Le président d’Ettakatol et de l’Assemblée nationale constituante (Anc) est-il l’homme qu’il faut à la place qu’il faut? Au vu ses performances, proche de zéro, on est en droit de répondre par la négative.

Par Béchir Turki*


On finira un jour par croire que le parti islamiste aux commandes dans le pays détient un pouvoir magique qui lui permet d’ensorceler les deux chefs de partis de la coalition (le Congrès pour la République et Ettakatol), de manière à obtenir leur acquiescement à tout ce que fait ou ne fait pas Ennahdha et de s’épargner toute critique de la part de ses deux alliés très laïques.

Dans un précédent article, nous avons largement parlé des défaillances du président de la République (pouvoirs presque nuls, dépenses exorbitantes) et nous avons démontré qu’il est loin d’être l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.

Ben Jaâfar croqué par le peintre Hanafi.

Un rapprochement plus que douteux

Le président d’Ettakatol et de l’Assemblée nationale constituante (Anc) est-il mieux loti? En d’autres termes, est-il l’homme qu’il faut à la place qu’il faut?

Tout d’abord, personne ne comprend ce que fait un parti laïque de gauche, très proche du Parti socialiste français et décrit par ses adversaires comme «Hizb França» (parti de la France), avec un parti islamiste qui abhorre le socialisme et ne tient pas en odeur de sainteté la culture et les valeurs occidentales?

Les plus optimistes ont, au début, estimé qu’un tel mariage, s’il est contre-nature, n’est pas forcément déraisonnable, car il pourrait servir à contrôler le parti islamiste et réduire les risques de ses égarements. Près de six mois après, c’est le contraire qui se produit. Ce sont plutôt les islamistes qui contrôlent les gens d’Ettakatol et ils ont fini par les entrainer dans leurs errements politiques, provoquant une désaffection pour ce parti et une crise en son sein qui s’est traduite par des démissions en série, affaiblissant gravement la formation politique de Ben Jaâfar qui se trouvait dans une meilleure santé avant sa coalition avec les islamistes qu’après. En un mot, Ettakatol était beaucoup plus respectable avant l’exercice du pouvoir qu’après.

Une complaisance déroutante

Attardons-nous un peu à cette question de l’exercice du pouvoir. Qu’a gagné Ettakatol de ces deux ou trois ministres sans importance et de la présidence de l’Assemblée constituante? Rien sinon la fureur de l’opinion contre le ministre des Affaires sociales, Khalil Ezzaouia, qui justifiait sur Radio Mosaïque la terrifiante répression du 9 avril, ou encore les sarcasmes contre le président de l’Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaâfar, qui manie avec une dextérité troublante la règle des deux poids et deux mesures dans sa gestion des débats de l’Assemblée, faisant preuve d’une intransigeance étonnante avec les représentants de l’opposition et d’une complaisance déroutante avec ceux de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir.

Mustapha Ben Jaâfar, à gauche, et les trois mousquetaires .

M. Ben Jaâfar n’a pourtant aucune raison de se transformer en otage d’un parti politique avec qui il ne partage ni idéologie ni objectifs stratégiques. Pourtant, il a courbé l’échine devant un diktat d’Ennahdha et accepté toutes les conditions des islamistes en contre-partie de sa nomination à la présidence de l’Assemblée. Bien sûr, il était élu par 145 voix contre 68 pour madame Maya Jeribi, mais le poste lui était attribué bien avant l’élection aux cours des transactions tripartites pendant lesquelles le parti islamiste a réussi à imposer toutes ses conditions à Ettakatol et au Congrès pour la République (CpR).

La principale condition semble être l’abstention des alliés d’Ennahdha de toute critique de la gestion islamiste des affaires publiques. Cette assertion peut être étayée par le silence troublant des deux présidents (de l’Assemblée et de la république) vis-à-vis de la duplicité des ministres et des responsables nahdhaouis et de leur maniement systématique de la règle des deux poids et deux mesures: laxisme, voire complicité avec les salafistes, intransigeance et répression à l’égard de tous les autres. Ce qui s’est passé le 9 avril est une honte pas seulement pour Ennahdha, mais aussi pour ses deux alliés.

