Jeune, dynamique et intelligente, Nadia Chaâbane, membre de l’Assemblée nationale constituante (Anc) n’a de cesse à se distinguer dans une assemblée en proie à un marasme de plus en plus manifeste, à l’image de tout le pays.

Entretien conduit par Abdelmajid Haouachi

 


 

 

Notre représentante est issue de la communauté des Tunisiens émigrés en France où elle fut élue pour la liste du Pôle démocratique moderniste (Pdm). Son domicile ne semble point affecter sa présence dans l’Anc, ni sa maîtrise remarquable de son rôle et des enjeux qui se trament au sein de cette assemblée. Avec elle, nous avons fait l’état des lieux de l’Anc et son interaction avec le développement  des événements au quotidien. Entretien...

Kapitalis: Si vous évoquiez, pour commencer, le cheminement militant qui vous a conduit à l’Anc.

Nadia Chaâbane: Depuis toujours, je fais partie de l’opposition. Je suis actuellement présidente de l’Association des Tunisiens en France (Atf). En 2002, à l’occasion des élections afghanes, j’ai fait partie d’une délégation des Nations Unies qui s’est rendue dans ce pays pour y soutenir la cause féminine. J’ai également participé aux instances de réflexion sur les droits fondamentaux des émigrés à l’occasion des élections relatives à la constitution européenne. J’ai fait partie du comité de soutien de la Révolution tunisienne en France depuis son déclanchement le 17 décembre 2011. A l’éviction de Ben Ali, j’ai senti le besoin de m’engager sur la liste du Pdm pour les élections de l’Anc et j’ai été élue.

Nadia Chaâbane et la vice-présidente de la Constituante Maherzia Labidi: la moderniste et l'islamiste.

Quelle sont vos sentiments sur de la situation actuelle de l’Anc?

Je ne regrette pas de faire partie des membres élus de la Constituante. Mais je suis, tout de même, déçue du fonctionnement de cette instance politique suprême. L’Anc est dans un état de désorganisation totale. Il n’y a pas de rétro-planning ni de chef d’orchestre qui assure le pilotage escompté des travaux de l’assemblée.

Cela est-il dû à une certaine inconscience de la portée historique de la Constituante dans le processus révolutionnaire tunisien?

Je pense que beaucoup de représentants sont parfaitement conscients de cette portée. D’autres sont sur une frustration due au déficit d’interactivité et d’échange de point de vue en dehors des séances officielles de débat. La communication entre les représentants est ainsi à son plus bas niveau. Il n’y a même pas d’échange d’adresses email et les communiqués sont transmis par les médias publics, en l’absence d’un réseau interne.

Ce dysfonctionnement est-il volontaire ou est-il dû à un cloisonnement partisan au sein de l’Anc?

Je ne pense pas que ledit cloisonnement est volontaire. Il est probablement dû à un manque d’expérience en la matière. J’estime, au demeurant, que les protagonistes de l’Anc ne sont pas encore sortis de l’esprit de la clandestinité et de la culture du secret qui prédominait avant le 14 janvier 2011. C’est là un handicap pour une meilleure communication.

 

Nadia Châbane et ses colistiers du Pdm, section France1.

Et qu’en est-il des relations entre le gouvernement et l’Anc acculée à jouer le double rôle de constituante et de parlement?

Dans les deux rôles, l’Anc n’est pas à 100%. La rédaction de la Constitution n’avance pas et l’Anc est en-deçà du rôle parlementaire classique de supervision des travaux du gouvernement.

Pour être concrets, mesurons ce dysfonctionnement à la lumière des derniers événements tels que la nomination des gouverneurs et les incidents du 9 avril 2012.

Concernant la nomination des gouverneurs, on n’a pas été informés par le gouvernement. On a donc appris ces nominations par les médias, tout comme le commun des citoyens.

Au sujet du 9 avril, on a auditionné le gouvernement qui a accepté de former une commission d’enquête. Sauf que cette formation sera proportionnelle à la composition partisane de l’Anc, tel que le stipule son règlement interne.

Il y a lieu de souligner également que dans pareilles circonstances, le débat doit être mené question par question. C’est-à-dire, que le ministre de l’Intérieur devait répondre immédiatement à chaque question posée par le représentant et non pas répondre d’une manière globale après avoir écouté toutes les questions.

Je dois dire aussi qu’il y a une disparité dans le niveau des représentants. Certains accusent un dérapage populiste conduisant à un nivellement par le bas et une folklorisation.

Et que pensez-vous de cette lutte intestine au sein de certains partis politiques et de ses illustrations dans l’hémicycle?

Je constate que, sur les fondamentaux, les partisans d’une même formation politique sont souvent unis. Les divergences portent sur certains détails. J’estime, par ailleurs, qu’on devrait transcender nos divergences pour se réunir autour d’une même table.

On ne peut pas faire comme si le gouvernement est dans l’obligation de gérer seul la situation difficile du pays.