De retour de «Sejnanistan», deux jeunes étudiantes ont rendu visite à Kapitalis et raconté leur mésaventure, dimanche à Sejnane, avec un groupe de salafistes. Encore terrorisées, elles ont préféré l’anonymat et le visage couvert.

Par Zohra Abid


«Nous voulons déjà faire un démenti à propos de ce que certains médias ont publié, mardi, à propos des actes de violence survenus à Sejnane. Il ne s’agit pas de bus de touristes attaqués mais de deux bus mis à notre disposition par l’Institut supérieur des sciences biologiques appliquées de Tunis (Issbat) pour une sortie d’étude dans la région de Tabarka et Aïn Drahem», précise l’une des filles de la 2ème année de la section Protection de l’environnement. Toutes deux étaient de l’excursion.

Un 404 bâché plein de barbus, d’autres à bord de motos

«Nous étions plus de 100 étudiants dont seulement 8 garçons. Les deux bus étaient pleins à craquer et il y avait même des étudiants debout, faute de siège vide. Avec nous, il y avait 2 professeurs, un responsable de l’administration et un autre du laboratoire de notre établissement. On s’est donné rendez-vous à 7H30 devant l’Institut Ibn Charaf (La Kasbah) et on n’a pas tardé à prendre la route. Vers 10 heures et quelques, on avait senti la soif. On était arrivé à Sejnane. On a dû nous arrêter pour acheter de l’eau et du jus chez un épicier. Quelques unes des filles ont voulu prendre une collation à côté de l’un des deux bus garés juste derrière la station des louages», se souvient l’une de nos interlocutrices. Elle soupire, les yeux mouillés, avale sa salive et reprend: «A ce moment-là, un groupe d’enfants de 10 ans ou un peu plus avec sur le dos leur cartable – d’ailleurs c’était un dimanche et je ne sais pas pourquoi ils avaient déjà avec eux ces cartables –, ont commencé à taquiner les filles. Et lorsque nos camardes, les garçons, leur ont dit d’arrêter, les petits ont répondu à leur façon : en bousculant et frappant les étudiants. Ces derniers ont riposté et nous nous sommes tous dépêchés pour monter dans les bus. Car, nous avons vu déjà des jeunes et même des quinquagénaires venir en notre direction avec des bâtons», raconte notre hôte. Et de poursuivre qu’il y a eu vite du renfort. Selon elle, certains assaillants étaient en motos et les autres armés de bâtons à bord d’un 404 bâché. L’un des bus a échappé à leur colère, en démarrant rapidement.

A la chasse des étudiants

«Le second bus a tout fait pour les dérouter, zigzagant à droite et à gauche, mais il s’est trouvé à la fin dans une ruelle encerclé par un groupe de gens du quartier. A ce moment là, nous avions été pris en otage. Ils sont montés sur le bus, et à partir des fenêtres, ils nous ont vaporisé avec du gaz. Le chauffeur a finalement ouvert la portière pour essayer de discuter avec eux. Là, ils ont commencé à violenter nos camardes (les garçons) et nous qualifier de ‘‘aâherat’’ et ‘‘fajirat’’ (prostituées) et de nous dire qu’on n’a pas le droit d’aller à l’école et de vivre en mixité et que Sejnane est Sejnanistan, un émirat qui ne dépend plus de la Tunisie.»

C’était bien les paroles entendues, par tous les garçons et filles présents. Nos deux interlocutrices, en tout cas, ont toutes deux entendu parler de Sejnanistan. Humour noir? Ironie mordante?

«L’un des 8 garçons qui nous accompagnait a été grandement violenté et plusieurs fois giflé. ‘‘Nous allons faire appliquer la chariâ, c’est halal’’, nous ont-ils lancé. ‘‘C’est-à-dire que nous allons couper la tête de cet étudiant qui est en tee-shirt à côté des filles’’», se rappelle la jeune étudiante, qui a essayé de ramasser ses forces pour continuer l’histoire. En vain.

La police, l’absente présente

Sa camarde de la même classe prend la suite: «Nous étions à terre, nous avons essayé discrètement de contacter nos familles et la police pour nous secourir. Faute de réseau, tout contact avec l’extérieur était coupé. Entre-temps, une vielle dame du quartier est venue supplier nos assaillants pour qu’ils nous relâchent. Mais le groupe – dont plusieurs étaient barbus – a voulu prendre en otage une fille et un garçon contre notre libération, en promettant de libérer les deux otages plus tard. Nous avons protesté. A la fin, ils nous ont laissé tomber après avoir matraqué certains étudiants et nous ont dit qu’ils peuvent nous rattraper même si on allait en Chine», raconte la fille.

C’est à ce moment là que la Garde nationale est arrivée. «Lorsque la police est arrivée, nous étions déjà libérés. Mais ce qui nous a frappés, c’est la courtoisie avec laquelle la police a traité ces gens-là. On les a vus même plaisanter ensemble», a ajouté l’étudiante, encore surprise de ce qu’elle avait vu.

Vers 12H30, les étudiants sont arrivés à Tabarka dans un état lamentable. Direction: le poste de police pour porter plainte avant de transporter les étudiants agressés à l’hôpital. Ces derniers, des bleus sur le dos, sur les côtes, sur les bras, etc., ont eu des certificats médicaux…

48 heures après ce cauchemar, le tout Tunis en parle. Les filles tournent en rond, racontent leur mésaventure et radotent encore. Mais décidées à ne pas se taire et à poursuivre leurs agresseurs jusqu’au bout et de ne pas se laisser faire.

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