Après avoir roulé pour Bourguiba et Ben Ali, Saïda Agrebi, en fuite en France depuis le 30 juillet, se dit prête à louer ses services à Moncef Marzouki et au nouveau gouvernement.

Par Zohra Abid


Interviewée, vendredi, par Express FM, par téléphone, Saïda Agrebi, l’ex-présidente de l’Organisation tunisienne des mères (Otm), et ancienne représentante au parlement du Rcd (parti dissous), a, bien entendu, plaidé innocente.

«Les caravanes, c’est moi qui les ai mises en place»

Interrogée à propos de ses relations personnelles avec Ben Ali, Mme Agrebi a nié tout contact avec l’ex-président et sa famille, en dehors des rencontres officielles au palais, c’est-à-dire dans le cadre de ses responsabilités, soit en tant que présidente de l’Otm, soit en tant que représentante d’autres Ong à l’échelle africaine ou internationale, soit aussi en tant que parlementaire et responsable du Rcd. Et d’affirmer qu’elle n’a jamais été membre du gouvernement, qu’elle a fait des études pendant 7 ans aux Etats-Unis et qu’elle était élue pour sa compétence. Elle a ajouté qu’elle était la première à organiser des caravanes pour venir en aide aux mères en difficultés dans les régions.

Il n’empêche que Mme Agrebi était depuis son jeune âge active dans le parti au pouvoir sous Bourguiba et sous Ben Ali. Et qu’elle a joué un rôle de premier ordre dans le système de propagande mis en place par le dictateur, et même profité beaucoup de cette proximité avec l’ex-chef d’Etat, qui la recevait plusieurs fois par an. Plus de fois, en tout cas, que la plupart de ses ministres. Ce qu’elle ne dit pas, bien sûr.

«Sous Ben Ali, il y avait la stabilité…»

Pour Mme Agrebi, «il aurait fallu ne pas dissoudre un parti qui comptait 3 à 5 millions d’adhérents» (un chiffre tout de même exagéré, car le Rcd déclarait lui-même «seulement» 2 millions). «On aurait dû laisser le Rcd avec tous les autres partis», a-t-elle cru devoir conseiller. Un conseil qui vient avec un peu de retard…

D’un autre côté, cette ancienne Rcdiste, poursuivie par la justice pour malversations financières dans la gestion de l’Otm, dit qu’elle fait confiance à l’actuel gouvernement, démocratiquement élu. Et d’ajouter que sous Ben Ali, les choses se passaient bien et «qu’il y avait de la stabilité et de la sécurité. Je ne me souviens pas qu’il ait fait des choses négatives», a-t-elle plaidé.

Elle a donc bien travaillé pour Ben Ali ? «Ben Ali était le président du pays, répond-elle au journaliste, comme l’était Bourguiba». Et d’enchaîner qu’elle est prête à coopérer avec l’actuel président Moncef Marzouki et tous ceux qui suivront aux commandes du pays. Pour elle, le fait de coopérer avec le président entre dans le cadre de son amour pour la patrie.


Saïda Agrebi du temps de son engagement pour Ben Ali

Mme Agrebi, était-elle une fortunée ?

A cette question, l’ancienne présidente de l’Otm a dit qu’en tant que parlementaire, elle touchait 2.000 dinars par mois. Et cela lui suffisait pour vivre dignement. Mais quid de sa fortune personnelle ? Réponse : «Mes biens remontent à avant 1987. Je ne possède qu’une maison et un appartement. Sur Facebook, on ne cesse de multiplier les campagnes contre moi, m’accusant même d’avoir un café et un salon de thé», se justifie Mme Agrebi, accusée d’avoir dérobé des caisses de l’Otm la «modique» somme de 10.000 dinars. Cette somme, qui allait couvrir les frais de l’association, «faute de temps, est restée au siège de l’organisation», raconte-t-elle.

Qui finançait l’Otm ? «L’Otm n’est pas soumise au contrôle des finances. N’empêche que nous soumettions notre dossier financier aux autorités. D’où provient le financement ? Nous recevons beaucoup de dons. Il y a des hommes et des femmes d’affaires qui croyaient en nous et nous versaient des aides, en plus de l’argent ramassé par les cartes d’adhésion. Nous avons déjà 50.000 adhésions (chacune à 20 dinars par an)». Mme Agrebi, qui ne précise pas si les adhésions étaient volontaires ou imposées, ajoute qu’elle a laissé dans le compte bancaire avant de partir plus d’un million de dinars. Et qu’elle comptait construire un foyer pour les étudiantes qui viennent des régions et qui n’ont pas de quoi se payer même les études. «Nous l’avons déjà fait en construisant un bâtiment pour les handicapés et nous avions un projet qui, malheureusement, n’a pas pris forme.»

