Depuis samedi dernier, les Tunisiens vivent sur les nerfs. Ils sont choqués par les discours du prédicateur Wajdi Ghanim appelant à la violence et à la discorde.

Par Zohra Abid


Des barbus en costume afghan et femmes en niqab, brandissant des drapeaux noirs ou blancs estampillés de versets coraniques, suivent en cortège l’ombre de cet Egyptien, partout où il se déplace.

Face à ce phénomène, assez étranger à leurs traditions, les Tunisiens progressistes se sont mobilisés pour y faire face et empêcher sa diffusion à une plus large échelle.

Ce sont des «microbes», dit Marzouki

Dans son interview, mercredi sur la chaîne Al Watanya I, Moncef Marzouki, président de la République, a qualifié Wajdi Ghanim de personnage bizarre et ceux qui adoptent ses idées de «microbes» qui n’auront pas leur place en Tunisie, terre de tolérance religieuse et d’ouverture d’esprit et d’appeler les Tunisiens à ne pas avoir peur de cette minorité.

Comme le président, des prédicateurs modérés tunisiens ont été indignés par le comportement de Wajdi Ghanim dans nos murs. Selon eux, les Tunisiens n’ont pas à recevoir des leçons des prédicateurs venus d’autres pays. «La Tunisie a ses spécificités et son Islam est modéré. Notre pays ne ressemble à aucun autre. Il est le berceau de la modération et il le restera», a plaidé l’avocat et cheikh Abdelfattah Mourou.


Au premier plan, Khemaies Ksila et Mokhtar Trifi

Othman Battikh, mufti de la République, s’est dit navré, lui aussi, d’entendre des discours intolérants se réclamant de l’islam. «L’Egyptien est très éloquent et impressionne certains Tunisiens, mais son discours n’est pas fondé sur une connaissance approfondie de théologie», a ajouté le mufti.

Les Tunisiens ne réalisent pas encore comment certains des leurs réservent un accueil quasi-triomphal à un prédicateur moyenâgeux qui appelle à l’excision des filles et voue les démocrates et les laïcs («ilmaniyins») aux gémonies. L’homme a rassemblé, dimanche, plus de 5.000 personnes à la Coupole d’El Menzah, de Tunis. Jamais un prédicateur n’a drainé autant de spectateurs (car c’était quasiment un show) dans le pays !

La Tunisie est musulmane

Mardi, sous la houlette de l’avocate Bochra Bel Haj Hmida, un collectif d’avocats, de militants et de représentants de la société civile a porté plainte contre le prédicateur égyptien et les associations qui l’ont invité.

Le même jour, scandalisé, le mouvement Kolna Tounes a envoyé aux membres du gouvernement une lettre, via un huissier de justice, lui demandant de mettre fin à l’utilisation des mosquées pour propager une «fitna» (discordre) dans le pays.

Emna Menif, fondatrice de Kolna Tounes, a organisé, mercredi, une rencontre à El Teatro. Politiques, artistes, défendeurs des droits de l’homme ont répondu présents. «Cette initiative n’est qu’un début. Il faut remettre chacun à sa place », a dit Mme Menif. Elle a ajouté : «Cheikh Mourou a promis de venir mais, à la dernière seconde, il a eu un empêchement. L’homme soutient jusqu’au bout notre action. Le mufti s’est joint, lui aussi, à notre mouvement. Le cheikh Mahmoud Bayrem s’est dit écoeuré par les appels à la violence et au djihad lancés par des Tunisiens qu’il ne reconnaît plus».


La société civile se mobilise contre la déferlante obscurantiste

«Les Tunisiens se demandent qui sont ces gens qui se prennent pour des docteurs de la foi, qui multiplient les visites dans notre pays et qui tiennent des discours de fitna. Ils tiennent les Tunisiens pour des mécréants et appellent même à l’excision des filles, à la violence, à la discorde», a martelé Mme Menif. Et de préciser que ces appels, contraires aux droits de l’homme, n’ont pas à être proférés en Tunisie, «un pays de citoyenneté et de droits».

Jawher Mbarek, leader de la liste indépendante Doustourna, a constaté, de son côté, l’accumulation en un temps record d’un grand nombre de dépassements dans les mosquées, les universités, les hôpitaux. «Le ministre de l’Intérieur, lui-même, a affirmé que des terroristes liés à Al-Qaïda ont un plan pour fonder un émirat dans le pays. C’est très grave. C’est une menace pour la révolution. Nous condamnons tous ces prédicateurs, ces petits d’esprit qui perturbent notre paix», a-t-il lancé.

On écorche l’image de la Tunisie libre

Balkis Sakli, vice-présidente de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh), a déclaré que la Tunisie, accusée par certains d’importer des idées de l’Occident, est attachée la liberté et à l’égalité et opposée à la violence. «Là, on a franchi la ligne rouge. Nous ne permettons plus que nos enseignants soient menacés par des armes blanches dans les lycées, que des extrémistes appellent à la suspension des cours de dessin et de philosophie. Ces gens là, avec qui nous avons tenté de discuter à maintes reprises, refusent tout dialogue. Nous avons prévenu les responsables», a-t-elle affirmé. Et de rappeler que c’est grâce à la démocratie, aux élections et aux libertés retrouvées que ces personnes ont pu s’exprimer. «L’arme de la liberté, ils la retournent contre nous», a déploré la militante.

De son côté, la comédienne Raja Ben Ammar a dénoncé tout le monde : le prédicateur égyptien, les associations salafistes, les apprentis jihadistes et le gouvernement passif. «Ce gouvernement est incompétent», a-t-elle conclu.

Le juge Mokhtar Yahyaoui, lui aussi, a souligné, la responsabilité de la «troïka», la coalition au pouvoir formée d’Ennahdha, d’Ettakatol et du Cpr, qui ne réagit pas souvent pour mettre fin aux dépassements commis par les groupes salafistes. Sa position est partagée par plusieurs élus, qui ont accusé le gouvernement de fermer les yeux sciemment alors que les extrémistes sont en train d’étendre leurs tentacules dans les stries de la société. Au nom de la religion et profitant de la liberté d’expression.