Si le luxe des palais a fait oublier à M. Marzouki ses beaux jours et son militantisme au point d’accepter le baisemain tel un roitelet (un facebookeur l’a même qualifié de «sa majesté Marzouki, roi de Bir Kassaâ»), il est en revanche difficile de comprendre l’attitude de M. Ben Jaâfar qui observe sans broncher les manifestants pour la démocratie se faire sauvagement tabasser et les salafistes se faire très doucement ménager par le nouveau pouvoir.

Qui observe sans broncher le profanateur du drapeau national prendre tout son temps avant de se livrer au ministère des Droits de l’homme au moment où le directeur d’un journal se fait emprisonner illico presto pour avoir publié la photo d’un footballeur enlaçant sa femme peu vêtue.

Qui observe sans broncher le calvaire que fait subir une poignée de barbus aux étudiants et étudiantes de l’université de la Manouba.

Qui observe sans broncher les agressions salafistes contre les hommes de culture à l’avenue Bourguiba.

Qui observe sans broncher le harcèlement et les agressions physiques et verbales contre les journalistes de la télévision nationale durant près de deux mois par des  mercenaires engagés par Ennahdha et la liste des agressions des salafistes et des complaisances de leurs protecteurs nahdhaouis est longue.

Un véritable hold-up contre les caisses de l’Etat

Bien que M. Ben Jaâfar soit le président de l’institution la plus légitime et la plus représentative dans le pays, il n’a pas fait la moindre déclaration pour mettre en garde Ennahdha et ses dirigeants contre les dangers qu’ils font courir à cette légitimité et à cette représentativité. Il n’a pas pris la moindre initiative pour contrer les velléités dictatoriales que les dirigeants islamistes affichent chaque jour avec plus d’arrogance. Et même quand ils préparent un véritable hold-up contre les caisses de l’Etat, M. Ben Jaâfar continue de regarder ailleurs.

Mustapha Ben Jaâfar par le peintre tunisien Hanafi.

En effet, les gens d’Ennahdha se préparent à détourner des centaines de milliards d’argent public pour se les partager entre eux sous le prétexte qu’ils ont été réprimés et emprisonnés par Bourguiba et Ben Ali et, par conséquent, ils ont «droit à des compensations».

Tout d’abord, ce n’est pas le contribuable qui les a réprimés et emprisonnés, et ils n’ont qu’à poursuivre les politiciens responsables de leur calvaire, du moins ceux sont encore en vie.

Ensuite, le contribuable tunisien ne les a jamais chargés de militer pour lui contre les dictatures de Bourguiba et de ben Ali ni, encore moins, de lui préparer un Etat islamique.

Enfin, les «victimes» qui veulent des compensations ne sont pas toutes innocentes, tant s’en faut. Il y en a même qui ont commis des crimes, qui ont tenté de prendre le pouvoir en recourant au complot contre l’autorité politique en place, sans parler de ceux qui ont aspergé des innocents et des innocentes avec l’acide sulfurique. Et que fait M. Ben Jaâfar contre ce crime financier qui se prépare contre l’Etat et contre le contribuable? Rien.

En fait, on a peut-être tort d’attendre des actions de la part du président de l’institution la plus légitime du pays quand on sait que lui et 216 autres personnes ont été élues pour nous préparer une Constitution et, plus de six mois après, ils n’ont pas écrit une seule ligne…

Encore un pantin grassement payé, et d’une efficacité nulle.

* - Officier de l’armée nationale à la retraite, auteur de ‘‘Ben Ali le ripou’’ et ‘‘Eclairages sur les recoins sombres de l’ère bourguibienne’’.

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