Le gouvernement actuel est transparent

Puisque Mme Agrebi détient toutes les preuves de son innocence, pourquoi a-t-elle donc fui le pays ? «Non, je n’ai jamais cherché à fuir le pays. Je suis seulement partie en France pour 4 ou 5 jours pour rendre visite à mon fils malade. D’ailleurs, je n’avais sur moi que quelques affaires personnelles de touriste et 2.000 euros», se défend-elle.

Quatre jours après son départ, le 30 juillet, tout le pays en était choqué. Madame a quitté l’aéroport en bonne et due forme, avec visa et passeport. Elle était pourtant poursuivie par la justice. Pourquoi les autorités judiciaires et sécuritaires l’ont-elle laissée partir ? Les Tunisiens n’ont pas encore de réponse à cette question.

«Je suis en France. Je vis chez mon frère médecin dans la banlieue ouest de Paris et je ne me cache pas. J’ai contacté les autorités pendant la période de transition pour que je puisse rentrer. Il y a ceux qui m’ont conseillé d’attendre l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement élu. J’ai confiance en ce gouvernement dont certains des membres sont passés par une période difficile», avoue-t-elle enfin.

«Période difficile» ? Doux euphémisme pour dire plus exactement ceci : beaucoup de membres de l’actuel gouvernement croupissaient en prison, quand, Mme Agrebi, groupie inconditionnelle de Ben Ali, sautait d’une capitale à une autre, pour perturber, par des interventions intempestives, les réunions où participaient les opposants à Ben Ali.

«Le 16 décembre, mon frère et moi avons contacté l’ambassade de Tunisie en France et laissé adresse et coordonnées. Le ministre de la Justice m’a répondu que j’étais libre, à moins d’être l’objet de poursuites judiciaires. Je reste confiante en la justice de mon pays. Et j’ai confiance aussi en la justice de la France où je vis», affirme Mme Agrebi. Une question cependant se pose : si elle tient tant à rentrer au bercail, pourquoi son avocat (français) fait-il tout pour rendre difficile son extradition demandée par les autorités tunisiennes. Ces dernières avaient émis, à son encontre, le 3 août, un mandat d’amener international, via le bureau d’Interpol à Tunis.

Avant de finir son entretien, Mme Agrebi s’est rappelée tout de même qu’il y a eu dans son pays une révolution et des martyrs tombés pour la liberté, pour la démocratie.

Mme Agrebi globe-trottoir malgré le mandat d’amener d’Interpol

«Je suis prête à rentrer. A condition qu’on ne porte pas atteinte ni à ma dignité, ni à ma liberté », dit encore Mme Agrebi. Elle enchaîne : «Allah Yarhem les martyrs. Je présente mes condoléances les plus attristées aux mères qui ont perdu leurs enfants pour la Tunisie, pour la révolution, pour la démocratie».

Depuis plus de 7 mois, Mme Agrebi ne s’est jamais privée de voyager et de participer aux divers colloques internationaux. Et toujours, selon elle, invitée (et prise en charge) aux frais des organisations mondiales. Elle a toujours pu librement se rendre en Belgique, Brésil, Espagne… et n’a été arrêtée que le 12 mars à l’aéroport Roissy-Charles De Gaule par Interpol suite au mandat lancé par la Tunisie.

Le lendemain, elle a été reconduite au centre de détention de Bobigny (près de Paris). Le 15 mars, elle a été relaxée et mise sous contrôle judicaire en attendant de comparaître devant le tribunal mercredi prochain qui examinera sa demande de statut de réfugiée.

En attendant les procédures judicaires, Mme Agrebi se défend bec et ongles et dit que tout ce qui lui arrive a été tramé par son ancienne adjointe à l’Otm qui, selon elle, a des complices dont un avocat, époux d’une fonctionnaire à l’Otm. Selon elle, cette dame cherche à l’enfoncer.

L’affaire Agrebi n’est pas près de connaître son épilogue. A suivre…

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