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Un siècle et demi après l'abolition de l'esclavage en Tunisie, le racisme n'a pas disparu du pays où les noirs font encore l'objet d'un ostracisme qui ne dit pas son nom.

Par Yüsra N. M'hiri

L'esclavage a été aboli en Tunisie en 1846, sous le règne d'Ahmed Bey 1er. Depuis, les noirs ont bénéficié d'une émancipation juridique, mais celle-ci tarde à être traduite sur le plan social, le racisme étant encore une réalité de tous les jours.

A l'occasion de la journée internationale contre le racisme, célébrée le 21 mars, des militants de l'Association tunisienne de soutien des minorités (ATSM) et d'autres organisations de la société civile ont manifesté à Tunis pour réclamer plus de droits pour les minorités et surtout pour sensibiliser les Tunisiens à la nécessité de combattre le racisme, qu'ils ont d'ailleurs du mal à avouer.

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Sensibiliser les Tunisiens à la nécessité de combattre le racisme, qu'ils ont du mal à avouer.

Un débat qui suscite un malaise

Cette journée a été lancée en commémoration au massacre de Sharpeville (Afrique du Sud), le 21 mars 1960. Une journée particulièrement sanglante, durant laquelle la police a tué 70 personnes lors d'une manifestation pacifique contre les lois de l'apartheid.

Vendredi, quelques dizaines de citoyens tunisiens se sont rassemblés à l'avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis, agitant des banderoles où ils dénoncent l'exclusion et la violence verbale que subissent encore les noirs en Tunisie.
Des badauds se sont joints spontanément à la manifestation, qui a grossi au fil des minutes. Certains passants se sont cependant montrés surpris: «Mais que font-ils ceux-là encore? En Tunisie, il n'y a pas de racisme, le peuple est uni. Il n'y a pas de discrimination», marmonnaient-ils. Les plus cyniques se sont même lâchés: «De toute façon, ce n'est pas de leur faute s'ils sont noirs, on les aime bien quand même», chuchotaient-ils, goguenards, comme pour confirmer les manifestants dans leurs conviction que le racisme a encore de beaux jours devant lui en Tunisie.

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Le débat sur le racisme, souvent passionné, prouve que ce phénomène touche beaucoup de citoyens.

La manifestation, plutôt bon enfant, s'est transformée, au fil des minutes, en de petits cercles de discussion. Qu'il soit conscient ou inconscient, avoué à demi-mot ou vécu sous la forme du déni, le racisme existe bel et bien en Tunisie. Le fait qu'on en parle est l'aveu d'un malaise. Et le débat qu'il suscite, d'ailleurs souvent passionné, prouve que ce phénomène touche beaucoup de citoyens, et pas seulement les noirs.

Pour une Tunisie colorée

Le racisme commence par les surnoms péjoratifs dont on affuble souvent les noirs («bambola», «mkachlef»), ou par le qualificatif apparemment inoffensif de «ousif», un mot pénible dont la définition, en arabe littéraire, est esclave ou serviteur.

Les noirs n'ont pas non plus les mêmes chances que les blancs sur le plan du travail, et cela se résume par un manque de personnel noir dans les administrations ou même simplement dans les spots et affiches publicitaires. Ou encore dans les médias...

Preuve que le racisme n'existe pas en Tunisie: la manifestation de vendredi n'a pas plu à tout le monde ! Certains se sont même permis des commentaires pour le moins déplacés du genre: «Ils sont complexés»; «Ils font l'intéressant devant les médias»; «Avant la révolution, on ne les entendait pas... Foutu révolution qui permet à n'importe qui de dire n'importe quoi!», etc.

Malgré les lazzis isolés de certains passants, qui ont tenté de jouer la carte de la provocation, les manifestants n'ont pas baissé les bras et ont continué de scander des slogans appelant à l'égalité et de reprendre en choeur des chants improvisés: «Noirs ou blancs, c'est ensemble que nous construisons notre avenir, pour une Tunisie colorée, comme un jardin plein de fleurs et de senteurs».

Wafa, qui prenait part à la manifestation, s'est dite étonnée de certaines réactions. «C'est malheureux d'entendre des gens nous attaquer, alors que nous manifestons pour une cause noble. Ils nous accusent d'inventer un problème qui n'existe pas», a-t-elle déploré. «Je leur propose de vivre ma vie et de frapper aux portes des entreprises, avec la couleur de ma peau... Et là ils verront bien si le racisme existe ou pas en Tunisie». Malgré tout, Wafa affirme qu'elle ne lâchera pas et luttera avec toutes ses forces pour l'égalité des chances.

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«Des noirs diplômés et brillants sont exclus, juste parce que leur couleur dérange.»

Pour une loi sanctionnant le racisme

Yamina Thabet présidente de l'ATSM explique, de son côté, que le combat commence par une prise de conscience collective de l'existence du phénomène du racisme, de la nécessité de le combattre et de l'acceptation d'une Tunisie riche et plurielle, créée à partir des différents brassages de populations qu'elle a connus durant son histoire.

«Malgré toutes les mobilisations et les actions menées, le combat pourrait être vain, s'il n'y a pas une loi qui sanctionne les actes racistes», explique-t-elle. Elle souligne également le problème de la discrimination à l'embauche qu'elle n'arrive pas à s'expliquer. «Des noirs diplômés et brillants sont exclus, juste parce que leur couleur dérange. Cela est inadmissible, car c'est une atteinte à la dignité humaine», s'indigne-t-elle.

Pour soigner un mal, il faut d'abord avouer son existence. Le racisme, jamais vraiment avoué, sévit encore ans la société tunisienne. C'est une réalité d'autant plus malheureuse que la Tunisie, anciennement appelée Africa, avait donné son nom antique à tout le continent noir...