affectés par des adultes à des tâches de transport et de vente de marchandises lourdes, à des fouilles de décharges municipales. Ils sont souvent sous-payés et parfois pas payés du tout.

Le travail forcé est pratiqué également dans les usines et dans le secteur agricole. De petites filles et des femmes adultes issues de milieux très modestes sont mises à contribution, sans contrat de travail, pour une rémunération journalière de 6 dinars. De plus, elles constituent des victimes potentielles pour d'autres formes de traite.

Des femmes, des enfants (parfois des nourrissons) et des personnes handicapées sont également exploitées pour la mendicité et la vente de petits articles à la sauvette. Moyennant des sommes modiques, ces victimes louent leurs services à des réseaux bien rodés.

Exploitation sexuelle et prostitution

La seconde forme de traite interne identifiée par l'enquête de l'OIM est celle de l'exploitation sexuelle et de la prostitution.

Des enfants mineures, âgées de 15 à 18 ans, sont encadrées et prostituées par des proxénètes. Elles proviennent des zones rurales. Leur recrutement se fait par le biais de gens de leur entourage. Elles dépendent de femmes de 50 ans, célibataires ou divorcées, qui vivent dans les quartiers populaires des grandes villes et qui offrent leurs services à des Tunisiens et à des étrangers (des Libyens notamment). Des appartements et des maisons particulières sont apprêtés à cette fin.

Cette activité s'inscrit dans le cadre général de la prostitution forcée et illégale qui touche des femmes âgées de 16 à 40 ans issues des quartiers pauvres et en situation économique difficile. Des clients tunisiens et étrangers, âgées de 25 à 55 ans et aisés, s'offrent les prestations de ces proies exploitées par des proxénètes hommes et femmes qui habitent les mêmes quartiers qu'elles.

De plus, ces victimes se trouvent impliquées dans des affaires de crime organisé, à Tunis, au Sahel et au sud-est du pays (drogue, vol, cambriolage...)

Traite transnationale des personnes

Toujours en tant que pays source, la Tunisie est en troisième lieu concernée par la traite transnationale des personnes. Des femmes tunisiennes sont soumises à la servitude domestique à l'étranger, forcées à se prostituer dans des pays comme le Liban, l'Afrique de l'Ouest et les Emirats. Des hommes, victimes du travail forcé, sont exploités dans le travail agricole en Europe(en particulier en Italie).

En tant que pays de destination, la Tunisie est identifiée par l'enquête de l'OIM comme étant le cadre où s'opère la prostitution d'étrangères (venant de l'Europe, de l'Egypte, des Philippines et de l'Ukraine) dans les cabarets de Tunis.

Enfin, en tant que pays de transit, la Tunisie sert de point de passage de jeunes femmes de l'Afrique sub-saharienne vers l'Europe dans le cadre de réseaux spécialisés dans la servitude domestique.

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